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La théorie économique du « O-Ring » est-elle applicable au football ?

Il y a 30 ans, le 28 janvier 1986, explosait en plein vol la navette spatiale Américaine Challenger, 73 secondes seulement après son décollage, et tuait sur le coup les 7 astronautes à bord. L’accident fut retransmis en direct à la télévision et des millions de personnes à travers la planète assistèrent à ce terrible événement.

Après des mois d’enquêtes, menées par la commission Rodgers, et une interruption de 32 mois du programme de recherche spatiale Américain, les résultats pointèrent du doigt une défaillance au niveau des propulseurs du vaisseau : un simple joint torique avait cédé à cause du froid, lors de l’entrée dans l’atmosphère, et laissa le carburant s’écouler. Celui-ci rentra en contact avec les réacteurs, s’en suivit une déstabilisation des moteurs et une explosion de la navette.

L’erreur en incombe donc à un seul joint. Un tout petit objet d’une valeur de moins d’une centaine de dollars a causé la destruction d’un vaisseau entier et surtout la mort de 7 personnes.

Quelques années plus tard, en 1993, l’économiste Américain Michael Kremer publia l’article « The O-Ring Theory of Economic Development » reprenant les évènements de l’accident Challenger. Dans son étude, Kremer y développe la théorie « O-Ring » (NDRL : « joint torique » en anglais) : dans un processus productif complexe, comme une entreprise, les résultats ne sont pas déterminés par la somme des productivités individuelles ou par la moyenne des compétences, mais par la capacité à ce que l’ensemble du groupe fasse le moins d’erreurs possibles.

Normalement, les conséquences d’un travail productif dépendent de l’action de chacun des membres du système. Les travailleurs ayant un niveau de productivité ciblé, les résultats dépendront de l’agrégation de tous. Dans une usine, chacun participe, à sa manière, à la réalisation de la production, la somme des intérêts particuliers fait l’intérêt collectif. Même si un seul élément vient grever la bonne dynamique, elle sera toujours rattrapée et corrigée par l’action des autres.

Exactement comme dans une équipe de foot. Le résultat d’un match correspond à la somme des compétences de chaque joueur, la meilleure équipe est celle qui regroupe le meilleur joueur possible. « Même avec 10 chèvres, si Messi est avec nous, on peut tout gagner ».

Or, comme l’indique Kremer et comme le prouve l’accident Challenger, le moindre petit détail peut avoir des conséquences désastreuses. Dans le cas du vaisseau Américain, c’est un joint torique qui a provoqué l’explosion et la fin d’un projet vieux de 10 ans. Malgré des milliards de dollars en recherche et développement dépensés, malgré d’immenses précautions prises dans la formation et l’entrainement des astronautes, l’accident est arrivé à cause d’une seule chose.

Quant à l’équipe de foot, si Messi n’a pas derrière lui le bon coéquipier qui lui fait la passe au bon moment, le bon milieu qui récupère le ballon au centre du terrain, le bon défenseur qui stoppe toutes les attaques adverses et le bon gardien qui bloque tous les tirs de l’adversaire, le groupe ne pourra jamais gagner.

Les résultats ne dépendent pas de la somme des compétences ou de leur moyenne, si on a 10 joueurs de niveau international et 1 seul élément perturbateur, l’équipe n’a pas la garantie de remporter tous ses matchs. Le Paris Saint Germain l’a prouvé en novembre dernier en perdant son match contre le Real Madrid sur une simple erreur de son gardien Kevin Trapp.

En 2002, ce même PSG avait dans ses rangs l’un des meilleurs joueurs du moment, le Brésilien Ronaldinho, futur Ballon d’Or. Or, en deux saisons au club, il n’a remporté aucun trophée et n’a jamais joué la Ligue des Champions. Même avec un très grand talent, on ne peut rien faire.

De l’autre côté des Pyrénées, le Real Madrid de Florentino Pérez a construit, au début des années 2000, une équipe de « Galactiques » à coup de plusieurs dizaines de millions d’euros. Son mantra était « la meilleure défense c’est l’attaque » : pas la peine de construire et d’acheter des joueurs à vocation défensive, moins médiatisés et donc moins « bankable », il faut miser tout sur l’attaque (Zidane, Figo, Beckham, Owen, Ronaldo, Raul, etc.), l’équipe mettra toujours un but de plus.

C’était la politique du Cracks y Pavones, associer les superstars avec les jeunes défenseurs formés au club. Les stars devront couvrir les erreurs des jeunes et les aider à s’améliorer.

Sauf que le président Pérez sera poussé vers la sortie en 2006 suite aux mauvaises performances de son équipe et les échecs successifs en ligue des Champions. Même le directeur sportif du Real, l’Italien Arrigo Sacchi, nommé en 2005, ne croyait pas à cette politique. D’après lui, « on ne cherche qu’à exploiter les qualités individuelles, les joueurs ne pensent pas au collectif. […] Mais c’est contraire à l’idée même du football. On n’additionne pas les talents pour espérer gagner, la courbe d’efficacité n’est pas exponentielle. Il faut faire confiance au jeu, à la tactique, au travail collectif : c’est le seul moyen d’obtenir l’effet multiplicateur tant recherché ».

La théorie du « o-ring » suppose que les meilleurs doivent être avec les meilleurs, certes, mais à tous les niveaux. Le niveau de production sera le plus élevé possible si et seulement si l’équipe est constituée des meilleurs éléments, parmi toutes les strates du processus productif. Si cela n’est pas respecté, l’équilibre risque de se rouiller et de réduire l’optimum social.  Les fautes des uns ne sont pas rattrapables par les actions des autres, c’est la globalité du système qui doit fonctionner en harmonie pour maximiser l’utilité collective. Telle une épine dans le pied, un tout petit défaut empêche un ensemble d’avancer dans les meilleures conditions.

L’accident Challenger n’est pas dû à une erreur humaine ou un manque d’investissement. C’est seulement la faute d’un tout petit joint torique …

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Source photo à la Une : © PSG – Paris Saint-Germain (Facebook)

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