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G. Paché : « La glorieuse incertitude du sport ne peut pas intéresser durablement les investisseurs »

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Vivement intéressé par le fonctionnement des ligues fermées, Gilles Paché, Professeur des Universités en Sciences de Gestion à Aix-Marseille, a dernièrement exposé sa vision, certes un peu provocatrice, pour améliorer la compétitivité des clubs français à l’échelle européenne lors d’un article rédigé pour The Conversation. L’universitaire prône notamment l’instauration d’une ligue fermée à 14 clubs dans l’Hexagone. Suite à cet article, Ecofoot.fr est parti à sa rencontre pour évoquer en détail le concept de ligue fermée.

Pourquoi défendez-vous la création d’une ligue fermée en France ?

Avec l’écriture de mon article dans The Conversation, défendant la création d’une ligue fermée à 14 clubs en France, j’ai souhaité raisonner comme un professeur de marketing tout en intégrant deux problématiques : le manque de performance des clubs français sur la scène européenne et l’émergence de différentes conceptions du football.

Car, aujourd’hui, il y a bien deux conceptions du football qui se côtoient. D’un côté, on retrouve un football basé sur la théâtralisation, un spectacle total pouvant aller jusqu’à l’extravagance. Via ce football, les spectateurs veulent vivre une expérience unique, sans être forcément épris de passion pour ce sport. Ils assistent alors à une rencontre comme à un concert de rock. Et, de l’autre côté, on retrouve le football basé sur une expérience plus humaine et authentique. Le football des territoires, en somme.

Le problème, aujourd’hui, c’est qu’on mélange les deux sujets. L’heure n’est-elle pas venue de repenser notre système de gouvernance, afin d’intégrer au mieux les problématiques liés au football spectacle ? Selon moi, le football fondé sur l’expérience théâtrale et l’extravagance doit aujourd’hui être organisé en ligue fermée. Un système qui permettrait alors aux clubs français d’obtenir de meilleurs résultats.

La dichotomie entre les « deux footballs » que vous définissez n’est-elle pas en train de s’opérer naturellement au sein des différents championnats européens ? La France est-elle obligée de passer par la création d’une ligue fermée pour accroître sa compétitivité sur la scène européenne ?

Tout dépend des objectifs attendus. Mais, il faut arrêter de rêver ! Si on veut rehausser notre niveau à l’échelle européenne, il faut mettre en place un système permettant de fermer la ligue. Tout en permettant, en parallèle, à l’autre football d’exister, via le traditionnel système de montées et relégations. La fermeture de la ligue ne concernerait que l’élite du football français. Une élite qui doit également être réduite à 14 clubs pour optimiser sa compétitivité.

Grâce à une ligue fermée sur le modèle nord-américain, la France sera alors en capacité d’attirer encore plus de capitaux. Car la glorieuse incertitude du sport ne peut pas intéresser durablement les investisseurs. Les investisseurs ont besoin d’une réduction des impondérables pour miser sur le football. Ils ne veulent pas être indéfiniment à la merci d’un joueur clé qui se blesse, d’une mésentente entre l’entraîneur et son équipe… des paramètres qui rendent intéressants le football mais qui peuvent aboutir à une véritable catastrophe industrielle en cas de relégation. Il faut donc repenser une gouvernance pour mettre en place un championnat qui doit s’inscrire pleinement dans notre société du spectacle.

Finalement, vous préconisez un modèle se rapprochant de la Major League Soccer nord-américaine. Or, la mise en place d’un tel modèle, basé sur la coopétitivité, favorise le retour sur investissement pour les actionnaires mais nuit à l’inflation salariale pour les travailleurs/joueurs (en raison notamment du salary cap). Pourtant, n’est-ce pas « plus juste » que la majeure partie de la richesse produite revienne au travailleur, et non au détenteur de capital ?

Les ligues nord-américaines adoptent un modèle de création collective de valeur. Les propriétaires de franchises ne sont pas fous. Ils veulent obtenir un retour sur investissement. Et pour obtenir ce retour sur investissement, les propriétaires acceptent de collaborer entre eux pour établir des règles équitables et ainsi, créer une dynamique collective. Le but ultime est de créer un produit très attractif aux yeux des grands réseaux TV.

Et qu’est ce qu’un produit attractif dans le domaine sportif ? Il faut que l’intensité compétitive soit au plus haut et éviter à tout prix qu’une équipe écrase durablement le championnat. C’est un modèle où il est difficile de deviner l’équipe qui sera championne en début de saison. Les Américains souhaitent créer de l’incertitude sportive au sein de leurs compétitions, ce qui excite les médias et les foules de fans.

Les règles mises en place doivent être assez contraignantes pour maximiser cette incertitude – système de draft favorisant le recrutement des meilleurs jeunes éléments par les franchises les moins compétitives, salary cap… – sans nuire aux résultats économiques des différentes franchises concernées. Un tel système est impossible à mettre en place actuellement en Europe en raison du risque de catastrophe industrielle en cas de relégation.

La logique nord-américaine est très différente de celle appliquée dans nos championnats européens. Chez nous, le système de ligue ouverte renforce les inégalités. Les meilleures équipes reçoivent des revenus toujours plus importants et les autres clubs se partagent des miettes. Les compétitions européennes font face aux problèmes liés à une redistribution convexe des revenus. Aux Etats-Unis, le modèle est bien plus sophistiqué. Les propriétaires de franchises sont conscients qu’en jouant collectif, ils obtiendront des bénéfices qui seront bien supérieurs à ceux d’une ligue ouverte où tous les coups sont permis.

Mais, en adoptant de telle règles, la Major League Soccer tarde à se hisser au niveau du championnat mexicain, dont les clubs remportent régulièrement la Ligue des Champions CONCACAF. Il faut remonter à la saison 2000 pour retrouver trace d’un vainqueur américain dans cette compétition (Los Angeles Galaxy). De plus, la sélection des Etats-Unis n’est pas qualifiée pour le Mondial 2018. La mise en place d’une telle compétition ne freine-t-elle pas au contraire la compétitivité sportive ?

Dans mes réflexions, je n’évoque jamais les sélections nationales. Car c’est un tout autre sujet !

Prenons l’exemple du rugby français. Par le passé, il y avait plus de 60 équipes évoluant en première division, réparties dans différentes poules. Une organisation qui permettait à de nombreux territoires de disposer d’une équipe au plus haut niveau mais qui nuisait à la compétitivité globale de la compétition. Il y a une quinzaine d’années, le rugby français a fait sa révolution en instaurant une poule unique à 14 clubs, donnant naissance au Top 14. Et, depuis cette réorganisation, nos clubs gagnent de nombreux trophées au niveau européen. En revanche, en parallèle, le niveau relatif du XV de France a baissé par rapport à ses principaux adversaires.

Via cet exemple, je veux montrer qu’il n’y a pas de lien entre le niveau d’un championnat et la compétitivité de son équipe nationale, pour de multiples raisons. Aux Etats-Unis, je pense que le niveau de la MLS ne va cesser de progresser lors des saisons à venir. Mais cela ne se traduira pas forcément par de meilleurs résultats pour la sélection américaine.

Plus tôt dans la conversation, vous avez évoqué les règles mises en place par la Major League Soccer pour maximiser l’intensité concurrentielle au sein du marché nord-américain, via le système du draft notamment. Mais ne pourrait-on pas envisager d’autres systèmes à mettre en place au sein du football européen pour renforcer la concurrence ? Via par exemple la mise en place d’un modèle de redistribution des droits TV égalitaire ?

Je suis d’accord avec vous. D’ailleurs le mode de répartition des recettes TV fait régulièrement partie des discussions au sein des directions des ligues fermées nord-américaines. Mais, dans un système de ligue ouverte, cela ne suffit pas comme mesure. Car de puissants investisseurs peuvent injecter très rapidement des sommes astronomiques pour améliorer soudainement la compétitivité de leur équipe. Ils déstabilisent ainsi le marché du travail. L’arrivée de Neymar en Ligue 1 illustre un tel scénario. Et, au final, vous en arrivez à une situation catastrophique où seule une poignée de clubs sont en capacité de pratiquer un football « attractif » comme ce fut le cas lors du dernier exercice en L1. Un championnat au sein duquel le Paris Saint-Germain peut se promener tout au long de l’année.

Certains professionnels du secteur préconisent aujourd’hui la création d’une Ligue 3 professionnelle en France grâce à la future hausse des droits TV de Ligue 1. L’idée de renforcer la compétitivité du football français par le bas peut-elle fonctionner ?

On reviendrait 40 ans en arrière avec une telle idée ! Car un championnat semi-professionnel de division 3 a déjà existé par le passé. Et cela n’a pas fonctionné.

Je ne suis pas fermé à cette idée, sans mauvais jeu de mots ! Mais ce fonctionnement, via trois divisions professionnelles, doit être indépendant de la ligue fermée que je préconise. Il s’agit alors du football « passion », celui des territoires, avec des montées et des descentes. Un football qui doit être déconnecté du football d’élite, qui s’inscrit clairement dans la logique de la société du spectacle que le sociologue Guy Debord avait bien décrit dans les années 1960.

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