Interview

« Tous les clubs de Premier League s’étaient positionnés contre le Brexit »

Nous publions aujourd’hui la deuxième partie de l’interview accordée par Philippe Auclair, Correspondant foot anglais pour RMC, France Football et SFR Sport. Au cours de cette seconde partie, nous avons évoqué les conséquences du Brexit sur le championnat anglais tout en revenant sur la concurrence exercée par la Liga Santander. Propos recueillis par Emmanuel Mériaux.

Vous parliez précédemment de l’impact du cours de la Livre Sterling sur l’économie de la Premier League. Pensez-vous que le Brexit aura d’autres conséquences sur le championnat ?

Les impacts du Brexit ne seront mesurables que lorsque celui-ci aura pris effet… et ce n’est pas pour demain. Nous sommes actuellement dans une situation pour le moins floue, avec beaucoup de décideurs de premier plan n’ayant pas la moindre idée de leurs prochaines actions.

En dehors de la dimension politique, le seul effet du Brexit pour l’économie du football actuellement est celui de la chute du cours de la Livre Sterling. Cela dit, lorsque l’on regarde la façon dont les contrats sont rédigés dans le football, il y a la plupart du temps des soupapes de sécurité pour éviter les conséquences fâcheuses de fluctuations brutales sur le marché des changes. Il est naturellement plus compliqué maintenant d’acheter des joueurs à des clubs européens, puisque leur valeur a de fait augmenté.

En ce qui concerne le Brexit en lui-même, si l’Angleterre ou le Royaume-Uni venait à quitter totalement l’Union Européenne, sans filet de sécurité, alors les conséquences seraient beaucoup plus sérieuses. Par exemple, des problèmes vont se poser au niveau de la gestion des copyrights et de la protection des images produites par la Premier League. Et c’est un sujet crucial pour la Premier League !

D’éventuels changements de procédures dans les contrôles douaniers ne seraient pas non plus sans conséquence. La Premier League attire environ 800 000 personnes par an avec ses matchs. Ces personnes en provenance de l’étranger contribuent de manière relativement significative à l’économie britannique, car ce sont évidemment des gens qui font marcher l’hôtellerie, la restauration et l’industrie des services de manière générale. Ce sont également des gens qui se rendent dans les magasins des clubs et qui y achètent des maillots. Les changements de réglementation pourraient donc décourager ces personnes.

Quelles seront les conséquences au niveau des permis de travail délivrés par le Ministère de l’Intérieur ? On ne le sait pas non plus. Si vous être intra-communautaire, vous pouvez travailler où vous voulez. Mais si jamais cela change et que les footballeurs de l’UE deviennent assimilables à des joueurs extra-communautaires, cela va créer une panique absolue car beaucoup de ces joueurs ne rempliraient absolument pas les critères exigés pour venir jouer en Angleterre. C’est un casse-tête ! Cela explique d’ailleurs pourquoi tous les clubs de Premier League, sans exception, s’étaient positionnés contre le Brexit.

Les fans anglais réclamaient dernièrement une baisse des prix des billets suite à la hausse des droits TV. Quelles sont les évolutions récentes à ce sujet ?

Ce type de demande a abouti au moins pour Everton : les nouvelles tarifications pour la saison 2017-2018 ont été dévoilées et les prix des abonnements sont en baisse.

Les prix des billets pour les supporters en déplacement ont également été limités. C’est quelque chose d’important pour le football anglais, pas uniquement culturellement, mais également pour l’ambiance au sein des stades. La limite a été fixée à 30 £, ce qui est assez raisonnable par rapport aux prix pratiqués dans les autres championnats européens. C’est d’ailleurs un prix inférieur à ce que les supporters français peuvent payer dans un certain nombre de parcages de Ligue 1.

Stoke a également décidé de subventionner le transport de ses fans. Arsenal, de son côté, a bataillé pour obtenir pour ses fans en déplacement des prix inférieurs à 30 £. Enfin, Liverpool est revenu sur sa décision de commercialiser des billets à 79 £ dans sa nouvelle tribune.

Donc visiblement, le dialogue est en place même si la billetterie représente une partie importante des revenus des clubs : environ un tiers pour Arsenal par exemple. Les clubs sont cependant conscients du fait que leurs principales sources de revenus proviennent des droits TV et des contrats commerciaux. Et pour alimenter ces deux sources de recettes, il faut des stades pleins avec beaucoup d’ambiance.

Maintenant, on peut constater que suivre certains clubs de Premier League coûte moins cher que de suivre certains clubs de Championship. Il y a encore beaucoup de progrès à faire, malgré les avancées évoquées. On est encore très loin d’assouvir toutes les revendications d’organisations comme la Football Supporters Federation (FSF) mais le dialogue est désormais en place.

La Premier League est connue pour être le championnat le plus riche d’Europe. Comment expliquez-vous qu’un grand nombre de très grands joueurs (dont Messi et Ronaldo) évoluent en Liga ?

Money talks. Le régime fiscal britannique n’est pas favorable aux joueurs. Il s’agit d’une fiscalité très lourde comparée aux autres pays européens, et en particulier à l’Espagne, même si la « Beckham rule » n’existe plus. Certains arrangements sont toujours possibles en Espagne.

Si on dresse la liste des 10 meilleurs joueurs évoluant en Europe, ils jouent pour la plupart en Liga. Les plus grandes stars de la Premier League sont parties en Espagne : Cristiano Ronaldo, Luis Suarez, Gareth Bale… Le championnat anglais a servi de rampe de lancement à ces superstars qui évoluent désormais en Liga.

Cependant, nous vivons actuellement dans une ère très particulière pour le football européen, avec le duel Ronaldo-Messi. Et je n’ai pas souvenir que nous ayons vécu une ère de ce type-là par le passé. Il n’y a jamais eu un tel duel entre deux hyperstars. Or, ces deux joueurs sont dans la dernière ligne droite, particulièrement Cristiano Ronaldo. Et pour le moment, je ne vois pas quel joueur pourrait prendre la succession. Neymar, je n’y crois pas une seconde. Luis Suarez est trop controversé. Gareth Bale est trop timide. Antoine Griezmann ne va pas rester longtemps en Espagne…

Dans le même temps, les clubs anglais vont commencer à se positionner sur des joueurs qu’ils n’avaient pas les moyens d’acheter. Qui avait les moyens de lutter contre le Real Madrid pour Cristiano Ronaldo ? C’était impossible. L’été dernier, pour la première fois, Manchester United a surenchéri de façon délirante pour Paul Pogba. Dans d’autres circonstances, Paul Pogba serait allé dans le championnat d’Espagne. La Liga vit un âge d’or dû à la qualité de ses représentants dans les compétitions européennes et à un système économique très particulier.

Cependant, je ne suis pas d’accord quand on dit que la Premier League ne récupère que des deuxièmes choix par rapport aux souhaits des grands clubs espagnols. Mesut Özil, Alexis Sanchez ou Juan Mata n’en sont pas. Ce que la Premier League a de plus au niveau des joueurs, c’est la densité. Si on observe le banc d’une équipe comme Stoke, c’est absolument incroyable : on y trouve des joueurs comme Shaqiri, Afellay… Pour Crystal Palace, qui est un club qui va très mal, on retrouve le gardien d’une équipe demi-finaliste de l’Euro (Wayne Hennessey, ndlr), Yohan Cabaye, Wilfried Zaha et Christian Benteke ! On ne voit cela dans aucun autre championnat. Je m’attends donc plutôt à ce que la Premier League attire les plus grands joueurs dans un futur proche. Gabriel Jesus illustre d’ailleurs cette évolution.

Pour relire la première partie de l’interview accordée par Philippe Auclair : https://www.ecofoot.fr/interview-philippe-auclair-premier-league-1823/

Source photo à la Une : Flickr.com – CC BY 2.0

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