Amazon Ligue 1 interview
Interview

Pourquoi Amazon investit-il dans les droits TV du football français ?

Icon Sport

Au mois de juin dernier, la Ligue de Football Professionnel a surpris son monde en choisissant l’offre formulée par Amazon pour attribuer les lots de droits TV domestiques laissés vacants par Mediapro pour la période 2021-24. Si la LFP a justifié son choix par l’impossibilité de laisser filer un acteur aussi puissant tel qu’Amazon et une somme fixe annuelle plus élevée par rapport à l’offre globale émise par le tandem Canal + / BeIN Sports ; la direction d’Amazon a jusqu’à présent peu communiqué sur ses réels objectifs liés à l’acquisition des droits TV de L1. Lors d’un entretien accordé à Ecofoot, Julien Pillot, Economiste et Enseignant-Chercheur à l’Inseec Grande Ecole, revient sur les motivations qui ont pu pousser Amazon à miser sur le football professionnel français.

Au terme d’une commercialisation délicate et menée dans l’urgence en raison de la défaillance de Mediapro, la Ligue de Football Professionnel a finalement choisi de confier la diffusion de 80% de la L1 et de la L2 pour la période 2021-24 à Amazon contre un montant de l’ordre de 260 M€ par saison. Comprenez-vous la décision de la LFP ? Pouvait-elle refuser l’offre d’un acteur aussi puissant qu’Amazon ?

De nombreux aspects de la procédure d’attribution des lots m’apparaissent troublants. Rappelons que deux options se présentaient à la Ligue :

Une option avec Amazon, où l’entreprise américaine récupérait les lots jadis détenus par Mediapro et où Canal+ (via un contrat de sous-licence conclu avec BeIN Sports) conservait le lot n°3… au prix déterminé lors de l’appel d’offre précédent

Une option sans Amazon, où le tandem Canal+/BeIN Sports récupérait l’intégralité des droits de diffusion.

Sur le plan strictement quantitatif, la Ligue était fondée à choisir l’offre d’Amazon dans la mesure où celle-ci était légèrement supérieure à celle de Canal+/BeIN Sports – 663 M€ garantis contre une somme comprise entre 595 M€ et 673 M€ selon le nombre d’abonnements générés. Quoique, même sur le plan strictement financier, la Ligue a pris quelques risques. Sur le court terme, elle a parié sur le fait que ni Canal+ ni BeIN Sports ne pourraient faire invalider le contrat de diffusion les liant à la Ligue jusqu’en 2024 pour le lot 3. Sur le long terme, elle a pris le risque de se couper irrémédiablement de deux diffuseurs solides, sans avoir la certitude de pouvoir fidéliser Amazon.

« Difficile de valoriser un produit qui n’est vu que par une poignée de téléspectateurs… »

Mais c’est vraiment sur le plan qualitatif que la décision de la Ligue m’interroge le plus, tant il semble que cette dimension inhérente à toute procédure d’appel d’offres n’a pas obtenu toute la considération qu’elle aurait dû recevoir. Par « qualitatif », il ne faut pas uniquement comprendre « qualité de l’image ou de l’éditorialisation » – Amazon a démontré, avec Roland Garros ou les compétions sportives US, un certain savoir-faire en la matière – mais bien capacité à assurer la « visibilité et la promotion du produit ». Dans cette optique, l’option « avec Amazon » n’offre pas toutes les garanties. D’une part, car Amazon part d’une feuille blanche et va devoir démontrer sa capacité à se légitimer en tant que diffuseur – rappelons que les audiences réalisées sur Roland Garros ont été plutôt confidentielles – et à générer des abonnements, quand Canal+ et BeIN Sports disposent d’une base installée solide. D’autre part, parce que le morcellement de l’offre entre plusieurs diffuseurs alourdit la facture pour les consommateurs ce qui, dans un contexte de grande accessibilité des moyens de contournement (streaming et IPTV), est un risque de voir flamber les retransmissions illicites, ou d’invisibiliser la compétition. Difficile de valoriser un produit qui n’est vu que par une poignée de téléspectateurs… L’avenir nous dira si le delta de valorisation proposé par Amazon valait tous les risques encourus par la Ligue en portant son choix sur le géant américain.

Reste que dans cette équation, le contribuable semble également avoir été oublié puisque confier la Ligue 1 à Amazon revient à préférer un champion de l’optimisation fiscale au détriment d’un opérateur historique qui contribue, en outre, largement au financement de la politique d’exception culturelle. Or, d’aucuns pourraient se demander si, en tant qu’entité fille de la FFF titulaire d’une délégation de service public, la LFP ne devrait pas également inclure l’intérêt général dans sa réflexion. Si la réponse à cette interrogation est positive, alors la question n’est plus « la Ligue pouvait-elle refuser une offre émanant d’Amazon », mais plutôt « la Ligue aurait-elle dû refuser un telle offre » ?

Julien Pillot
Pour Julien Pillot, la LFP ne s’est pas assez interrogée sur le volet qualitatif de l’offre émise par Amazon

Je ne saurais répondre catégoriquement à cette question, notamment car il n’est pas interdit de penser que certains accords contractuels et garanties aient pu être conclus entre la LFP et Amazon sans que les parties aient jugé utile de les dévoiler pour l’heure. Mais au regard de l’ensemble des éléments susmentionnés, j’ai le désagréable sentiment que la procédure d’attribution des droits TV ait pu être – au moins en partie – parasitée par des problèmes extra-économiques impliquant des partenaires de longue date – la LFP et Canal+ notamment – dont les relations se sont passablement dégradées depuis l’attribution des droits TV à Mediapro…

Pourquoi Amazon a-t-il décidé d’investir dans les droits TV du football professionnel français ? Amazon va-t-il se servir du football professionnel français comme d’un laboratoire pour apprendre à exploiter et rentabiliser des droits audiovisuels sportifs ?

Pourquoi Amazon investit-il dans les droits TV du football français ?
To Top
Send this to a friend