Interview

V. Chaudel : « Cette nouvelle version du Fair-Play Financier a pour mission de bloquer la capacité d’investissement des nouveaux entrants »

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L’UEFA a dernièrement annoncé un durcissement du Fair-Play Financier en introduisant de nouvelles règles comme la publication obligatoire des comptes des clubs, la mise en place d’un ratio maximal d’endettement ou encore la limitation du déficit de la balance des transferts à 100 M€. Pour faire le point sur cette version 2.0 du Fair-Play Financier, Ecofoot.fr s’est entretenu avec Vincent Chaudel, Directeur Marketing et Communication chez Wavestone.

Etant donné les effets positifs produits par le Fair-Play Financier – notamment au niveau de la réduction des déficits au sein du football européen – était-il indispensable d’ajouter de nouvelles règles au dispositif ? La précédente mouture, s’intéressant essentiellement au compte de résultat des clubs, n’était-elle pas suffisante ?

Avant la mise en place du Fair-Play Financier, le football européen générait un chiffre d’affaires de l’ordre de 12 Mds€ pour… 1,5Md€ de déficits ! De multiples clubs déposaient le bilan chaque saison. Michel Platini, alors président de l’UEFA a voulu instaurer un dispositif permettant de rendre le football européen plus vertueux.

Et cela a effectivement marché. Le Fair-Play Financier a atteint ses objectifs. Les déficits au sein du football européen ont diminué drastiquement. Aujourd’hui, il n’y a quasiment plus de dépôt de bilan de club. On pourrait alors se demander pourquoi l’UEFA souhaite intégrer une version 2.0 du Fair-Play Financier.

En même temps que l’assainissement de ses finances, un autre mouvement a pris de l’ampleur au sein du football européen : de gros investisseurs ont été attirés par le ballon rond. Parmi les exemples, on peut notamment citer QSI au PSG, ADUG à Manchester City, Dmitri Rybolovlev à Monaco, Red Bull à Salzbourg et Leipzig… Et ces nouveaux investisseurs rebattent les cartes du football européen et fragilisent, d’une certaine manière, les grands clubs déjà installés.

Les clubs historiques européens, très présents et influents au sein des organes décisionnels, ont alors fait pression pour la mise en place de règles plus contraignantes. Officieusement, cette nouvelle version du Fair-Play Financier a pour mission de bloquer la capacité d’investissement des nouveaux entrants. Une mesure qui ne s’imposait pas forcément car, jusqu’à présent, aucun grand club acquis par un nouvel investisseur n’a été laissé à l’abandon du jour au lendemain.

Dans le nouveau dispositif, l’UEFA indique vouloir contrôler le niveau d’endettement des clubs en fixant un ratio maximal entre endettement brut et EBITDA. Certaines dettes seront-elles exclues de ce dispositif ?

Pour le moment, je n’ai pas d’éléments précis à apporter à cette question. Mais, dans l’examen de certains cas, dont notamment celui du PSG, on a pu constater qu’il y a d’un côté les règles de comptabilité générale et les éléments retenus par l’UEFA de l’autre. Je pense notamment au retraitement comptable entrepris par la fédération européenne concernant les contrats conclus par le PSG avec les entités qataries (QTA, Ooredoo, QNB, Aspire…). En partant de ce constat, l’UEFA pourra édicter les règles qu’elle souhaite concernant le calcul du ratio entre niveau d’endettement et EBITDA.

En revanche, ce qui est intéressant, c’est que l’UEFA s’est rapprochée des institutions européennes pour faire valider les nouveaux dispositifs. Cela me semble très important. Car, en cas de non approbation, un club sanctionné pourrait bien saisir les tribunaux sportifs puis civils pour faire valoir ses droits. Et il y aurait alors un risque de faire exploser le fair-play financier.

Cela étant, on peut sérieusement discuter de la pertinence d’une telle mesure. D’ailleurs, cet encadrement de l’endettement des clubs illustre pleinement les différences de philosophie entre le Fair-Play Financier et une hypothétique DNCG européenne.

Justement, pouvez-vous nous décrire les différences qui séparent le Fair-Play Financier de la DNCG ?

Les différences sont très importantes ! La DNCG ne s’attarde pas exclusivement sur le compte de résultat mais aussi sur le bilan du club. Elle regarde sa situation globale, ainsi que celle de son/ses actionnaires. Et, si un club affiche des pertes, la DNCG demandera alors au(x) propriétaire(s) des garanties pour assurer la pérennité de l’activité du club. Le seul objectif de la DNCG est de s’assurer que tous les clubs démarrant le championnat soient en capacité de le terminer sans dépôt de bilan.

Ainsi, dans le cadre d’une compétition régulée par une DNCG, on autorise l’investissement ! La DNCG n’a pas infligé et n’infligera probablement pas de sanctions à l’OM pour les pertes enregistrées au cours du dernier exercice. Car Frank McCourt est en capacité d’assumer de tels déficits. Avec la DNCG, une politique de relance est possible.

En revanche, le Fair-Play Financier a plutôt tendance à figer les positions. Car on va vous imposer un niveau de déficit maximal à ne pas dépasser, un seuil maximal d’endettement… Des éléments qui contraignent drastiquement une politique d’investissement ! D’ailleurs, l’OM de Frank McCourt sera vraisemblablement sanctionné par l’UEFA lors des jours à venir pour manquements aux règles du Fair-Play Financier.

L’UEFA envisage également d’ouvrir des discussions avec les institutions européennes (Commission et Parlement) afin de revoir la libre circulation des travailleurs appliquée au football. Est-ce une bonne décision ? S’achemine-t-on vers le retour des quotas de joueurs nationaux ? De telles discussions ont-elles une chance d’aboutir ?

Comme je l’ai dit précédemment, l’UEFA a pleinement raison de se rapprocher des institutions européennes pour faire homologuer ses règles. Car sinon, ses décisions pourraient être contestées et invalidées par les juridictions européennes. Le football a retenu la leçon du dossier Bosman. L’arrêt Bosman n’aurait jamais existé si les instances du football européen avaient été plus clairvoyantes à cette époque.

Evidemment, la libre circulation des travailleurs est une belle liberté défendue par les textes européens. Mais, dans le cadre du football – et dans l’univers du sport globalement – la liberté de circulation engendre beaucoup plus de mouvements que dans d’autres activités. Car, notamment, il n’y a pas la barrière de la langue. Le football est une langue universelle. Et on se retrouve donc dans une situation extrême. A terme, on pourrait très bien voir un club européen aligner 0 joueur de son pays sur le terrain. C’est d’ailleurs déjà arrivé.

Aujourd’hui, il faut trouver une position équilibrée entre la libre circulation des joueurs et la conservation de l’identité locale des clubs de football. La proposition de Sepp Blatter, la règle du 6+5, me semblait d’ailleurs être une bonne option. Une telle règle permettrait une large circulation des individus tout en faisant de la place pour les joueurs locaux. Cela permettrait de revoir des styles de jeu différents en fonction des pays et des traditions. Aujourd’hui, avec cette libre circulation complète, nous sommes en train de perdre les spécificités de chaque football. Le « Kick and Rush » du football anglais a disparu en Premier League.

Mais la réintroduction de telles règles ne peut se faire sans discussion avec la Commission Européenne. L’UEFA adopte la bonne méthode pour revoir les conséquences de l’arrêt Bosman.

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