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La ligue fermée encourage-t-elle l’incertitude du résultat sportif ?

En Europe, l’organisation du sport professionnel suit une logique pyramidale entre les différentes équipes participantes : la structure est divisée en divisions classées par niveau et, telle une évolution hiérarchique, les meilleures se maintiennent au sommet et les moins bonnes descendent à des niveaux inférieurs.

Globalement, la majorité du public Européen soutient ce modèle, considérant qu’il répond à un soutien de la méritocratie, du spectacle sportif et de l’égalité : tout le monde aurait le droit d’atteindre les sommets et seule la performance sportive compte.

Cela s’oppose totalement au système Américain des ligues fermées, sans relégation et sans organisation pyramidale. A l’origine, l’idée des promoteurs Nord-Américains était de promouvoir l’efficacité économique avant l’efficacité sportive. Le sport étant vu comme un divertissement avant un combat, il fallait défendre la force de l’organisation et inviter le plus grand nombre d’investisseurs.

En proposant des ligues fermées, l’incertitude de la relégation et du résultat s’effacent au profit de la maximisation économique, aucune crainte de descendre, aucune crainte de perdre ses investissements et aucune crainte de disparaitre dans les bas-fonds sportifs.

Les championnats fermés, comme la MLS ou la NBA, offrent un nombre de places précis pour les clubs, sous la forme de franchise, et les mettent en vente sur un marché. De cette manière, il n’y aurait pas de rente de situation  où seuls les meilleurs auraient le droit de participer. C’est la force de l’argent où le plus offrant obtient le ticket d’entrée.

Toujours dans cette logique purement économique, les dirigeants des ligues Américaines se sont rendus compte que ce qui attirait le plus les spectateurs était le suspense, l’équilibre compétitif. Plus une compétition offre une certaine incertitude de résultat, des matchs tendus sans rapport de force inégal, plus le public vient en masse.

Ainsi, depuis 1922 et une décision de la Cour Suprême Américaine, considérant que « tant qu’un marché soutient le bien-être social, il n’a pas à respecter les lois sur la concurrence », les ligues sportives ont imposé des réglementations particulières : draft, salary-cap et luxury-cap.

La première, la draft, est une organisation institutionnelle du marché des transferts des jeunes joueurs, ceux n’ayant jamais évolué dans le championnat professionnel. Ici, pour respecter l’équilibre compétitif, les derniers de la saison précédente sont prioritaires sur l’offre d’achat. En d’autres termes, les clubs classés aux dernières places, ceux qui auraient logiquement les plus mauvais joueurs, sont ceux qui peuvent, la saison suivante, acheter les jeunes les plus prometteurs.

Ensuite, le salary-cap, aussi appliqué en Europe dans le rugby, est le contrôle de la masse salariale imposant un plafond total à ne pas dépasser. Lors de la saison 2014, par exemple, les clubs de MLS ne pouvaient pas dépasser une masse salariale totale de 3 millions de dollars. Et ce dans le but d’éviter un déséquilibre entre des clubs riches et des clubs pauvres.

Néanmoins, le championnat de foot Nord-Américain a autorisé, depuis l’arrivée de David Beckham en 2007, à ce que chaque club ait au maximum 2 joueurs dépassant la rémunération moyenne. Cela avait été fait dans le but d’attirer les stars Européennes et développer le foot aux Etats-Unis. Désormais, le règlement a été assoupli et les franchises sont autorisées à recruter jusqu’à 3 joueurs désignés.

Enfin, la luxury-tax, pas instaurée en MLS mais très présente en NBA, est une taxe Pigouvienne imposée dès lors que le club dépasse la masse salariale maximale autorisée. Encore une fois dans le but d’éviter des écarts de niveau trop importants dans le sport et d’inciter les clubs à renoncer à des paiements de salaires trop lourds.

Résultat, le sport US est l’un des plus incertains au monde mais aussi l’un des plus rentables. L’équilibre compétitif est garanti, il n’y a quasiment jamais de club champion deux fois d’affilé et tout le monde a une chance de remporter le championnat au moins une fois. De plus, les équipes dégagent des bénéfices inégalés par les équipes Européennes.

mls los angeles galaxy

Le champion conserve assez rarement son titre en MLS même si les Los Angeles Galaxy sont déjà parvenus à réaliser cet exploit

On parle même d’une « randomisation du champion » en NFL, le championnat de foot US. L’équilibre compétitif étant tellement garanti que toutes les équipes attendent de remporter le titre, elles seront championnes un jour quoiqu’il arrive.

Pourtant, en Europe, dans les 5 grands championnats, on estime qu’il y a, au minimum, 70% de chance que les 4 clubs les plus riches du pays soient champions à la fin de la saison. Ce chiffre atteint 90% pour l’Angleterre et l’Espagne.

L’autre souci est la pérennisation des déséquilibres et la défense des positions. En Europe, avec une ligue ouverte, on s’imagine que tout le monde a une chance de l’emporter et qu’on récompense seulement le résultat sportif. C’est la méritocratie : une équipe s’est battue, elle l’emporte, elle n’a rien, elle descend, c’est de sa faute.

Or, ce système maintient les écarts par la redistribution inégalitaire : les premiers obtiennent les meilleures dotations financières, se qualifient en coupe d’Europe et empochent une prime de situation alors que les derniers touchent des gains faibles, n’optimisent pas leurs recettes et disparaissent de l’appareil médiatique.

Les économistes Simon Kuper et Stefan Szymanski en Premier League et Bastien Drut en ligue 1 ont étudié le rapport entre masse salariale et résultat sportif et ont constaté, entre 2000 et 2010, une corrélation de plus de 80% entre les deux données. Plus un club présente une masse salariale élevée, plus il optimise ses chances de résultats.

Les positions sont actées. Ce sont quasiment toujours les mêmes qui sont champions, toujours les mêmes qui se qualifient en coupe d’Europe et toujours les mêmes qui regroupent le meilleur budget pour acheter les meilleurs joueurs et maintenir leur position. Il y a « une crise de l’ascenseur social sportif ».

Pour la plupart des économistes, tel que Jean-François Bourg, Jean-Jacques Gouguet ou Stefan Szymanski, l’Europe devrait s’inspirer des ligues fermées Nord-Américaines, car le foot Européen tend à une segmentation de son marché, entre les puissants, au sommet de la pyramide, et les autres.

Il faudrait une grande réforme de son système pour rétablir l’équilibre compétitif, cela va demander du temps mais surtout beaucoup de courage …

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