Interview

« La plupart des sports majeurs, dont le football, aspirent à un renouvellement générationnel de leur communauté de fans »

esport football interview guillaume rambourg
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Pourquoi de plus en plus de clubs de football décident de tenter l’aventure dans l’univers de l’e-sport ? Ont-ils un intérêt à investir dans des jeux d’équipes, du type League of Legends, enregistrant de fortes audiences mais nécessitant des investissements plus importants ? Ecofoot.fr s’est entretenu avec Guillaume Rambourg, General Manager France de Riot Games – éditeur de League of Legends – au sujet des synergies à construire entre le monde sportif et l’univers de l’e-sport.

Plus d’une vingtaine de clubs de football sur le Vieux Continent ont lancé leur structure eSport au cours des dernières années, mais beaucoup d’entre eux se sont contentés de créer une équipe de gamers FIFA. Comment expliquez-vous cette frilosité manifestée par les clubs de foot à l’égard des titres connaissant les meilleures audiences dans l’univers de l’eSport ?

Avant de répondre plus en détails, je pense qu’il est bon de clarifier le contexte général autour du football et de l’e-sport. La plupart des sports majeurs, dont le football, aspirent à un renouvellement générationnel de leur communauté de fans. Les nouvelles générations (“Millenials” comme “Z”) ont tendance à délaisser la télévision traditionnelle et donc le sport, au profit d’activités plus numériques, tel que le jeu vidéo. Ainsi, la pratique compétitive de jeux vidéo (“e-sport”), de par sa nature mais aussi sa portée mondiale, avec des compétitions diffusées quasi-quotidiennement aux quatre coins du globe, représente pour les clubs de football l’opportunité de diversifier leur marque et de se rapprocher de ces jeunes générations.

Pour répondre à votre question, je pense que nombre de clubs voient le jeu FIFA comme un choix naturel pour se lancer dans l’e-sport car ils pensent qu’il s’agit là d’une diversification “à moindre risque” de leur marque et ce, pour deux raisons.

Premièrement, car FIFA, en tant que jeu vidéo de football, est perçu comme un prolongement logique de leur marque. Certains grands clubs européens, quasi-institutionnels, se disent qu’il s’agit là d’une opportunité de rafraîchir la perception de leur marque sans aliéner leurs supporters, investisseurs et sponsors historiques.

La deuxième raison est beaucoup plus pragmatique : la pratique e-sportive de FIFA ne nécessite l’emploi que d’un seul e-sportif. Il s’agit de ce fait d’un investissement à moindre coût, car nous parlons d’un jeu se pratiquant en solo.

Toutefois, en effet, les titres qui génèrent de loin le plus d’audimat sont ceux qui se jouent en équipe, tel que League of Legends, qui a généré 57.6 millions de spectateurs uniques en ligne lors de la finale des championnats du monde de novembre 2017, organisée au stade olympique (“Nid d’oiseau”) de Pékin. Le jeu voit deux équipes de 5 joueurs s’affronter. A échelle européenne et mondiale, ces équipes emploient en plus de cela un remplaçant, un coach, un préparateur physique et mental ou encore un directeur sportif.

Il s’agit là d’un investissement plus conséquent, mais avec la possibilité d’exposer sa marque à un public non seulement plus large en nombre, mais surtout plus diversifié par nature, puisqu’il comprend proportionnellement moins de fans de football de longue date que parmi les joueurs de FIFA. En d’autres termes, pour grossir le trait, ce public peut encore choisir quel sera l’équipe de football qu’il suivra à l’avenir. Il représente donc un vrai potentiel d’acquisition de nouveaux fans pour les clubs de football qui cherchent à améliorer la durabilité de leur marque.

Ainsi, des formations de football (Fenerbahce, Schalke 04) ou bien de NBA (Golden State Warriors, Miami Heats, Philadelphia 76ers), ont investi dans l’e-sport d’équipes, via le jeu League of Legends.

Le PSG a été un des rares clubs à lancer une équipe League of Legends. Mais le club parisien a mis fin à l’aventure début octobre, annonçant dans son communiqué que « le partage de revenus proposé par l’éditeur est très loin de compenser les coûts d’une structure avec une ambition européenne ». Comment fonctionne le partage des revenus lors des compétitions internationales de League of Legends ? Est-il possible pour un club de foot de gagner de l’argent uniquement via les dotations des compétitions ?

Notre écosystème est constitué de plusieurs sources de revenus, certaines étant dans les mains des équipes, d’autres proposées par Riot Games en complément. Le but ici étant de diversifier les sources de revenus afin que les équipes ne comptent pas uniquement sur d’hypothétiques victoires dans les tournois majeurs pour équilibrer leurs budgets.

Concernant les sources de revenus fournies par Riot Games, nous participons au budget annuel des équipes évoluant dans les compétitions continentales, sous la forme d’une “team subsidy”, un montant fixe payé aux équipes pour couvrir une partie des salaires des joueurs. C’est par exemple le cas pour les LCS (“League Championship Series”), qui sont notre championnat européen majeur, l’équivalent de la Ligue des Champions au football dans l’esprit (le format des compétitions n’étant pas exactement le même).

A cela s’ajoute d’éventuels gains additionnels compétitifs débloqués lors de nos tournois continentaux (tels les LCS) ou bien internationaux (tels les MSI ou nos championnats du monde, les “Worlds”) en fonction de leur performance. A titre d’exemple, le cash prize des derniers Worlds en Chine était d’un peu moins de 5 millions de dollars. Enfin, Riot propose un partage de revenus aux clubs sur la vente de contenu à leur effigie dans le jeu.

Hormis ces sources de revenus fournies par Riot, nous encourageons bien entendu les clubs à générer leurs propres sources de revenus telles que le merchandising, sponsoring, marketing, streaming de contenu ou encore par le biais d’investisseurs.

En effet, notre but stratégique est de permettre aux équipes professionnelles de ne pas uniquement compter sur les gains compétitifs pour se développer.  Nous souhaitons attirer un nombre croissant de sponsors majeurs et faire croître encore plus nos audiences, afin que les clubs puissent développer leurs marques et ainsi leurs revenus non-compétitifs.  Pour parvenir à ces objectifs, nous avons signé un deal de plusieurs années avec BAMTech (une plateforme de streaming et monétisation de contenus vidéo, qui s’occupe notamment de HBO GO ou encore de la ligue américaine de baseball). Ce contrat de plusieurs années nous permettra de partager les revenus de diffusion avec les équipes de certaines ligues, le but étant que ce contrat puisse couvrir un nombre croissant de ligues League of Legends, ce sur quoi nous travaillons.

Nous souhaitons pérenniser l’e-sport et ses clubs à long terme. Bien que l’e-sport professionnel à proprement parlé n’ait même pas 10 ans d’existence, il repose sur des titres qui rassemblent des centaines de millions de joueurs sur tous les continents, le jeu vidéo étant devenu en quelques décennies le produit culturel le plus consommé au monde. Le futur s’annonce captivant !

A l’avenir, les clubs de football seront-ils amenés à développer leur structure eSport, afin de disputer les plus grandes compétitions mondiales ? Ou se contenteront-ils d’évoluer au sein d’univers affinitaires (type FIFA), demandant moins d’investissements ?

La réponse appartient aux éditeurs de jeux se pratiquant en équipes, ceux-là même qui génèrent le plus d’audimat à l’heure actuelle. Si ces éditeurs souhaitent attirer un nombre grandissant d’équipes de football, ils devront non seulement proposer une vraie opportunité de diversification de marque aux clubs, mais aussi, des sources croissantes de revenus additionnels pouvant justifier un investissement à long terme. Pour se faire, l’équation est connue : l’e-sport doit générer suffisamment d’audimat pour attirer des sponsors et marques de renom, lesquelles ont justement besoin d’audimat. La théorie des vases communicants pour ainsi dire. D’où notre deal avec BAMTech.

A l’inverse du football, qui a conquis le monde en se propageant des villages vers les villes, de l’associatif vers les professionnels, l’e-sport a écrit les premières heures de son histoire via des tournois internationaux (“Worlds”), puis continentaux (“LCS”). Ce développement est principalement dû au caractère numérique de l’activité, les jeux vidéo permettant aux joueurs du monde entier de se retrouver pour une partie en ligne, ou regarder une compétition ensemble.

A l’avenir, l’e-sport cherchera à établir des écosystèmes nationaux, qui s’interfaceront dans cette pyramide continentale-mondiale. Les clubs de football, de par leur ancrage local fort, à même de fédérer toute une région derrière eux, représentent là une option intéressante pour les éditeurs de jeux vidéo ; tandis que ces derniers, de par leurs audiences et leurs compétitions globalisées (à titre indicatif, League of Legends est pratiqué sur tous les continents par plus de 100 millions de joueurs actifs tous les mois), représentent une opportunité pour les clubs de football de gagner en notoriété à l’étranger. Nous ne sommes qu’aux prémices de l’e-sport, mais je pense qu’il s’agit là d’une opportunité pour le football et le jeu vidéo de travailler ensemble à long terme.

Comment se positionne Riot Games par rapport au développement des structures eSport des clubs de foot ? Avez-vous des contacts avec eux ? Prodiguez-vous des conseils pour favoriser leur incursion dans ce nouvel univers ?

Notre écosystème est ouvert à tous types d’acteurs. Actuellement, il combine des équipes endémiques, qui sont soit des clubs fondés par des professionnels passionnés par le jeu vidéo (ex: Fnatic, Unicorns of Love, H2K, G2) ou bien des sponsors (ex: SK Telecom, Roccat), mais aussi des équipes qui viennent du sport traditionnel (Schalke 04, Fenerbahce, Golden State Warriors, Philadelphia 76ers).

Nous avons des relations avec d’autres clubs de football, français comme étrangers, afin de connaître leurs attentes et aussi partager avec eux notre vision de l’évolution de cet écosystème. Nous sommes aussi en mesure de partager des conseils sur comment monter une équipe, les budgets prévisionnels requis, les opportunités et challenges qu’offre l’e-sport actuellement, les attentes des joueurs dans le monde… Notre but est d’avoir des discussions honnêtes, afin d’établir des relations pérennes avec les clubs et ainsi faire d’eux des partenaires avertis qui nous aideront, au même titre que les équipes endémiques au gaming, à développer l’e-sport dans les décennies à venir. Nous ne cherchons pas à créer une bulle spéculative mais bien à structurer toute une discipline, jeune mais à très haut potentiel de croissance.

Hormis la possibilité de diversifier leur marque et d’atteindre de nouveaux publics à échelle continentale ou mondiale, l’e-sport représente aussi pour ces clubs la possibilité de diversifier l’expérience qu’ils proposent à leurs fans à échelle nationale. Faire venir les spectateurs plus tôt au stade les soirs de championnat, diffuser les rencontres e-sport en ligne entre deux journées de Ligue 1, ce ne sont pas les idées qui manquent. A cet effet, nous avons d’ailleurs créé le France Open Tour, un circuit national en France, à l’image du circuit ATP, constitué de 7 évènements sur l’année un peu partout en France. Il qualifie pour un futur tournoi européen que nous détaillerons bientôt et qui aura lieu en parallèle des LCS. Ce circuit est ouvert à tous, joueurs amateurs enthousiastes, tout comme des structures pros qui souhaitent se lancer dans l’e-sport à échelle française. Nous serions ravis de répondre aux questions des clubs de football en la matière !

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