Interview

« Le football professionnel français a un gros challenge à relever »

Ecofoot.fr a eu la chance cette semaine de s’entretenir avec Michel Seydoux, ancien Président du LOSC. Au cours de cet entretien, nous avons abordé le niveau actuel des recettes télévisuelles perçues par le football professionnel français tout en évoquant les aménagements à mettre en place pour dynamiser la croissance des revenus médias de la Ligue 1.

Le montant des droits TV domestiques actuellement perçus par le football professionnel français (748,5 M€ par saison pour le cycle 2016-20) est-il conforme aux données du marché ?

La réponse est non. Même s’il n’existe pas vraiment de « prix du marché ».  Et c’est toujours un exercice périlleux de comparer les droits audiovisuels des différents championnats européens.

Toutefois, le montant obtenu par la Ligue 1 est faible compte tenu des conditions dans lesquelles l’appel d’offres a été lancé en 2014. La tension entre Canal + et BeIN Sports était alors à son paroxysme.

Après, nous savons que l’appel d’offres a été biaisé par une intervention politique. Des tractations ont été menées pour que BeIN Sports et Canal + obtiennent un partage équitable des droits de la Ligue 1. La LFP n’a alors pas obtenu le juste prix concernant la commercialisation des droits TV de ses compétitions pour la période 2016-20.

Pourquoi la LFP a-t-elle décidé en 2014 d’anticiper sa procédure d’appel d’offres concernant la commercialisation des droits TV de L1 et L2 pour la période 2016-20 ? Le choix du timing était-il opportun ?

A l’époque j’ai eu la chance de faire partie à la LFP de la Commission chargée de préparer cet appel d’offres. Nous avions beaucoup réfléchi avant de prendre une telle décision. La décision d’anticiper la procédure faisait l’unanimité au sein de la Commission.

Selon nos prévisions, nous souhaitions profiter de l’intense concurrence que se livraient alors Canal + et BeIN Sports dans l’acquisition de droits TV sportifs premiums. C’est vrai qu’il y avait déjà des bruits de couloir annonçant une possible entrée d’Altice sur le marché. Mais nous n’étions pas au courant précisément de leurs projets. De plus, un opérateur n’entre jamais sur le marché en clamant haut et fort qu’il va acquérir des droits premiums. Nous pensions alors que la concurrence entre les deux acteurs déjà présents suffirait à revaloriser de façon significative les droits TV de la compétition.

La LFP parviendra-t-elle à accroître fortement ses droits TV domestiques concernant le cycle 2020-24 ?

La LFP ne pourra plus s’appuyer exclusivement sur la concurrence Canal +/BeIN Sports pour augmenter ses droits TV. Les deux acteurs ont d’ailleurs failli officialiser un accord de distribution au printemps dernier, qui a néanmoins été invalidé par l’Autorité de la Concurrence.

Cependant, le secteur est en pleine mutation ! Demain, les compétitions sportives ne seront plus diffusées de la même manière. Nous observons actuellement un phénomène de convergence entre les plateformes et les ayants droits.

Les acteurs du web comme Amazon, Facebook, Netflix… font progressivement leur entrée dans le secteur des droits audiovisuels sportifs. Les stratégies de fidélisation de ces acteurs passent par l’acquisition de droits TV sportifs.

Et ces acteurs du web possèdent de phénoménales capacités d’investissements ! Netflix vient de franchir la barre des 100 millions d’abonnés (!) dont déjà près d’un million en France. Le marché change de dimension par rapport à nos opérateurs classiques.

D’ailleurs, au-delà du spectacle produit, la Premier League doit ses importants revenus télévisuels domestiques à la puissance de ses diffuseurs. La convergence entre secteur télécom et groupe audiovisuel est plus avancée au Royaume-Uni et un groupe comme Sky compte beaucoup plus d’abonnés que Canal + par exemple.

Concrètement, comment la Ligue 1 peut tirer profit des mutations du secteur audiovisuel ?

En France, j’ai l’impression parfois que nous sommes trop passifs dans la commercialisation des droits audiovisuels de nos compétitions. Et cette remarque ne concerne pas exclusivement le football. Quand on pense détenir un bon produit, on imagine que les enchères vont grimper automatiquement. Mais ce n’est pas toujours aussi simple.

Le football professionnel français a un gros challenge à relever lors du prochain appel d’offres. Et pour atteindre tous les objectifs, il sera nécessaire de bâtir une équipe très solide composée d’experts du secteur et en capacité de mener à bien tout le travail nécessaire en amont pour optimiser la valeur des droits audiovisuels des compétitions.

Et il y a énormément de travail à accomplir pour réussir cette mission. Cela ne suffit plus de mandater des cabinets d’audit/marketing afin d’accomplir des études pour retravailler à la marge notre produit. Il faut s’attaquer à de multiples facteurs (réseautage avec les potentiels nouveaux entrants, entretien de bonnes relations avec les diffuseurs actuels, questionnement sur le format des compétitions, étude sur la durée des cycles de commercialisation…) pour accélérer la croissance des revenus médias de la Ligue 1.

L’arrivée de Didier Quillot, provenant du secteur des télécommunications, peut-elle apporter une plus-value dans la négociation des prochains droits TV ?

Pour obtenir une plus-value, il faut une équipe. Un très bon capitaine ne suffit pas. De plus, l’organisation actuelle de la gouvernance du football professionnel français ne permet pas, à mon sens, d’optimiser la vente des droits audiovisuels et commerciaux de la Ligue 1.

Quelle organisation prônez-vous ?

Le problème de la LFP, c’est qu’elle est prise entre deux feux. D’une part, elle assure les missions régaliennes en définissant les règlements, en s’assurant de l’équité des compétitions… D’autre part, elle gère également les sujets commerciaux. Or, vous ne demandez jamais à un juge d’être commerçant !

Aujourd’hui, je pense qu’il est nécessaire de créer une société commerciale qui gère le patrimoine collectif de la Ligue 1, sur le modèle de la Premier League. Avec une telle organisation, le championnat anglais dispose d’une machine de guerre commerciale en capacité de conquérir des parts de marchés dans tous les secteurs.

A-t-on une chance de mettre en place cette société commerciale avant le prochain appel d’offres des droits TV ?

Tous les ingrédients sont réunis pour faire avancer ce sujet. Nous avons maintenant besoin d’un rapprochement entre les deux syndicats réunissant les clubs professionnels (Première Ligue et l’UCPF) afin de donner un coup d’accélérateur aux dossiers. Puis, deux sociétés commerciales, l’une pour la L1, l’autre pour la L2, pourraient voir le jour. Les bonnes volontés sont là ! Maintenant, il ne faut pas avoir peur de prendre les décisions et les faire appliquer.

Source photo à la Une : Capture vidéo Youtube

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