Interview

« Le ticket d’entrée pour racheter un club français est très intéressant »

Ecofoot.fr a eu la chance cette semaine de s’entretenir avec Christophe Lepetit, Responsable des études économiques au Centre de Droit et d’Economie du Sport de Limoges et spécialiste des questions économiques liées au football. Au cours de l’interview, nous sommes revenus sur la vague d’investissements étrangers déferlant actuellement sur le football professionnel français.

De nombreux investisseurs étrangers (Vincent Volpe, Ledus, ORG Packaging, Frank McCourt, IDG Capital Partners, Gérard Lopez…) ont intégré le capital social de clubs de Ligue 1 et Ligue 2 au cours des derniers mois. Comment expliquez-vous cette tendance ?

Cela s’explique tout simplement par une rencontre entre l’offre et la demande. D’un côté, de nombreux investisseurs étrangers cherchent actuellement à racheter des clubs européens pour différentes raisons. Et, parallèlement, l’offre est très abondante en France. La plupart des clubs français étaient en vente au cours des dernières années. Et certains le sont toujours actuellement.

Cette offre abondante s’explique par l’évolution du secteur et la structure actionnariale des clubs français. Un grand nombre de clubs de L1 étaient traditionnellement détenus par de « petits » actionnaires, possédant une surface financière limitée. Ces derniers, qui ont pendant longtemps soutenu les déficits structurels (ce dont il faut leur rendre hommage), ne peuvent plus faire face aux investissements nécessaires pour poursuivre le développement de leur club. Face à la nécessité d’injecter toujours plus de moyens pour assurer un certain niveau de compétitivité, ils sont obligés de dénicher de nouveaux investisseurs.

Il est vrai que certains gros actionnaires ont également profité de la période pour se désengager. C’est notamment le cas de la famille Louis-Dreyfus à l’OM, de Peugeot à Sochaux ou encore de Michel Seydoux à Lille. Différentes raisons expliquent ces désengagements.

Par exemple, à Marseille, Robert Louis-Dreyfus était un vrai passionné du club. Margarita Louis-Dreyfus, qui a repris la gestion du club, entretenait une relation moins fusionnelle avec l’OM même si elle a assuré son fonctionnement jusqu’à la vente. Elle avait notamment réduit fortement la voilure au cours des derniers exercices. Du côté de Peugeot, la détention d’un club comme le FC Sochaux n’entrait plus dans la stratégie du groupe suite à sa recomposition actionnariale.

Au-delà de l’offre abondante, comment les clubs français parviennent-ils à faire la différence face à d’autres clubs européens en recherche de capitaux ?

En France, nous possédons des profils de clubs très intéressants par rapport au marché européen. Le ticket d’entrée pour racheter un club français est très bas par rapport à nos voisins. L’une des deux plus grosses marques du football français, l’Olympique de Marseille, a été rachetée pour une somme comprise entre 40 et 50 M€ ! A titre d’exemple, CMC et CITIC (ndlr : deux consortiums chinois) ont investi 400 M$ (375 M€) pour acquérir seulement 13% du capital social de City Football Group, société mère de Manchester City.

Ceci s’explique notamment par le fait que nos clubs n’ont malheureusement que peu d’actifs à valoriser (en dehors de l’actif « joueurs ») puisque très peu de clubs sont propriétaires de leur stade. De plus, pour la plupart d’entre eux ils ne constituent pas de véritables marques connues à l’international.

En rachetant un club français, vous prenez également peu de risques concernant le passif qui vous revient. Les clubs français sont très peu endettés par rapport à d’autres clubs européens, en raison notamment du travail mené par la Direction Nationale de Contrôle de Gestion. Les clubs français sont dans l’obligation de maintenir des finances saines sous peine d’être sanctionné par la DNCG.

Enfin, le football français se situe globalement dans une spirale sportive relativement positive. Au niveau international, l’équipe de France a atteint la dernière finale de l’EURO. Les stades ont d’ailleurs été rénovés à cette occasion. Et les performances en compétitions européennes (Champions League et Europa League) s’améliorent.

Que recherchent les investisseurs étrangers en acquérant des clubs français ?

Cela dépend des situations. Certains investissements répondent à des considérations diplomatiques. En investissant dans le football français, certains Etats comptent développer leur stratégie de « soft power ». Cela explique notamment les investissements réalisés par QSI au sein du PSG.

Certaines opérations réalisées par de grosses entreprises chinoises répondent également à cette logique. Sous l’impulsion de son président, la Chine souhaite atteindre une puissance « footballistique » qui soit le reflet de sa nouvelle puissance économique. Le but est de faire de la Chine un acteur qui compte sur la scène mondiale du football.

D’ailleurs, la stratégie chinoise a pour but de structurer en profondeur la filière « football » au sein du pays. Certains acteurs investissent dans les clubs locaux de Chinese Super League pour améliorer le niveau du championnat national. D’autres acteurs acquièrent des prises de participation actionnariales dans des clubs européens pour importer un savoir-faire, notamment en matière de formation. C’est certainement dans cette optique qu’ORG Packaging a dernièrement racheté 60% du capital social de l’AJ Auxerre.

D’autres investisseurs décident d’intégrer le secteur footballistique pour créer des synergies avec leurs activités historiques. Ils cherchent généralement à favoriser l’internationalisation de leurs activités en s’ouvrant de nouvelles opportunités de business. Quand vous êtes un acteur étranger souhaitant vous implanter sur un nouveau marché, ce n’est pas toujours facile d’accéder aux décideurs locaux ou nationaux. A partir du moment où vous achetez un club de football, de très nombreuses portes auprès des décideurs politiques et économiques s’ouvrent à vous ! Les nouveaux investisseurs à Nice, à Sochaux voire Frank McCourt à l’OM cherchent certainement à accroître leurs propres activités en misant sur le football.

Enfin, il y a un groupe d’investisseurs pour lesquels il est plus difficile de décrypter leurs motivations profondes. Même si le club possède de nombreux atouts (agglomération reliée à plusieurs grandes métropoles du nord de l’Europe, centre de formation moderne …), le projet que Gérard Lopez souhaite mettre en place au LOSC est difficile à analyser en dehors de la dimension spéculative liée aux activités de transferts.

La fiscalité française, tant décriée par certains dirigeants de L1, ne rebute-t-elle pas les investisseurs internationaux ?

C’est vrai que le poids de la fiscalité est régulièrement pointé du doigt pour expliquer le manque de compétitivité face à nos voisins européens. D’autant que cela crée une distorsion de concurrence face aux autres clubs dans le cadre du Fair-Play Financier.

Néanmoins, les investisseurs internationaux ont réalisé leurs investissements en connaissant cette problématique. Ils ont été alertés par leurs conseillers. Ils ont alors fait leurs arbitrages entre le poids d’une fiscalité relativement défavorable et un ticket d’entrée modeste associé à un niveau d’endettement faible.

Enfin, les dernières évolutions de la législation française ont éventuellement rassuré les investisseurs. En effet, dans le cadre de la proposition de loi visant à préserver l’éthique du sport, à renforcer la régulation et la transparence du sport professionnel et à améliorer la compétitivité des clubs votée mercredi dernier au Sénat ; certains dispositifs seront mis en place pour favoriser le développement de nos clubs (cession du numéro d’affiliation à la société commerciale, possibilité d’appliquer le régime de la redevance à une partie de la rémunération des joueurs (au titre des attributs de leur personnalité) , collectivités pouvant accorder des garanties d’emprunts dans le cadre de  projets de rénovation/construction/achat d’infrastructures sportives).

Pourquoi les grandes sociétés françaises se désintéressent-elles des clubs de L1 et L2 ?

Il est vrai qu’aujourd’hui peu de grandes entreprises françaises sont propriétaires d’un club de football. L’unique exception est le Stade Rennais, propriété de la famille Pinault, qui est également actionnaire du groupe Kering.

Le football est une activité très fortement médiatisée, avec ses bons mais aussi ses mauvais côtés. Jusqu’à très récemment, le football français en général bénéficiait d’une mauvaise image auprès du grand public. Un déficit d’image, conjugué à un modèle économique structurellement déficitaire, qui n’encourage pas les grandes entreprises à investir dans nos clubs.

Outre les considérations économiques, il existe encore à mon sens en France une sorte de mépris pour le sport et les sportifs de la part des élites françaises. Néanmoins, les mentalités commencent à changer. Un changement qui devrait se poursuivre si on se fie aux messages relayés dans le cadre de la candidature de Paris pour l’organisation des Jeux Olympiques 2024.

Enfin, si les entreprises du CAC 40 sont peu présentes dans le football professionnel français ; elles n’ont en revanche pas totalement délaissé le sport ! Elles ont en effet réorienté leurs investissements vers l’organisation d’événements sportifs ou encore le financement d’infrastructures sportives. Des mouvements qui permettent aux entreprises françaises de mieux répondre à leurs objectifs tout en obtenant un meilleur retour sur investissement.

Selon vous, faut-il se réjouir ou s’inquiéter de cette vague d’investissements étrangers dans le football professionnel français ?

L’arrivée d’investisseurs étrangers prouve que nos clubs restent attractifs. C’est donc plutôt un élément positif.

Après, il faudra attendre un peu pour pouvoir se prononcer réellement sur cette question. Il faut notamment espérer que ces nouveaux investisseurs vont s’inscrire dans la durée. Car, parfois, la gestion opérationnelle d’un club de football peut s’avérer plus compliqué que prévu ! Et cela peut provoquer quelques contrariétés par rapport au plan initial de développement.

Le principal risque est l’arrêt soudain des investissements. Cela crée une situation catastrophique, très difficilement gérable sur le plan financier. C’est notamment la situation vécue par Grenoble il y a quelques années. Lens a également failli connaître un tel scénario catastrophe avant le sauvetage du club par le groupe Solferino et l’Atletico de Madrid.

La DNCG a-t-elle les moyens d’éviter certaines difficultés liées aux processus de rachat de club ?

Dans le cas de clubs déjà rachetés par des actionnaires étrangers, la DNCG joue son rôle traditionnel de contrôle. Elle demande aux clubs de lui fournir ses documents comptables et auditionne les actionnaires. Sur la base de ces éléments et des garanties apportées, elle peut prendre toutes les mesures de gestion qui s’imposent si cela s’avère nécessaire : recrutement contrôlé dans le cadre d’un encadrement de masse salariale, interdiction de recrutement voire rétrogradation administrative.

Dans le cadre de discussions en vue de la reprise de clubs par des actionnaires étrangers, le rôle de la DNCG était jusqu’à présent relativement limité. Elle n’a en réalité qu’un pouvoir consultatif. Toutefois, elle suit les différentes procédures de très près. La DNCG cherche également à recevoir les futurs actionnaires quand le processus de vente est suffisamment avancé. Elle alerte les différentes parties sur leurs obligations à remplir. Mais la DNCG ne peut pas interdire une transaction. Elle n’a pas non plus les moyens de pouvoir enquêter sur la provenance des fonds. D’autres organismes sont chargés d’une telle mission dont TRACFIN.

Néanmoins, le pouvoir de contrôle de la DNCG sera étendu lors de l’entrée en vigueur de la loi visant à préserver l’éthique du sport, à renforcer la régulation et la transparence du sport professionnel et à améliorer la compétitivité des clubs récemment votée au Sénat. Le texte prévoit notamment que la DNCG assure « le contrôle et l’évaluation des projets d’achat, de cession et de changement d’actionnaires des sociétés sportives » (article 5).

Source photo à la Une : Pixabay.com (Noel_BauzaCC0 1.0)

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