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La mort du contrat à vie, tournant du football professionnel français

fin contrat à vie footballeurs
artnana / Shutterstock.com

Si Mai 68 fut avant tout marqué par des revendications étudiantes et ouvrières, cette période représenta également une fenêtre de tir pour les footballeurs qui voulurent faire entendre leurs voix. Et notamment afin d’œuvrer à la suppression du contrat à vie, qui permettait aux clubs d’avoir une emprise totale sur les joueurs. Rétro par Guillaume Monteiro.

« Les joueurs sont des esclaves ! ». Si cette phrase peut paraitre aberrante aujourd’hui, elle l’était bien moins en 1963, lorsqu’elle sortit de la bouche de Raymond Kopa. Ces mots, qui valurent six mois de suspension au français, furent le détonateur permettant aux footballeurs évoluant en France de lancer la fusée de la révolte contre leur statut professionnel. Avec en première ligne de leurs contestations le contrat à vie, qui liait le joueur à son club jusqu’à ses 35 ans, sans aucune possibilité d’influer sur son avenir. Et à cela, s’ajoutait la question du salaire des footballeurs, qui n’était en moyenne que 20% plus élevé que le salaire minimum de l’époque. Le joueur de football n’était donc qu’une vulgaire marchandise qui devait suivre le bon vouloir de son employeur, n’ayant aucun pouvoir de négociation.

Les choses évoluent pour la première fois en 1964 avec la mise en place d’un régime de prévoyance permettant aux joueurs de toucher une prime en fin de carrière. Puis en 1967, le principe même du contrat à vie est reconnu comme étant illégal par les instances, sans que cela ne change cependant rien à la situation des footballeurs. C’est ainsi qu’un groupe de footballeurs, soutenu par la revue « Miroir du football » (réputé pour être proche du Parti communiste), va décider de se faire une place au sein des évènements de Mai 68 pour revendiquer leurs droits.

« Le football aux footballeurs »

Le 22 mai 1968, une petite centaine de joueurs se rendent donc au 60 de l’avenue Iéna afin d’installer un véritable siège au sein des locaux de la Fédération Française de Football. Pierre Delaunay et Georges Boulogne, respectivement secrétaire général et sélectionneur national de la Fédération, vont même être retenus dans des salles isolées, avant d’être rapidement libérés. En effet, les contestataires voulaient que le public ait l’image d’une grève pacifiste, et ainsi ne pas dégrader l’image d’un football qui n’était pas forcément porté en triomphe dans les mœurs de l’époque.

La grande majorité de ces protestataires sont des joueurs amateurs issus de clubs de la région parisienne, hormis André Mérelle et Michel Oriot, tous deux joueurs professionnels au Red Star. Autour des deux slogans forts que sont « Le football aux footballeurs » et « La Fédération, propriété des 600 000 footballeurs », ces derniers vont tenter de convaincre l’opinion du bien fondé de leur lutte. Notamment avec la mise en place d’un tract programme du comité d’action des footballeurs, distribué aux passants et regroupant l’ensemble de leurs motivations et objectifs. Outre le contrat à vie, c’est également le fait de voir une Fédération rongée par les privilèges et le favoritisme qui est dénoncé.

Au sein des locaux occupés, les joueurs vont alors organiser des débats et autres projections pour sensibiliser le public au beau jeu. Dans son livre Une histoire populaire du football, Mickaël Correia décrivait ainsi la transformation de la FFF en une « véritable agora démocratique » ; centre de discussions auxquelles se succèdent parfois « des parties de foot sauvage sur la très pimpante avenue de Iéna ».

Des conséquences positives sur le statut des footballeurs en France

Le siège au sein de la FFF prend fin le 27 mai, après plusieurs jours d’occupation. Si la contestation des footballeurs s’est limitée (en grande partie) à la ville de Paris, elle va permettre une prise de conscience globale. Appuyés par l’Association Française des footballeurs, créée quelques années plus tôt par Just Fontaine et Eugène N’Jo Léa, les joueurs voient ainsi la mise en place du contrat à temps en juillet 1969, signant ainsi une avancée significative pour les droits des footballeurs. Par la suite, l’abolition du contrat à vie va également gagner les pays voisins de la France. D’abord en Angleterre en 1978 sous l’impulsion de Billy Bremner, mythique joueur écossais et capitaine de Leeds United durant de nombreuses saisons. Puis cela se généralise à l’ensemble de l’Europe, sauf à l’Est où il faudra attendre l’éclatement des régimes communistes pour que cela soit mis en place.

Quatre ans plus tard, en 1973, les instances françaises, sous l’impulsion de Philippe Séguin, établissent une Charte du football professionnel, qui fera office de convention collective. Aujourd’hui, elle est présentée par l’UNFP comme étant un moyen de régler les « rapports entre la Fédération française de football ou la Ligue de football professionnel d’une part, les organismes employeurs concernés d’autre part et les salariés relevant des métiers du football de dernière part ».

Ainsi, l’action des footballeurs contestataires de Mai 68 fut loin d’être vaine, et permis une prise de conscience globale autour du statut des footballeurs. Cela fut également l’un des premiers évènements illustrant une intégration sociale du football en France, ce dernier prenant part de manière active à l’action nationale. Dans un contexte où le footballeur devait se contenter de jouer sans rien dire et où le sport se voulait apolitique (notamment dû à l’impact d’une presse sportive généraliste assez conservatrice), on peut légitimement penser que cet évènement permit une évolution positive du football dans les mentalités.

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