Interview

« La hausse de la CSG ne freinera pas la compétitivité du football français »

Le poids de la fiscalité nuit-il à la compétitivité des clubs français ? Pour répondre à cette question, Ecofoot.fr s’est entretenu avec Charles Le Lez, ancien Inspecteur des impôts et avocat fiscaliste. Spécialiste des questions liées à l’application du droit fiscal au football professionnel, Charles Le Lez revient sur les nouvelles problématiques que doivent affronter les clubs français dans ce domaine tout en abordant les dernières mesures introduites dans le droit français, impactant la compétitivité de nos clubs.

Dans un rapport publié en novembre 2014 et intitulé « Le Décrochage », l’UCPF mettait notamment en avant le poids de la fiscalité française pour expliquer le manque de performances des clubs français sur la scène européenne. La fiscalité française constitue-t-elle réellement un sérieux handicap dans la compétitivité des clubs français ?

Tout d’abord, il est important de rappeler qu’une comparaison brute des taux de fiscalité ne suffit pas pour dresser des conclusions définitives au sujet du niveau de fiscalité pratiqué dans chaque pays. Par exemple, la France possède un taux d’impôt sur les sociétés plus élevé qu’en Allemagne. Mais en France, vous pouvez déduire plus de choses.

Toutefois, à l’époque de la sortie du rapport réalisé par l’UCPF, la mise en avant de la fiscalité pour expliquer un déficit de compétitivité était justifiée. La fameuse taxe à 75% sur les très hautes rémunérations venait d’être introduite. Les discussions au sujet de la réforme de la taxation des activités de billetterie sportive avaient également démarré. D’ailleurs, plusieurs études commandées par des parlementaires de tout bord mettaient également en évidence le poids de la fiscalité dans la baisse de compétitivité du sport professionnel français.

Mais les dernières mesures mises en place par les responsables politiques français vont plutôt dans le bon sens. La taxe sur les très hauts revenus n’a été appliquée que durant deux ans. La réforme de la fiscalité des revenus de billetterie a abouti sur l’application d’un taux de TVA réduit (5,5%). Et une proposition de loi sénatoriale a été adoptée au mois de mars dernier, intégrant différents dispositifs permettant d’améliorer la compétitivité du sport professionnel français.

D’ailleurs, lors de la dernière campagne présidentielle, les présidents de clubs ont préféré porter les débats vers une amélioration de la sécurité fiscale plutôt que d’évoquer frontalement un niveau de fiscalité trop important. Les clubs français souhaitent dorénavant plutôt aborder les problématiques liées aux structures juridiques inadaptées à leurs activités ou encore à un droit social français trop complexe et pas assez souple.

Face aux rigidités du code du travail français, les clubs français sont d’ailleurs obligés de mettre en place des dispositifs permettant de contourner certaines interdictions. Par exemple, la presse mentionne régulièrement des sanctions financières prises par les clubs à l’encontre de leurs joueurs qui commettent des écarts de comportement. Or, ce type de sanctions est totalement illégal compte tenu du droit en France. Pour contourner cette interdiction, les clubs font signer à leurs joueurs une charte de comportement. Une charte qui implique le versement automatique de primes si le joueur se comporte bien. Inversement, les primes ne sont pas versées en cas d’écart. Toutefois, un tel système pourrait être remis en cause en cas d’affaire portée aux prud’hommes.

Pour revenir plus précisément au sujet de la fiscalité, il existe aujourd’hui des zones d’ombre concernant l’application de certaines taxes. Prenons l’exemple de la CVAE (Cotisation sur la Valeur Ajoutée des Entreprises). Cette taxe est appliquée sur le chiffre d’affaires de toute entreprise réalisant plus de 500 000 € par exercice. Mais les clubs de football ne savent pas aujourd’hui si les revenus de transferts rentrent dans le calcul de cette taxe !

Cette question crée une incertitude importante pour les clubs. Pour certains clubs, plusieurs centaines de milliers d’euros par an sont en jeu. Dernièrement, la plupart des clubs ayant reçu un redressement pour non-intégration des revenus de transfert dans le calcul de la CVAE ont perdu leurs recours judiciaires. Mais le PSG fait exception car il vient de gagner son recours en appel à ce sujet. Il faudra probablement attendre la position du Conseil d’Etat pour avoir un avis définitif sur cette question. Et des exemples comme la CVAE, il en existe beaucoup !

Au cours des dernières années, le football professionnel a cherché à obtenir des exemptions fiscales pour le sport professionnel en multipliant les discussions avec l’exécutif et les parlementaires français. Des exceptions fiscales pour le football professionnel existent-elles dans d’autres pays européens ? Pouvez-vous nous citer des exemples ?

Actuellement, les dirigeants des clubs français demandent plutôt un alignement des dispositifs fiscaux sur ce qui existe déjà dans le domaine culturel. Plusieurs secteurs comme le cinéma bénéficient d’importantes aides fiscales. Cette demande n’est pas injustifiée. Si le football professionnel français ne pèse pas un gros poids économique, en revanche, ses activités génèrent d’importantes retombées, notamment au niveau local.

Comme nous l’avons vu précédemment, il existe aujourd’hui peu de textes mentionnant le football en France. De plus, la mise en place de dispositifs fiscaux dédiés au football est mal perçue au sein de l’opinion publique. Une caractéristique qui n’est pas propre à la France.

Par exemple, en Espagne, un plafonnement du taux d’imposition à 24% avait été mis en place en Liga au milieu des années 2000 concernant les joueurs venant de l’étranger. Ce dispositif intitulé Ley Beckham a par la suite été supprimé en raison de la contestation générée par cette mesure. Et, ironie de l’histoire, ce mécanisme a dernièrement été réintroduit et élargi à l’ensemble de l’économie espagnole sauf au… football !

Toutefois, pour revenir en France, il existe aujourd’hui quelques mesures permettant aux clubs et aux joueurs de réduire leur facture fiscale. Pour certains revenus exceptionnels, les joueurs peuvent notamment bénéficier d’un étalement fiscal. C’est notamment le cas pour les primes perçues en cas de victoire en Coupe du Monde. Un dispositif qui s’applique également aux jeunes joueurs signant leur premier contrat professionnel.

Depuis 2008, les footballeurs ont également accès au régime des impatriés. Les joueurs venant de l’étranger peuvent être exonérer d’impôt sur un supplément de revenus lié à l’impatriation. Une exonération qui peut porter jusqu’à 30% des revenus du joueur. La durée d’application de ce dispositif a dernièrement été étendue jusqu’à huit ans. Enfin, grâce à la loi sénatoriale votée au mois de mars dernier, les dispositifs de droit à l’image vont à nouveau concerner les sportifs professionnels.

Au sein de la zone UEFA, le seul pays qui pratique une fiscalité exceptionnelle à destination du football est la Turquie. D’ailleurs, la Turquie est considérée comme un véritable eldorado fiscal ! Les clubs turcs sont organisés sur le modèle des associations à but non-lucratif et échappent donc à tout impôt. Et les joueurs professionnels évoluant au sein du championnat turc sont taxés à hauteur de 15%.

Suite à une proposition de loi sénatoriale adoptée au mois de mars dernier, une nouvelle forme du Droit à l’Image Collective (DIF) devrait être mise en place au sein du sport professionnel français. Cette mesure permettra-t-elle de faire baisser le niveau de charges supporté par les clubs professionnels français ?

Le droit à l’image appliqué au sport professionnel a déjà existé par le passé. Il a été supprimé en 2008, durant le quinquennat Sarkozy. Il va en effet réapparaître sous une nouvelle forme.

Pour le moment, il est difficile d’aborder avec précision son périmètre d’application. Le décret d’application n’a pas encore été promulgué. Il faut également attendre les négociations dans chaque branche pour connaître avec exactitude les contours de ce nouveau dispositif. Par exemple, on ne sait pas aujourd’hui si un plafond de rémunération sera introduit dans ce dispositif et quel sera son niveau.

Toutefois, les rémunérations concernées par le droit à l’image devraient échapper à toute cotisation salariale et patronale. Seule la CSG devrait être appliquée à ce type de revenus. Les revenus de droit à l’image seront taxés comme des revenus de patrimoine.

Conformément à ce que nous avons dit précédemment, ce type d’aménagement peut choquer l’opinion publique. Mais le retour du droit à l’image appliqué au secteur sportif va permettre de relocaliser certains contrats en France. Cela va donc entraîner un surplus de revenus pour l’Etat. En règle générale, le droit fiscal privilégie plutôt le pragmatisme à la morale.

Les réformes promises par Emmanuel Macron permettront-elles au football professionnel français d’accroître sa compétitivité ? La hausse de la CSG ne va-t-elle pas à contresens de ce mouvement ?

Malgré la hausse du taux de la CSG, l’impact devrait être neutre pour le football professionnel français. Dans le pire des scénarios, l’augmentation fiscale pourrait être autour de 1%. L’introduction des autres mesures compensent cette hausse de CSG.

L’impact des mesures d’Emmanuel Macron devrait même être positif pour le football féminin, discipline au sein de laquelle les salaires sont beaucoup moins élevés. La hausse de la CSG ne freinera pas la compétitivité du football français.

Source photo à la Une : Wikipedia.org – CC BY-SA 4.0

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