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« L’UEFA y gagnera en crédibilité à clarifier/expliciter ses objectifs avec le Fair-Play Financier »

interview bastien drut économie football européen
Anton_Ivanov / Shutterstock.com

L’économie du football mondial est-elle en surchauffe ? N’adhérant pas du tout à cette théorie, Bastien Drut, auteur de Mercato : L’économie du football au XXIème siècle, explique son point de vue tout en revenant sur certaines questions liées à l’actualité économique du ballon rond.

Certains économistes du sport estiment que l’industrie footballistique est entrée dans une phase spéculative, avec un risque d’éclatement d’une bulle à court terme. Quelle est votre position à ce sujet ?

Je ne partage pas du tout cette vision. En préambule de mon dernier livre, Mercato : L’économie du football au XXIème siècle, j’ai recensé quelques déclarations de personnalités du football parmi les plus crédibles, qui parlent depuis 20 ans d’une bulle spéculative dont l’éclatement serait imminent. Cela n’est pas arrivé et je ne pense pas que cela arrivera prochainement.

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Les gros clubs peuvent se permettre les méga-transferts et les hyper-rémunérations qu’ils versent, car leurs recettes ont explosé. Et je ne pense pas que l’augmentation des recettes soit artificiellement élevée pour eux. La plupart des gens sont uniquement focalisés sur les droits TV mais ce sont les recettes de sponsoring qui ont le plus augmenté ces 5 dernières années pour les grands clubs. Les équipementiers et les sponsors se concentrent de plus en plus vers les plus grands clubs et il n’y a pas de raison que cela change.

Les déficits sont de plus en plus rares pour les gros clubs et dans certains cas, les profits deviennent tout à fait significatifs. C’est tout à fait inédit pour le secteur du football professionnel. Une activité de plus en plus profitable qui s’effondrerait ? Je suis très sceptique.

Cela dit, d’autres problèmes se posent : les écarts se creusent entre grands et petits clubs et cela sera de plus en plus difficile à gérer par les instances. Par ailleurs, je pense que le football professionnel est aujourd’hui plus sensible à l’économie mondiale et à la géopolitique mondiale qu’il y a 10 ou 15 ans. Imaginez qu’éclate une guerre commerciale entre la Chine et l’Europe et que les investisseurs chinois soient incités ou contraints à revendre d’un seul coup la trentaine de clubs européens qu’ils détiennent…

Etant donné l’inflation des prix sur le marché des transferts, de plus en plus de clubs « intermédiaires » cherchent à asseoir leur modèle économique sur la post-formation, en misant sur des jeunes pépites qui seront par la suite revendues au prix fort aux très grands clubs. Ce modèle économique, notamment initié par les cadors portugais comme le FC Porto puis repris par des clubs comme l’AS Monaco, peut-il perdurer dans le temps ?

Je pense que oui. Les recettes nettes de transfert – indemnités reçues moins indemnités versées – avoisineront les 300 millions d’euros dans les comptes de l’AS Monaco pour la saison 2018/2019, en prenant en compte le transfert définitif de Kylian Mbappé. Certes, l’AS Monaco ne vendra pas des Mbappé tous les ans mais cette stratégie s’avère gagnante financièrement mais aussi sportivement. Le club a glané un titre de champion de France en 2016-17 et participe régulièrement – et avec succès – à la Champions League.

Evidemment, tous les clubs intermédiaires ne peuvent pas adopter cette stratégie. La fiscalité faible à Monaco permet de proposer des salaires élevés à de jeunes joueurs étrangers, ce que ne peuvent pas nécessairement faire tous les gros clubs européens, qui se focalisent sur des joueurs dont ils sont plus sûrs de la valeur.

La première mouture du Fair-Play Financier a permis de considérablement réduire le niveau d’endettement du football européen. Pourtant, l’UEFA a dernièrement décidé de durcir son dispositif en y introduisant de nouvelles règles qui semblent principalement destinées à freiner la croissance des clubs considérés comme « Nouveaux Riches ». Etait-il réellement nécessaire de durcir les règles du Fair-Play Financier ?

Objectivement, le fair-play financier a eu des vertus, dont celle de réduire l’endettement des clubs européens. Mais le problème essentiel que je vois avec ce système est que ses objectifs ne sont pas assez clairement définis.

Est-ce que le fair-play financier veut interdire les « nouveaux riches » ? Si oui, on peut se poser la question du traitement préférentiel des « anciens riches ». Est-ce que le fair-play financier veut interdire les déficits ? Le PSG et Manchester City ne perdent pas d’argent et leurs actionnaires ont une puissance financière peut-être jamais vue dans le football européen. Est-ce que le fair-play financier veut rééquilibrer les compétitions européennes ? C’est étrange car l’UEFA vient d’augmenter le nombre de places pour les grands championnats en Ligue des champions : les 4 plus grands championnats représenteront la moitié des 32 équipes de poules lors de l’édition 2018-19. C’est du jamais vu !

L’UEFA y gagnera en crédibilité à clarifier/expliciter ses objectifs. Les autorités politiques européennes devront également épauler l’UEFA pour que cette dernière puisse assumer d’adopter des objectifs précis et ambitieux.

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