Interview

« Le stade est un enjeu politique et symbolique fort »

privatisation stades OL
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Facilités par la loi Braillard votée au mois de mars dernier, de plus en plus de projets de stades financés à 100% par des fonds privés commencent à voir le jour au sein du sport professionnel français. A cette occasion, Ecofoot.fr s’est entretenu avec Jean Damien Lesay, journaliste spécialisé en politiques sportives et directeur des éditions Chistera, au sujet de ce mouvement de « privatisation » des enceintes sportives françaises.

Lors de la présentation du projet de nouveau stade porté par le FC Nantes, Johanna Rolland (ndlr : Maire de Nantes et Président de Nantes Métropole) a affirmé qu’« en 2017, ce n’est plus à une collectivité locale de financer un grand projet de stade ». Cette affirmation traduit-elle une volonté générale en France de désengagement des collectivités locales des grands complexes sportifs ?

Oui et non. En France, il existe un paradoxe chez les élus locaux, et les responsables politiques plus largement.

D’un côté, l’argent public se fait rare et l’aide au football professionnel apparaît de moins en moins légitime aux yeux de la population, en dehors de quelques supporteurs à qui cela ne pose aucun problème qu’une ville finance un stade à perte pendant que le club achète à grands frais des joueurs.

D’un autre côté, de très nombreux élus restent très attachés au couple stade-club en tant que symbole de leur territoire et voient dans l’investissement public une manière comme une autre de financer du lien social et d’avoir un pied dans le club pour profiter de son image et discuter légitimement avec lui.

Les projets de stades financés à 100% par des fonds privés se multiplient en Europe (Everton FC, Tottenham, FC Nantes…). Cette tendance est-elle le reflet d’une vraie volonté des clubs de se passer de financements publics ou est-elle la conséquence du désengagement progressif des collectivités partout en Europe ?

Là encore, la réponse est très nuancée. En 2014, les travaux de la commission Glavany avaient mis en lumière le peu d’empressement du football professionnel français à investir dans ses propres infrastructures. Ce que veulent les clubs, c’est avoir le contrôle sur la gestion du stade, son aménagement en termes de loges, pouvoir développer séminaires ou visites pour générer des revenus, mettre en place un accord de naming qui lui rapporte… Ce n’est donc pas tant la propriété en tant que telle qui les attire mais les possibilités commerciales que cette propriété peut générer.

Vous citez également le cas de clubs anglais : outre-Manche, les clubs construisent leurs propres stades depuis la fin du XIXe siècle, la culture y est tout à fait différente.

Pour ce qui est du désengagement des collectivités, comme je l’ai dit plus haut, il n’est que relatif. Ces dernières années, les collectivités ont continué à financer des stades à des hauteurs importantes, quitte à responsabiliser un peu plus les clubs, comme c’est le cas à Bordeaux où le propriétaire des Girondins s’est engagé à long terme dans une participation financière.

Mais on voit qu’à Marseille, la ville a eu le plus grand mal à augmenter le loyer du stade payé par l’OM, quand bien même le montant finalement retenu demeure très loin de ce que la Cour régionale des comptes demandait à la mairie pour satisfaire à ses obligations.

La loi Braillard votée au mois de mars dernier permet désormais aux collectivités de fournir une garantie d’emprunt aux clubs cherchant à mener des projets de modernisation/construction/achat de stade. L’objectif de cette mesure est d’encourager les acteurs privés à devenir propriétaires de leurs outils. Mais une telle loi ne va-t-elle pas créer un effet inverse ? Ne va-t-elle pas réimpliquer financièrement les collectivités dans les projets de stade ?

Le but de cette loi est précisément de dégager les collectivités d’un engagement financier lourd et direct. L’idée est de dire aux clubs : vous financez, nous garantissons l’emprunt. Idéalement, si tout se passe bien, la collectivité n’aura donc pas un centime à débourser. Mais on sait très bien que l’aléa sportif tel qu’il existe en football fait peser une épée de Damoclès sur la tête des collectivités.

Ces dernières années, les exemples du Mans, de Sedan, de Grenoble ou de Strasbourg en ont refroidi plus d’un. On sait que le risque de dégringolade sportive, entraînant lui-même une incapacité à rembourser le coût de construction d’un stade, n’est pas infinitésimal mais relativement important.

Pour l’instant, à part le conseil régional du Grand Est qui songe à se porter garant pour la SIG Strasbourg dans un projet autour de la salle du Rhénus, les collectivités ne se bousculent pas pour proposer de se porter garantes. D’ailleurs la LFP l’a bien compris en modifiant ses règlements sportifs pour réduire les possibilités de relégation et, partant, tenter d’augmenter un petit peu la visibilité pour les investisseurs.

Finalement, le retrait financier des collectivités dans les projets de stades n’est-il pas dangereux ? Détenir la propriété du stade, n’est-ce pas un bon moyen pour une collectivité d’exercer un certain pouvoir sur le club de football de sa ville ? N’abandonne-t-on pas un peu plus le football aux simples lois du capitalisme via ce désengagement des collectivités ?

Oui, comme je l’ai dit plus haut, le stade est un enjeu politique et symbolique fort. Mais je suis personnellement opposé au modèle traditionnel de socialisation des risques et de privation des profits qui veut que la collectivité finance seule et assume d’énormes risques financiers en faveur d’un club.

Le football ne peut pas d’un côté jouer le mondialisme échevelé, payer des transferts des dizaines ou des centaines de millions d’euros, en étant par ailleurs à la limite de la légalité tant en termes de droit du travail que de fiscalité, et de l’autre vouloir que le contribuable lui paye son outil de travail.

Le football tel qu’il existe aujourd’hui doit être considéré comme une activité commerciale comme une autre, on ne parle plus des associations sportives qui ont prospéré jusqu’au début des années 1980. On a affaire à des sociétés anonymes qui ont des budgets de plusieurs dizaines voire centaines de millions d’euros, dont les stades valent au minimum 100 millions d’euros. Au nom de quoi la collectivité devrait-elle aider une entreprise de spectacle sportif, a fortiori quand on connaît toutes les turpitudes de ce milieu ?

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