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L’exportation des joueurs brésiliens, un problème pour la Seleção ?

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Thiago Dias Rodrigues / Shutterstock.com

Les meilleures sélections non-européennes possèdent de moins en moins de joueurs évoluant dans le championnat local. Une conséquence de la libéralisation des transferts internationaux qui fait suite au célèbre arrêt Bosman. Un fait qui touche notamment la sélection brésilienne, au grand dam de certains qui regrettent une certaine uniformisation du joueur de football dont les Auriverdes en seraient la principale victime. Par Guillaume Monteiro.

Cássio, Geromel et Fagner. Si ces joueurs ne sont pas forcément les plus connus de l’effectif brésilien pour cette Coupe du monde 2018, ils ont la particularité d’être les trois seuls à évoluer dans le Brasileirão, nom donné au championnat brésilien. Un chiffre qui confirme une tendance entrevue depuis plusieurs années, puisque depuis 2006 ils n’ont jamais été plus de quatre. A titre de comparaison, ils étaient douze lors du dernier titre des Auriverdes en 2002 et huit pour celui de 1994. Sans parler de la sélection de 1970, au sein de laquelle Pelé et ses coéquipiers évoluaient tous au Brésil !

Le joueur brésilien serait d’ailleurs celui qui s’exporte le plus selon une étude menée en 2017 par l’Observatoire du football CIES, avec un total de 1202 joueurs évoluant hors des frontières. Soit une avance considérable sur la France (781) et l’Argentine (753), qui complètent le podium. Ce qui fait dire aux chercheurs que le joueur brésilien serait « la seule main-d’œuvre véritablement globale dans l’industrie du football professionnel ». Cette fuite de talents aurait naturellement pour conséquence un affaiblissement du championnat brésilien, mais également une perte d’attachement à son club formateur. La revue brésilienne Veja écrivait notamment en 2014 que « l’identification entre les joueurs et leurs clubs au Brésil n’est plus aussi forte qu’entre Santos et Pelé, Botafogo et Garrincha, Corinthians et Sócrates ou d’autres grands joueurs brésiliens ».

Des clubs brésiliens devenus de simples exportateurs de joueurs ?

Une perte d’identification qui est la conséquence de nombreux problèmes qui entourent les clubs brésiliens, en premier lieu d’ordre économique. Les stades à moitié vides, les difficultés à dénicher de nouveaux sponsors et des dettes difficiles à supporter rythment le quotidien de bon nombre de clubs du Brasileirão.

La vente de joueurs est donc devenue primordiale pour de nombreux clubs afin d’assurer leur survie financière. Des joueurs que les clubs vont avant tout essayer de valoriser auprès des clubs européens. Dans son dernier numéro, le mensuel So Foot évoquait d’ailleurs la question avec l’ancien international Marcio Santos qui pointait clairement du doigt ce problème : « Désormais on produit des joueurs formatés au bon vouloir des clubs européens pour les vendre au meilleur prix. […] Notre exception culturelle est en danger et je ne pense pas que ça va s’arranger ».

D’autant que les clubs au Brésil ne bénéficient pas de l’importante manne financière que peut représenter la Ligue des Champions. Car malgré tout le prestige de la Copa Libertadores, elle est loin de rivaliser avec la compétition européenne en ce qui concerne les revenus redistribués aux participants, et cela malgré une réévaluation des primes à la hausse en 2016. Difficile donc de concurrencer les plus grosses écuries européennes en termes d’attractivité. Conséquence, les joueurs du Brasileirão cherchent désormais avant tout à se faire remarquer pour rejoindre le Vieux Continent.

Et inversement, ces mêmes clubs européens sont friands des joueurs brésiliens et n’hésitent pas à verser des montants (très) importants pour les recruter dans leurs équipes. La qualité du footballeur brésilien n’est plus à prouver, d’autant que ce dernier est doté d’un talent atypique et différent dans l’imaginaire européen. Mais aussi car investir sur un joueur brésilien, c’est miser sur un potentiel marketing très intéressant en vue de conquérir un marché de plus de 200 millions d’habitants. Cela peut donc parfois pousser à « surpayer » un joueur. Cela a notamment été le cas en 2012, quand le Paris Saint-Germain a décidé de débourser 40 M€ pour enrôle Lucas Moura. Un joueur qui a par la suite été revendu à Tottenham contre une indemnité estimée à 28 M€.

Des joueurs désormais formés sur un modèle européen

Conséquence de cet exode, beaucoup considèrent que la sélection brésilienne a perdu ce qui faisait son charme, à savoir le fameux « Joga bonito » qui est apparu à la fin des années 50 et le début de la génération Pelé. Les joueurs partent de plus en plus tôt, et finissent donc leur formation sous le giron des écuries européennes, perdant ainsi l’environnement culturel du football brésilien qui en faisait toute sa spécificité et son adoration. Dernier exemple en date, celui de Vinícius Júnior qui a été vendu à l’âge de 16 ans par Flamengo au Real Madrid contre 45M€. Un jeune joueur qui rejoindra les rangs madrilènes cette saison. Une situation préoccupante qui avait même fait réagir les instances gouvernementales du pays, Dilma Roussef déclarant en 2014 que « beaucoup de grands joueurs travaillent à l’étranger depuis plusieurs années et pour changer le football brésilien, il faut changer cette philosophie ».

Un exode massif qui engendre une réduction d’attractivité pour la Seleção au Brésil. Pour l’édition 2018, 53% des brésiliens déclaraient d’ailleurs ne pas être intéressés par le Mondial selon une enquête de l’entreprise Datafolha. Reste à savoir si une victoire de Neymar et ses coéquipiers pourrait permettre de retrouver l’élan et l’engouement chez celui que l’on appelle « le pays du football »

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