Politique / Droit

La FIFA va-t-elle précipiter le retour de la TPO ?

FIFA retour TPO
Yuri Turkov / Shutterstock.com

La tierce propriété va-t-elle revoir le jour sous une nouvelle forme ? Proscrite depuis le 1er mai 2015, une décision dernièrement rendue par la Commission de Discipline de la FIFA pourrait remettre en cause partiellement son interdiction. Décryptage par Shervine Nafissi.

Dans un communiqué de presse, la Commission de Discipline de la FIFA a décidé qu’un joueur de football ne doit plus être considéré comme « un tiers » selon la définition 14 et l’art. 18ter du Règlement FIFA sur le Statut et le Transfert des Joueurs (RSTJ). Dans quatre cas distincts que ladite Commission a eu à traiter, des clubs avaient conclu des accords avec leurs propres joueurs afin de permettre à ces derniers de recevoir une indemnité, forfaitaire ou un pourcentage, dans le cas d’un futur transfert auprès d’un autre club.

Cette décision a de quoi surprendre. En effet, la définition 14 RSTJ dit précisément qu’un tiers est une « partie autre que les deux clubs transférant un joueur de l’un vers l’autre, ou tout club avec lequel le joueur a été enregistré ». Pour rappel, lors de l’entrée en vigueur le 1er mai 2015 de l’art. 18ter RSTJ, les parties prenantes du football mondial avaient vivement critiqué le fait que le joueur soit considéré comme un tiers. A ce titre, il peut être utile de rappeler que de nombreuses législations nationales en droit du travail permettent aux travailleurs de participer aux résultats de l’exploitation de l’entreprise pour laquelle ils sont salariés. On peut citer en exemple l’article 322a du Code suisse des obligations ou l’article 3321-1 du Code français du travail. Dès lors, il paraît normal qu’un joueur professionnel puisse recevoir une partie de sa propre indemnité de transfert.

Le changement de ce paradigme a toutefois des conséquences bien plus importantes, principalement sur la pratique des Third-Party Ownership (TPO). Interdite depuis le 1er mai 2015, elle consistait à ce qu’une tierce partie – par exemple une société d’investissement – prête de l’argent à un club en échange d’un pourcentage sur la future indemnité de transfert d’un joueur sous contrat. La pratique permettait aux clubs d’obtenir des fonds supplémentaires pour augmenter leur compétitivité. Pour les tierces parties, elle consistait en un moyen d’effectuer des investissements avec des plus-values conséquentes à court terme[1]. Après de nombreuses pressions exercées notamment par l’UEFA et la FIFPro, l’art. 18ter RSTJ a été introduit par la FIFA afin d’interdire aux clubs d’entrer en relation avec un tiers lui permettant de prétendre à une indemnité payable en relation avec le futur transfert d’un joueur ou de se voir attribuer tout droit en relation avec un transfert ou une indemnité de transfert futur(e).

Le fait de ne plus considérer un joueur comme un tiers est susceptible de relancer la pratique des TPO sous un nouveau jour et, dans le pire des scénarios, vider l’art. 18ter RSTJ de sa substance. En effet, plusieurs cas de figure pourront prendre place dans la mesure où l’ingénierie contractuelle a toujours eu un temps d’avance sur la régulation.

Premièrement, un agent coutumier de la pratique des TPO pourra négocier avec un club, lors du transfert de l’un de ses clients (i.e. un joueur professionnel), un pourcentage sur le futur transfert de celui-ci. Si le joueur est transféré une nouvelle fois et qu’il touche une part de sa propre indemnité de transfert, il sera en mesure de partager ce montant avec son agent selon un accord privé échappant totalement au contrôle de la FIFA.

Deuxièmement, les fonds d’investissement comme Doyen Sports autrefois spécialisés dans les TPO peuvent construire le même modèle mais cette fois-ci avec le joueur et non pas le club. Dans la mesure où Doyen Sports pratique également la représentation sportive, la société pourra proposer aux joueurs qu’elle représente de leur prêter de l’argent afin que ces derniers rachètent une partie de leur valeur économique à leur club. Après une ou deux saisons, Doyen Sports fera en sorte de leur trouver un nouveau club et ainsi générer une nouvelle indemnité de transfert. Grâce à celle-ci, le joueur pourra rembourser Doyen Sports et, si l’opération a été une réussite commerciale, lui procurer un joli retour sur investissement. Nul doute que le joueur pourra également garder une part du gâteau.

Il est encore trop tôt pour juger des conséquences de la redéfinition du tiers par la Commission de Discipline. Un aspect peut néanmoins être salué : le fait que le joueur dispose d’une place plus importante dans le mécanisme contractuel. En effet, il sied de rappeler que la pratique initiale des TPO pouvait s’opérer sans le consentement du joueur et sans même qu’il soit informé de la cession de ses droits économiques. Quoiqu’il arrive, nul doute que les acteurs pro-TPO sauront tirer profit de cette brèche ouverte par la FIFA. Le pire des scénarios serait de rendre l’interdiction des TPO totalement désuète par ce changement et ainsi laisser libre voix à la spéculation de masse sur le marché des transferts.

Par Shervine Nafissi 

[1] L’exemple de l’international argentin Marcos Rojo est parlant. Lorsque le Sporting CP l’a recruté pour 4 millions d’euros, 3 millions avaient été fournis par Doyen Sports en échange de 75% de sa valeur économique. Son transfert à Manchester United deux saison plus tard se réalise pour 20 millions d’euros si bien que 15 millions sont revenus à Doyen Sports. Soit un retour sur investissement cinq fois supérieur à la mise initiale en l’espace de deux ans.

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