Interview

Interview exclusive de Nicolas Vilas, spécialiste Liga Nos

Ecofoot.fr a eu la chance cette semaine de s’entretenir avec Nicolas Vilas au sujet de la compétitivité du championnat portugais. Journaliste pour Ma Chaine Sport, Eurosport et RMC, Nicolas Vilas nous apporte son éclairage d’expert concernant la Liga Nos et nous explique les défis importants que doit relever le championnat portugais dans les années à venir pour conserver sa place dans l’élite européenne. Explications…

Nicolas, pouvez-vous nous présenter votre parcours ? Comment cette passion pour le championnat portugais a-t-elle pris racine ?

Il n’y pas de parcours type pour devenir journaliste et le mien est passé par une école de journalisme. Avant cela, il y a eu pas mal « d’erreurs de placement. » Ma passion pour le foot portugais est un héritage familial. Mes parents sont portugais pour qui le football est un élément culturel. Depuis gamin entre les Panini, les guides d’avant-saison, les magazines, les journaux, je me gave de foot. Et pas que portugais. C’est un métier qui est animé par la passion.

Quel est le budget moyen d’un club de Liga Nos ?

Le budget moyen de la Liga avoisine les 15 millions d’euros. Sachant que Porto et Benfica sont largement au-dessus des autres clubs. Le Sporting est devenu le symbole de la crise qui frappe le football portugais ces dernières années. Son budget (25 millions d’euros en 2014-2015) est contenu ces dernières saisons et ses dépenses ultra- contrôlées. Le passif comptable cumulé des trois grands dépasse le milliard d’euros pour 2013-2014.

Comment expliquez-vous le classement UEFA actuel de la Liga Nos alors que le championnat portugais bénéficie de moyens financiers plutôt limités ?

« Le Portugal est la plus belle anomalie du foot européen »

Le Portugal est la plus belle anomalie du foot européen. Etait, devrais-je dire puisqu’il devrait redescendre d’une place à l’issue de la saison. Il est surtout la preuve qu’on peut réussir à l’échelle européenne avec des moyens limités. Cela dit, le modèle portugais présente des limites. Il ne faut pas idéaliser cette performance. D’abord parce qu’elle n’est l’œuvre que des trois grands. Porto, Benfica et Sporting sont les clubs qui rapportent le plus de points (quasiment la totalité) à leur pays à l’indice UEFA. Mis à part quelques rares exceptions (Braga ou Boavista auparavant), les autres équipes font acte de présence en Coupe d’Europe. Cela traduit la mainmise des grands sur le foot portugais. Economiquement, médiatiquement et même affectivement ces trois marques laissent peu de place aux autres. Les droits télé qui sont individualisés sont accaparés par ces clubs, idem pour les autres sources de recettes, trop peu diversifiées au Portugal.

Il ne faut pas non plus omettre que les succès sportifs (et économiques) ont été soutenus par les fonds d’investissement. Les Falcao, James, Hulk n’auraient jamais pu être recrutés (et revendus aux sommes qu’on connaît) par les clubs portugais sans ce procédé. Quand Michel Platini explique qu’il s’agit là d’une mesure injuste vis-à-vis d’autres pays où cette pratique est interdite, il oublie qu’elle permet à ces pays de compenser des inégalités économiques. Surtout que la tierce propriété (TPO) est aussi très courante dans les clubs plus petits.

Le FC Porto a affiché un résultat net déficitaire de plus de 40 M€ pour l’exercice 2013-14. Son modèle économique est-il en danger ?

Il faut préciser que ces chiffres ne tiennent pas compte des transferts de Mangala et Defour (25 millions d’euros de plus-value) qui ont été signés après le 30 juin. Le fait que le FC Porto ait dû disputer le playoff de la Ligue des champions ne leur a pas permis d’inclure les 10 millions d’euros qui découlent de leur qualification pour la C1 pour cet exercice comptable. Cela dit, le modèle économique du FC Porto est comme celui de tous les clubs portugais très dépendant du marché des transferts. La principale source de recette reste la vente de joueurs.

« Sans la tierce propriété, le championnat portugais ne pourrait plus rivaliser avec les clubs anglais, allemands ou même français. On connaîtrait le même sort que les Belges ou les Néerlandais » Antonio Campos, président de Rio Ave. La fin du TPO condamne-t-elle le modèle de développement des clubs portugais ? Quel est l’ampleur de ce phénomène en Liga Nos ? Tous les clubs sont-ils concernés ?

Comme dit précédemment, si le phénomène est plus visible dans les grands clubs, toutes les équipes ont recours à ce type de pratiques au Portugal. Ces fonds ne sont pas que des sociétés  bien connues, comme Doyen Sport. Cette interdiction pourrait avoir des répercussions plus importantes à l’avenir. La Traffic qui a repris Estoril en 2010 est une boite qui négocie des droits TV, gère des clubs et possède des droits économiques de plusieurs joueurs. Quand ces Brésiliens ont décidé de racheter Estoril c’est parce qu’ils savaient qu’au-delà des facilités culturelles et administratives existant avec le Portugal, ce pays présentait l’avantage d’autoriser la TPO. Et d’autres investisseurs étrangers ont été séduits par cette possibilité. Cette interdiction pourrait refroidir les envies ou les aspirations (plus ou moins claires parfois, il faut le dire) de certains.

Benfica est l’un des seuls clubs européens à avoir lancé sa chaine de TV sur laquelle elle diffuse en direct et en exclusivité sur le marché portugais ses rencontres de championnat disputées à domicile. Pourquoi avoir opéré ce choix ? Est-ce économiquement profitable ? D’autres clubs peuvent-ils imiter ce choix ? Un projet de mutualisation des droits TV est-il en cours en Liga Nos ?

Le Portugal reste l’un des derniers bastions d’Europe avec l’Espagne où les droits TV sont la propriété des clubs. Le SLB avait estimé ses droits à une somme que les télés n’étaient pas disposées à aligner. Il s’agit aussi d’un choix politique. Le Benfica n’étant pas parvenu à un accord sur la vente de ses matches à domicile il a décidé de lancer sa propre chaîne. Avec un certain succès. Les recettes des droits TV du Benfica sur le premier semestre de 2014-2015 a augmenté de près de 40% (16,5 millions d’euros). La nouvelle Direction de la Ligue a promis de faire de la question de la mutualisation l’une de ses priorités. Le problème est que les clubs ont des contrats en cours. Il faudra beaucoup de courage politique et une émancipation de la part des présidents des autres clubs pour remettre en question ce statuquo. Le Sporting est l’un des premiers à se positionner en faveur de cette réforme.

Le Sporting CP semblait proche de la banqueroute il y a deux saisons et désormais, le club a retrouvé de l’allant. Où en est financièrement le club lisboète ?

La gestion des dernières saisons a plongé le Sporting dans une situation inquiétante. Le club est sous surveillance. Chaque dépense (photocopies couleur, consommation d’eau…) est soumise à l’aval du président. La réorientation sportive imposée par Bruno de Carvalho semble porter ses fruits. Le club se remet à faire ce qu’il fait comme personne au Portugal : former et valoriser ses jeunes. De Carvalho a aussi ouvert le capital à de nouveaux investisseurs. Une injection qui a permis aux Lions de racheter les droits économiques de ses joueurs. Bruno de Carvalho est l’un des seuls au Portugal à être ouvertement opposé à la TPO (il est en conflit avec Doyen Sport concernant le transfert de Rojo à Manchester United). Le Sporting n’est pas encore sauvé du risque de faillite mais les derniers résultats sont encourageants.

Existe-t-il dans le championnat portugais des tensions entre les trois géants et les autres formations à l’image de ce qui se passe en Liga BBVA (notamment au sujet des recettes TV) ?

Les trois grands sont historiquement en conflit. Une rivalité qui s’est déplacée sur la sphère économique avec l’explosion du foot-business. Les guéguerres font vendre. Les débats ont aussi tendance à se politiser. Au FC Porto, Pinto da Costa a grandement exploité la notion du « Porto-nation », oublié par le pouvoir central de Lisbonne. Ces tensions se sont aussi retrouvées sur les négociations des droits TV. Le Benfica qui scande son statut de club ayant le plus de socios au monde revendique des sommes plus importantes que celle de ses rivaux aux diffuseurs. Et voilà comment ils en sont venus à créer leur propre chaîne. Et comment chacun continue de lutter pour ses propres intérêts plutôt que pour l’intérêt général.

nicolas vilas

Selon Nicolas Vilas, la rivalité entre les trois grandes formations du championnat s’est déplacée sur le terrain économique.

L’organisation de l’Euro 2004 a-t-elle permis de stimuler les recettes de billetterie des clubs portugais ?

« Aujourd’hui, certains stades sont sous-exploités voire inutilisés »

La mainmise des grands est aussi constatable sur les recettes de billetterie. Ce sont les clubs qui font le plus de chiffre à ce niveau-là et ce sont les clubs qui rapportent le plus aux petits lorsqu’ils se déplacent chez eux. Pour l’Euro 2004, un effort important a été entrepris par les pouvoirs publics en collaboration avec des sociétés privés pour rénover les enceintes portugaises. Un financement public-privé qui a plus ou moins bien fonctionné. Aujourd’hui, certains stades sont sous-exploités voire inutilisés. Aveiro ou Leiria en sont des exemples mais aussi le Bessa (Boavista) qui avant que le Boavista soit repêché de la D3 à la D1 l’été dernier, sonnait bien creux. Sa pelouse synthétique fait aussi débat. Quant au stade de Faro / Loulé il peine à être rentabilisé. L’illusion d’un grand club en Algarve pouvant y résider n’est pas allée au-delà…

Comment expliquez-vous la faiblesse des recettes de sponsoring au sein du championnat portugais ?

La crise économique n’épargne personne, pas même le football. Le Portugal la subit de plein fouet. Portugal Telecom a annoncé qu’il ne serait plus sponsor des grands. Or il était un partenaire important et de longue date de Porto, Benfica et Sporting. Un manque à gagner que les clubs vont devoir compenser. La Ligue a déjà beaucoup à faire pour trouver des partenaires en vue d’équilibrer ses comptes. Quant aux écuries plus modestes, elles sont souvent plus dépendantes du tissu économique qui l’entoure. Le nord du pays a pendant longtemps été porté par son industrie et ses clubs avec. Les nombreuses fermetures d’usines ont aussi été ressenties par ces équipes. Beaucoup de noms historiques (Salgueiros, Estrela da Amadora, Campomaiorense, Alverca, Felgueiras) ont succombé à la crise et la plupart d’entre eux étaient soutenus par des entrepreneurs à qui cette situation et/ou une mauvaise gestion ont fait mal.

Une 4ème puissance peut-elle émerger dans un futur proche au sein du championnat portugais ?

C’est l’éternelle illusion du football portugais. En 80 ans de Liga, mis à part Benfica, FC Porto et Sporting, seuls le Belenenses et le Boavista ont été champions. A une reprise… Mais d’autres clubs ont parfois titillé ces grands. Le Sporting de Braga est l’exemple de ces dernières années. Mais là encore, l’évolution atteint des limites. Braga pourrait prétendre au statut de quatrième puissance : une grande ville, dynamique, jeune, un stade récent, fonctionnel, une histoire, un bassin de population intéressant, une rivalité marquée avec un proche voisin (avec Guimarães) et une équipe compétente et compétitive. Braga est même devenu ces dernières années, l’un des clubs alimentant le plus la Seleção. Son président Antonio Salvador s’est fait un nom et une place. Mais lui aussi connait la crise. Sa société de BTP (Britalar) connait d’importantes difficultés financières. Ce qui freine le beau projet du club de construire un centre de formation ultramoderne. Le genre d’outils que l’incontournable trio est seul à posséder encore aujourd’hui…

Comment envisagez-vous l’avenir du championnat portugais ? Pourra-t-il maintenir sa 5ème place au classement des coefficients UEFA ? Peut-il encore améliorer ce classement ? Sur quels éléments s’appuiera le développement du championnat portugais à l’avenir ?

La perte de la cinquième place devrait bientôt s’opérer. Les points conquis en 2011 avec le succès de Porto en C3 seront lourd de conséquence. Cette descente au classement ne sera ni dramatique ni totalement illogique si on prend en compte un ensemble des critères sportifs et autres que sportifs. Le développement du foot portugais passera par une réponse adaptée et moderne à des questions depuis trop longtemps sans réponse claire : à quand la collectivisation des droits TV, d’une répartition plus équitable des richesses ? L’élargissement de la Liga et la D2 opéré l’été dernier est une mesure qui, compte tenu du contexte économique, n’a aucun sens. La viabilité de l’élite à 16 clubs (et de la D2 à 22) était déjà laborieuse, alors imaginez à 18 (et 24) aujourd’hui… Ce fut une mesure politicienne qui n’avait aucun sens ni économiquement, ni sportivement.

Un autre phénomène qui accompagne souvent les périodes de crise (re)fait son apparition autour des stades : la violence. Les dirigeants doivent se responsabiliser et peser leurs mots. Les attaques envers le corps arbitral, les adversaires sont parfois suivies d’effet de la part de certains « supporters. » Les débordements se font fréquents et il serait grave d’attendre un nouveau drame (comme dans les années 1990) pour que des mesures soient prises.

Et puis, il y a la question de la valorisation des jeunes joueurs. Le Portugal forme de bons joueurs – les grands notamment- mais ils sont souvent barrés par des recrues qu’il convient de rentabiliser ; plus encore lorsqu’on connait la part des recettes de transferts dans ces clubs. Le Sporting maitrise la formation comme personne encore au Portugal et le président du Benfica a promis une  équipe « made in Benfica » pour les années à venir.

Avec la fin probable de la TPO à venir, cette technique peut être une réponse. Encore que… Former aussi a un coût et tous ne pourront pas suivre… Mais aucun modèle n’est parfait et surtout chaque modèle est unique. Il convient de s’adapter au marché. Même l’Athletic Bilbao a revu ses critères de gestion, de recrutement et de formation.

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