Interview

« La qualité d’un match de football dépend également de la qualité du spectacle offert en tribune »

affluences ligue 1 progression
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Depuis plusieurs années, la Ligue 1 affiche des affluences en hausse, franchissant pour la première fois la barre des 8,5 millions de spectateurs cumulés lors du dernier exercice. Pour mieux comprendre les ressorts de cette croissance, Ecofoot.fr est parti à la rencontre de Guillaume Bodet, Co-Responsable du Master 2 Management des Organisations Sportives de l’Université Lyon-1 et expert des problématiques en marketing sportif.

La saison dernière (2017-18), la Ligue 1 a attiré plus de 8,5 millions de spectateurs dans les stades. Soit une affluence moyenne de plus de 22 500 spectateurs par match, constituant un nouveau record pour une L1 à 20 clubs. Comment peut-on expliquer cette hausse des affluences ? Est-ce la conséquence d’un potentiel effet « Neymar » ou le résultat d’un travail marketing plus intense mené au sein des clubs ?

Plusieurs facteurs expliquent cette hausse. Si on se penche sur les données des dernières années, nous observons une montée en puissance de la Ligue 1. Les 20 clubs du championnat ont accueilli 7,939 millions de spectateurs en 2015-16, 7,952 millions en 2016-17 et 8,544 millions de spectateurs en 2017-18.

La montée en puissance des affluences en L1 prouve que l’arrivée de Neymar n’est pas le seul facteur responsable de la hausse de la fréquentation. Sinon, nous aurions seulement observé un pic lors de la première partie de saison 2017-18 – le joueur n’ayant pas terminé la saison avec son club en raison d’une blessure à la cheville.

De plus, au lieu de parler d’un effet Neymar, j’évoquerai plutôt un effet PSG sur les affluences de Ligue 1. Les études menées à ce sujet ont tendance à montrer qu’il est difficile d’isoler l’effet d’un joueur d’une équipe sur les affluences d’une compétition. Un tel impact a seulement été démontré lors de l’arrivée de David Beckham en MLS. Et nous constatons que le PSG parvient à remplir quasiment tous les stades lors de ses déplacements en L1, que Neymar soit là ou non.

Parmi les facteurs à mettre en évidence dans cette progression des affluences en L1, il faut bien entendu souligner l’augmentation de la capacité des stades. Plusieurs enceintes ont été rénovées ou construites pour l’EURO 2016. En 2015-16, les 20 clubs de l’élite totalisaient une capacité de l’ordre de 600 000 places assises. La jauge est depuis montée jusqu’à 630 000 places assises, avant de redescendre cette année autour de 620 000, en raison notamment de la descente du FC Metz.

Enfin, le travail marketing mené par les clubs de Ligue 1 pour remplir leurs nouveaux outils n’est pas à négliger. Les clubs ont considérablement revu leur approche au cours des dernières années et le travail commence à produire ses effets. Par exemple, de nombreux efforts ont été menés pour enrichir les stratégies CRM / FRM. Certains clubs ont également « osé » recruter des personnes ne provenant pas forcément du monde sportif. Une attitude audacieuse qui permet aux clubs d’acquérir de nouvelles compétences dans le domaine marketing, liées notamment à la gestion de la relation client ou encore à l’expérience fan.

Après la victoire de la France à la Coupe du Monde 1998, la Ligue 1 avait enregistré un bond en avant de ses affluences moyennes. Le championnat français peut-il espérer un succès similaire suite à la victoire des Bleus en 2018 ?

Je ne crois pas trop à cette théorie. Pour moi, le prix reste un élément fondamental dans l’optimisation du taux de remplissage des stades. S’il n’est pas le seul facteur permettant de remplir un stade – qualité du match, prestations fournies au stade, rapidité d’accès à l’enceinte… sont également des éléments importants – le prix reste une composante centrale pour optimiser son taux de remplissage. On en a eu un bel exemple avec Bordeaux jeudi dernier, qui a affiché une belle affluence lors de sa rencontre d’Europa League, en vendant ses places à 5€. Autre exemple : l’OL est parvenu à attirer plus de 53 000 spectateurs en octobre dernier lors d’un OL – FC Metz grâce à un prix des places défini à 10€. Mais tous les clubs de sont pas prêts à appliquer une telle politique pour remplir leur stade.

Un stade vide ou à moitié vide, cela nuit considérablement à l’expérience spectateur. Quelqu’un qui n’est pas passionné par le football ou supporter du club en question ne va pas apprécier assister à une rencontre dans un stade clairsemé, sans ambiance. Il sera alors impossible de convertir ce spectateur occasionnel en fidèle. Pour les clubs n’arrivant pas régulièrement à faire le plein, il est indispensable d’enclencher une dynamique. Et la politique tarifaire peut jouer un rôle déterminant dans l’enclenchement de cette dynamique.

Enfin, il faut bien comprendre qu’il est difficile de dégager des tendances globales en termes d’affluence car il existe une hétérogénéité des situations en Ligue 1. D’un côté, vous avez un club comme le Paris Saint-Germain qui souffre d’un problème de sous-capacité de son stade. De l’autre côté, des clubs comme Lyon, Nice, Bordeaux ou Lille cherchent à « apprivoiser » leur nouvel outil. Enfin d’autres clubs, n’évoluant pas dans de grandes agglomérations, à l’image de Monaco, doivent relever un véritable défi pour remplir à chaque rencontre leur stade.

Au-delà de la variable prix, les clubs rencontrant des difficultés à remplir leur stade ne doivent-ils pas travailler également sur la capacité de leur enceinte sportive ?

Il faut étudier quelle est la solution la plus efficace pour obtenir la meilleure ambiance possible. Certains clubs ont d’ailleurs déployé des solutions permettant de fermer des parties du stade sans nuire à l’ambiance. C’est le cas notamment de l’Olympique Lyonnais, qui est en mesure de fermer le troisième anneau du Groupama Stadium pour les petites affiches de Ligue 1. Ce n’est pas gênant pour l’ambiance, cela permet au club de faire de réelles économies sur les frais d’organisation et de maintenir sa grille tarifaire. En revanche, quand ce sont des parties principales du stade qui sont fermées, cela pose problème.

Il faut bien avoir en tête que la qualité du produit n’est pas uniquement fonction des joueurs présents sur la pelouse ou de la qualité intrinsèque des prestations fournies à l’intérieur du stade. Elle dépend également de la qualité du spectacle offert en tribune !

Malgré la rénovation du parc de stades pour l’organisation de l’EURO 2016, certains clubs rencontrent encore des difficultés à remplir régulièrement leur enceinte sportive. Le problème vient-il d’une surcapacité des enceintes sportives, du modèle d’exploitation des stades ou d’un manque de stratégie marketing ?

C’est encore trop tôt pour identifier spécifiquement la cause du problème. Mais, pour reprendre une expression imagée, on ne construit pas une église en fonction de la messe de Noël de minuit !

Néanmoins, il ne faut pas oublier que les clubs ayant bénéficié d’un nouveau stade sont confrontés à des situations nouvelles. Auparavant, ils parvenaient à remplir leur stade avec les supporters fidèles. Désormais, ils ont besoin d’ingénierie marketing pour attirer de nouveaux publics et les fidéliser. Cela prend du temps et c’est plutôt normal !

Personnellement, je suis plutôt optimiste quant à l’évolution du taux de remplissage des stades en L1. Il faut laisser du temps aux clubs pour réaliser les bons investissements et optimiser leur coût d’acquisition du nouveau spectateur. Mais ils sont sur la bonne voie.

Certains experts ont (déjà) condamné les nouvelles enceintes, pointant du doigt d’éventuelles surcapacités pour des clubs n’étant pas dimensionnés pour remplir de tels stades. Vous ne souscrivez donc pas à une telle analyse…

Dans une analyse, il faut bien prendre en compte tous les paramètres. Par exemple, les experts qui tiennent ce type de raisonnement ne se focalisent que sur les taux de remplissage et ne consultent pas le chiffre d’affaires généré grâce à ces nouveaux stades.

En exploitant ces nouveaux outils, la plupart des clubs sont parvenus à accroître leurs revenus grâce à la billetterie B2B. Le volume de loges a été augmenté et elles permettent aux clubs d’offrir de nouvelles prestations à leurs partenaires. Aujourd’hui, au sein des clubs équipés d’un stade moderne, les loges représentent 20% des capacités pour 80% des revenus matchday !

Si on s’en tient à cette seule analyse comptable, le remplissage d’un stade n’est alors plus une priorité business. Néanmoins, la réalité est différente car l’ambiance d’un stade plein constitue également un élément de fidélisation des acteurs B2B.

Certaines boîtes de conseil préconisent d’importer des méthodes venues des sports US pour accroître le taux de remplissage des stades. Des méthodes qui permettraient d’attirer davantage de spectateurs occasionnels, plus intéressés par un « show » que par la performance sportive. De telles solutions peuvent-elles être réellement appliquées en Ligue 1 ?

Cela dépend vraiment du contexte historique, géographique et socio-culturel du club concerné. Dans certaines grandes métropoles, des « shows » à l’américaine peuvent en effet séduire un nouveau public.

Mais il faut bien avoir à l’esprit que ce genre de show est en général mal perçu par les supporters du club qui peuvent y opposer de fortes résistances. Par exemple, toutes les initiatives mises en place par la LFP à l’occasion de la finale de la Coupe de la Ligue n’ont pas été bien reçues par les supporters présents au stade. Il y a quelques années Maître Gims s’était fait siffler au Stade de France, lors de son concert donné en amont de la finale

Mettre en place de telles initiatives peut être efficace pour séduire de nouveaux publics. Mais il faut tout de même faire attention à ne pas dénaturer le produit. Car les shows à l’Américaine peuvent déranger.

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