Interview

« Le Community Manager est la personne la plus importante de l’organigramme administratif d’un club »

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Alors que les clubs de Ligue 1 allouent de plus en plus de moyens pour développer leur communication sur les réseaux sociaux, Ecofoot.fr s’est entretenu avec Boris Helleu, Maître de Conférences à l’université de Caen-Normandie, pour faire le point sur cette tendance. Expert des questions liées à l’utilisation des médias sociaux par les acteurs du sport et fondateur du blog Hell of a Sport, Boris Helleu est revenu au cours de cet entretien sur les enjeux liés aux réseaux sociaux tout en évoquant les paramètres à maîtriser pour un club de football pour réussir sa stratégie de communication sur ces nouvelles plateformes.

Après avoir longtemps animé de façon artisanale leurs comptes sur les réseaux sociaux, les clubs de Ligue 1 ont depuis quelque temps professionnalisé la gestion de leur présence sociale. Pourquoi les clubs de L1 investissent-ils de plus en plus sur les réseaux sociaux ? Quels sont les enjeux derrière ces nouveaux supports de communication ?

En effet, lors de l’apparition des réseaux sociaux à la fin des années 2000, la « stratégie » des clubs de L1 a consisté à ouvrir des comptes pour copier les adversaires. Mais aucune politique d’animation n’était clairement définie.

Par conséquent, l’animation des comptes était confiée à des bénévoles ou à des stagiaires. Ces derniers ont d’ailleurs pour la plupart réalisé un bon travail. Mais leurs missions étaient limitées dans la durée. Cela posait alors des problèmes de cohérence et de continuité dans le travail d’animation. Une différence de qualité pouvait être perceptible lors d’un changement de stagiaire. Certains comptes pouvaient même être laissés en jachère durant plusieurs mois, faute de ressource affectée à cette tâche.

Aujourd’hui, les clubs ont compris les enjeux liés à une présence sur les réseaux sociaux. Via l’essor des plateformes sociales, les clubs ont ainsi pu développer leurs points de contact avec les supporters. C’est une véritable révolution car, par le passé, les points de contact étaient limités aux 90 minutes des rencontres disputées à domicile une fois toutes les deux semaines !

Certains clubs sont également allés plus loin en utilisant les réseaux sociaux pour construire une véritable stratégie de marque. C’est notamment le cas du Toulouse FC. Le club a mené par le passé une réflexion autour de l’utilisation des réseaux sociaux qui a abouti sur la publication d’un brand book. Autre exemple : le PSG utilise massivement les réseaux sociaux pour assouvir son ambition de devenir une marque globale sportive. Le PSG se sert notamment des attributs de la ville de Paris pour parvenir à ses fins.

Enfin, les enjeux financiers liés au développement des réseaux sociaux ont également fortement contribué à la professionnalisation du social management au sein des clubs. Ces derniers parviennent désormais à valoriser leurs accords de sponsoring en mettant en avant leurs communautés fortement engagées sur les supports sociaux. L’activation des partenariats sur les canaux numériques des clubs s’est généralisée au cours des dernières saisons.

Dans la stratégie numérique des clubs, les réseaux sociaux n’ont-ils pas pris le pas sur les sites officiels ? Les clubs ne sont-ils pas tentés de fermer leur site officiel pour se consacrer exclusivement à l’animation des réseaux sociaux ?

Tout à fait ! On commence à observer ce mouvement. Les efforts sont plutôt portés vers l’animation des réseaux sociaux.

Et ce type de stratégie fonctionne très bien au sein du secteur sportif. Le football réunit des fans et des supporters qui réagissent en fonction des émotions éprouvées. Les réseaux sociaux constituent un support idéal pour exprimer ses émotions, afficher ses opinions et commentaires… Les fans recherchent une conversation tout en étant intégrés à une communauté.

De plus, la multiplication des plateformes sociales ont permis aux clubs d’enrichir leurs stratégies de communication sur ces nouveaux supports. Twitter est le média social de la spontanéité. Snapchat est très utile pour relayer les coulisses d’une vie de groupe. Sur Facebook, on se situe davantage sur un média de masse. Il est alors intéressant d’y aborder des sujets suscitant de nombreux commentaires. Sur Instagram, les clubs peuvent mettre en valeur certaines composantes (joueurs, stade, supporters…) via la photographie. Sans oublier l’essor de la vidéo sur la plupart des plateformes !

Face au développement des différentes plateformes sociales, l’espace alloué au site officiel s’est rétrécit. Il devient un simple site vitrine, sur lequel on y pratique plutôt une communication institutionnelle.

Quels sont les paramètres à maîtriser pour un club de football pour obtenir un fort taux d’engagement sur les différentes plateformes sociales ?

Dans un premier temps, il est très important de définir très précisément ses objectifs. Les clubs de football peuvent avoir des ambitions très différentes sur les réseaux sociaux en termes de taille de communauté, de niveau d’engagement, de valorisation des partenariats… Une fois les objectifs fixés, il faut ensuite acquérir les compétences et les ressources nécessaires pour les atteindre. Les objectifs doivent être également en cohérence avec la stratégie de marque globale conçue au club.

Une fois les objectifs fixés, il est assez simple pour un club de football d’évaluer la qualité de son travail sur les réseaux sociaux. La plupart des réseaux sociaux intègrent une plateforme analytics, permettant de mesurer différents critères pour chacune des publications mises en ligne. Par exemple, sur Twitter, l’ensemble des statistiques sont consultables via Twitter Analytics.

Toutefois, un paramètre exogène au Community Management influence de façon significative les performances des clubs obtenus sur les réseaux sociaux : les résultats sportifs. Les clubs auront tendance à susciter plus facilement de l’engagement et des conversations après une série de bons résultats. A contrario, il est plus difficile d’animer une communauté en période de trêve (hors marché des transferts).

Justement, le travail d’un Community Manager n’est-il pas de réduire la corrélation entre résultats sportifs et niveau d’engagement ?

Vous avez entièrement raison ! Le travail du Community Manager est de parvenir à réduire cette corrélation en pratiquant une animation adaptée à son public. Dans le cas contraire, cela revient à confier les clés du Community Management à l’entraîneur et aux joueurs sur le terrain !

Le Community Manager doit sans cesse trouver la bonne formule, jouer sur les bons ressorts pour mobiliser sa communauté et susciter de l’engagement. Pour réussir dans cette mission, le Community Manager a besoin d’acquérir une connaissance pointue de sa communauté tout en maîtrisant à la perfection l’environnement de son club sur les réseaux sociaux. Il faut savoir identifier et travailler avec les influenceurs et autres personnalités navigant autour du club afin de décupler la portée de ses messages.

Le SM Caen est très bon dans ce domaine. Le club entretient de très bonnes relations avec les influenceurs et les célébrités issues de la région. Par exemple, Denis Brogniard a dernièrement publié une vidéo fêtant le maintien du SM Caen sur le tournage de Koh Lanta. Une vidéo qui a évidemment fait le buzz sur la toile !

Pour réussir dans sa mission, le Community Manager doit absolument rompre avec les codes classiques de la relation marque/client. La communication doit être horizontale et non verticale afin d’impliquer les fans dans les dispositifs mis en place sur les réseaux sociaux. Adopter un ton décalé, parfois humoristique, peut faciliter la création de liens avec les supporters.

Mais cette tâche n’est pas toujours aisée à relever. D’ailleurs, pour moi, le Community Manager est désormais devenu la personne la plus importante au sein de l’organigramme administratif d’un club de football ! C’est lui qui est en contact direct et permanent avec les fans. C’est lui qui peut mesurer le degré de satisfaction ou de mécontentement des supporters.

Certaines personnalités parviennent à commercialiser plusieurs dizaines de milliers d’euros la publication d’un tweet sponsorisé sur leurs comptes sociaux. Or les clubs de Ligue 1 tirent des revenus marginaux de leurs canaux numériques. Parviennent-ils à monétiser leurs comptes sociaux à la hauteur de l’engagement suscité auprès de leurs importantes communautés de fans ?

La relation qui existe entre un supporter et son club n’est pas de nature commerciale. D’ailleurs, publiquement, un club ne doit jamais employer le terme de « clients » pour désigner ses supporters !

Avant de s’engager dans une politique de monétisation, les clubs doivent mettre au point une stratégie de marketing relationnel. Ils doivent construire une véritable relation avec les supporters sur ces nouveaux canaux pour envisager, de façon indirecte, une croissance de revenus via les supports sociaux.

Selon moi, il existe deux voies permettant aux clubs de générer plus ou moins directement des revenus additionnels via les réseaux sociaux. Premièrement, le recrutement de fans opéré sur les réseaux sociaux permet d’enrichir la base de données clients des clubs. Pour réussir cette conversion, plusieurs types d’opérations sont possibles. Les clubs privilégient régulièrement l’organisation de jeux concours leur permettant de collecter des données sur leurs fans telles que l’adresse mail.

La deuxième piste consiste à valoriser les importantes communautés de fans dans les contrats de sponsoring. Les annonceurs sont très friands des opérations menées sur les réseaux sociaux des clubs partenaires. Car les supports sociaux sont complémentaires par rapport aux emplacements classiques de visibilité (panneautique stade, emplacement maillot…). En intégrant les réseaux sociaux des clubs, les sponsors ne sont plus simplement partenaires d’un club. Ils s’associent également aux émotions ressenties par les fans. Le partenariat prend alors une nouvelle dimension !

Dans ce domaine, la première success story a été l’opération mise en place entre Hyundai et l’Olympique Lyonnais. Initiée au stade Gerland et désormais prolongée au Parc OL, l’Olympique Lyonnais a été précurseur dans la mise en place de salles connectées au sein des enceintes sportives. Intitulée la SociOL Room, cette opération récurrente organisée lors des rencontres disputées par l’OL à domicile permet à l’Olympique Lyonnais d’accroître sa visibilité numérique lors des jours de match en invitant des influenceurs à communiquer sur les réseaux sociaux autour de l’événement. Partenaire de ce dispositif, Hyundai bénéficie alors d’une exposition accrue sur les canaux digitaux à chaque match de l’OL. Ce type d’opération a aujourd’hui été repris à Toulouse, à Caen, à Rennes…

Via les réseaux sociaux, les clubs peuvent ainsi directement mettre en contact les annonceurs avec leurs fans. Toutefois, dans les deux types d’opérations mentionnées, on se situe plutôt dans une « valorisation » des canaux sociaux plutôt que dans une monétisation pure et dure.

Grâce à la présence de certains joueurs dans leurs effectifs, à des performances sur la scène européenne ou encore à la mise en place de stratégies dédiées (PSG, ASM…), certains clubs ont accumulé d’importantes communautés sociales à l’étranger. Ces importantes communautés peuvent-elles constituer le point de départ d’une stratégie d’internationalisation des activités des clubs de Ligue 1 ?

Si, sur le papier, l’idée est séduisante, l’internationalisation des activités via les réseaux sociaux ne doit pas constituer la priorité des clubs. Le complément de revenus générés serait marginal.

Avant de songer à conquérir de nouvelles cibles via les outils numériques, de nombreux clubs de Ligue 1 doivent dans un premier temps muscler leurs stratégies de marketing classique. Par exemple, les sujets CRM/FRM commencent à peine à émerger au sein des clubs de Ligue 1. Au niveau des stades, l’expérience fan laisse encore à désirer dans la plupart des clubs de l’élite française (stadier qui ne souhaite pas la bienvenue aux spectateurs, toilettes dégueulasses, offre de restauration très limitée…).

Le marketing sportif des clubs professionnels commence tout juste à entrer en phase de maturité. Obnubilés par des objectifs sportifs à court terme, les clubs ont pendant trop longtemps consacré la quasi-intégralité de leur budget dans le sportif au détriment du développement marketing et commercial. Il faut d’abord ancrer ce changement de mentalité avant de songer à des stratégies d’internationalisation des activités.

Source photo à la Une : Ecofoot.fr

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