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La victoire des Bleus en Coupe du Monde aura-t-elle un impact sur l’économie française ?

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Vlad1988 / Shutterstock.com

Alors que plusieurs chiffres – parfois contradictoires – circulent actuellement autour du potentiel impact de la victoire de l’équipe de France en Coupe du Monde sur l’économie française ; Ecofoot.fr a décidé de s’adresser à l’économiste Luc Arrondel, Directeur de Recherche au CNRS et co-auteur de L’argent du football, afin de faire le point sur les conséquences réelles d’une victoire finale en Coupe du Monde sur une économie nationale.

Le Ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, avait affirmé en amont de la finale disputée par l’équipe de France qu’une victoire des Bleus serait bénéfique à la croissance de l’économie française. Une analyse qui a depuis été contredite par certains économistes. La victoire des Bleus en Russie n’aura-t-elle aucun impact sur l’économie française ?

Au niveau macroéconomique, sur les principaux agrégats (consommation, emploi, croissance), la victoire française n’aura sans doute que peu ou pas d’impact, sauf éventuellement des effets de calendrier (plus de dépenses en juin-juillet qui seront compensées à la rentrée). D’un point de vue quantitatif, on ne doit pas s’attendre à de gros effets. Ce qui ne veut pas dire que certains secteurs d’activité n’ont ou ne vont tirer parti de cette victoire : c’est peut-être déjà le cas des brasseurs de bières, des vendeurs de télévisions, des distributeurs de maillots, des agences de paris sportifs, des médias… L’économie du football français va sans doute aussi bénéficier de cette victoire : le ballon rond hexagonal pourrait attirer plus de supporters dans les stades – à l’image du phénomène observé après la Coupe du Monde 1998 – ou encore connaître une hausse du nombre de licenciés (+200 000 en 1998, +150 000 en 2006).

D’un point de vue microéconomique, on pourrait observer un impact de la seconde étoile des Bleus, mais davantage d’un point de vue qualitatif. Depuis les années 1980 et l’avènement de l’Economie comportementale et psychologique (récompensée par deux Prix Nobel : D. Kahneman et R. Thaler), les économistes s’intéressent aux effets de certaines irrationalités, des biais cognitifs ou encore des émotions sur les comportements des individus. Ils se sont penchés également sur l’économie du « bonheur » et à sa mesure. Et là, l’impact d’un titre de Champion du monde peut-être plus intéressant à étudier.

C’est l’objet par exemple des études de C. Senik auteure de L’Economie du Bonheur (2014, La république des idées, Seuil) et qui s’est intéressée récemment à l’impact des grands événements sportifs sur le bien-être des populations[1]. Elle montre avec ses co-auteurs que pendant les Jeux olympiques de Londres, entre la date d’ouverture et de fermeture des jeux, le bonheur mesuré sur une échelle de zéro à dix, augmente de manière significative à Londres, plus encore qu’à Paris et à Berlin. Alors qu’il plafonne partout à 6,5 en moyenne avant les jeux, il atteint 6,8 à Paris et à Berlin, et culmine à 7 à Londres. Cet effet est cependant éphémère puisqu’au mois de septembre, le niveau de bonheur auto-déclaré redescend à 6,6.

A la lumière de ces travaux, il est vraisemblable que la seconde couronne de l’équipe de France va booster le « bonheur national brut » français à défaut d’impacter son Produit national brut. De même, il n’est pas impossible que l’optimisme, voire la confiance des ménages, augmente en cette période post-finale. Deux sentiments qui peuvent influencer certains comportements, comme l’arbitrage consommation/épargne. Et ce ne serait déjà pas si mal ![2]

Un autre exemple de l’impact d’une victoire au Mondial concerne les marchés financiers. Deux économistes de la Banque Centrale Européenne se sont intéressés aux transactions sur les marchés boursiers de quinze pays durant les Coupes de monde de 2010 et 2014[3]. Ils observent des preuves d’inattention importante des investisseurs lors de ces grands événements sportifs. Le manque d’attention pour les transactions est particulièrement important lorsque l’équipe nationale est en compétition, les volumes échangés diminuant jusqu’à 48%. Conséquence, pendant les matches de l’équipe nationale, les prix sur les marchés boursiers locaux peuvent temporairement dévier de l’évolution des marchés financiers mondiaux. Les économistes de Goldman Sachs vont plus loin dans l’analyse et observent que les marchés boursiers des Champions du monde montrent certaines spécificités : entre 1974 et 2014, le marché national de toutes les équipes gagnantes, à l’exception du Brésil en 2002, ont surperformé par rapport aux marchés mondiaux de 3,5% en moyenne dans la période qui suit la finale gagnée ; cette tendance s’atténue cependant par la suite pour s’annuler dans l’année.

En résumé, il se passe des choses au niveau de l’Economie lors d’une victoire en Coupe du monde mais les effets au niveau macroéconomique sont difficiles à trouver. Albert Camus disait qu’« Il n’y a pas d’endroit dans le monde où l’homme est plus heureux que dans un stade de football (ou au théâtre). » C’est peut-être du côté de l’Economie du Bonheur qu’il faut chercher les effets…

En 1998, l’économie française se trouvait dans un cycle positif, avec un taux de croissance relativement élevé. L’organisation de la Coupe du Monde et la victoire des Bleus dans le tournoi n’ont-ils pas joué un rôle marginal dans cette embellie économique ?

A l’image de la plupart des grands événements sportifs, l’organisation de la Coupe du monde en France en 1998 n’a eu que peu d’impact sur la consommation, l’emploi ou la croissance. En effet, il n’a pas été possible d’identifier un effet « Coupe du monde » positif – qui lors de cette compétition cumulait l’organisation et la victoire – sur le nombre de touristes, le PIB, voire sur l’indicateur de confiance qui à l’époque était déjà plutôt élevé.

Cette conclusion n’est d’ailleurs pas spécifique à la France mais s’applique à la plupart des grands évènements sportifs. Toutes les études d’impact réalisées avant les événements – souvent financées par l’organisateur – montrent des effets positifs sur la croissance, l’emploi, le tourisme… Mais les études réalisées ex-post, académiques, concluent la plupart du temps à un effet nul, voire négatif, dû aux effets de substitution (on « consomme » du foot plutôt qu’autre chose), aux effets d’éviction (certains touristes évitent les grands compétitions sportives) ou à des effets indirects pas toujours faciles à évaluer (dits « fuite dans le multiplicateur »).

Prenons le dernier Euro organisé par la France en 2016. L’impact macroéconomique pour l’économie française a été évalué par le CDES à 1,22 milliard d’euros, soit 0,06% du PIB. L’effet, même s’il est positif, demeure marginal. La consommation des ménages par exemple n’a pas cessé de diminuer entre avril et septembre 2016 !

L'argent du football

Luc Arrondel est co-auteur de l’ouvrage L’argent du Football, aux éditions CEPREMAP

Finalement, comme l’ont montré B. Drut et R. Duhautois (Sciences Sociales Football Club, 2015), peut-être le principal effet de la Coupe du monde 1998 et de la victoire française, était-il l’augmentation du nombre de nouveaux nés prénommés Zinédine (+251%) ou Lilian (+195%). Combien d’Antoine, Samuel, Benjamin, Kylian ou N’Golo supplémentaires en 2018 et 2019 ?

Suite à la Coupe du Monde 1998, la Ligue 1 a enregistré une hausse importante et durable de ses affluences dans les stades. Cette nouvelle victoire en Coupe du Monde peut-elle avoir des conséquences positives sur l’économie de notre football professionnel ?

S. Szymanski (Money and Soccer, 2015) date la « Renaissance du football » dans les stades à la fin des années 1980 avec une affluence globale en Angleterre, en France, en Allemagne et en Italie qui augmente de 2,3% par an, passant de 24 millions de spectateurs en 1989 à 42 millions en 2013. Les facteurs qui peuvent expliquer cette forte croissance sont différents selon les pays mais doivent beaucoup aux compétitions internationales (organisation et/ou succès). L’organisation de la Coupe du monde en Italie en 1990 a profité à la Serie A et la victoire de l’Allemagne à cette même compétition a rempli les stades en Bundesliga ; la victoire de la France lors de sa Coupe du monde en 1998 et à l’Euro 2000 a également bénéficié à la Ligue 1 de manière très marquée et durable, avec une augmentation de la fréquentation moyenne de l’ordre de 5 000 personnes après les succès des Bleus pour atteindre une affluence moyenne d’environ 20 000 personnes par match (23 000 après la victoire à l’Euro 2000).

La rénovation des stades est également un élément à prendre en compte, que ce soit en France pour le Mondial 1998 ou en Allemagne pour celui de 2006. A ce titre, il est à noter que l’impact de l’Euro 2016 sur les affluences de Ligue 1 a pour l’instant été insignifiant malgré le bon parcours des Bleus (finale perdue contre le Portugal), quatre nouveaux stades (Lille, Lyon, Bordeaux et Nice) et deux enceintes rénovées (Marseille et Saint-Etienne). Ces nouveaux espaces, de capacité plus importante, ont bien accueilli plus de supporters en moyenne (sauf à Marseille) mais sont loin de faire le plein (taux de remplissage inférieur à 70 %). Globalement, sur la période 2010-17, les stades français se sont remplis à moins de 70% (20 500 spectateurs en moyenne), bien loin des stades anglais et allemands qui font le plein.

La conjoncture est donc aujourd’hui idéale pour que les enceintes de Ligue 1 se remplissent davantage : des stades neufs ou rénovés en 2016 et une deuxième étoile sur le maillot de l’équipe de France en 2018. Le ballon est ainsi dans le camp des instances, FFF et LFP, et des clubs, pour surfer sur cette vague « bleu, blanc, rouge » et motiver les amateurs de football d’aller au stade. C’est peut-être également l’occasion de dialoguer davantage avec les supporters. Dialogue qui s’est un peu tendu ces dernières saisons pour des raisons diverses (interdiction de déplacement, utilisation de fumigènes…). De nombreuses questions sont intéressantes à discuter avec eux pour améliorer l’ambiance dans les stades et attirer du monde : tribunes « debout », fumigènes sans chaleur…

On a pu constater ces derniers jours que le « bien » football, capable de rassembler des millions de personnes dans les rues, n’est pas un bien économique comme un autre et qu’en particulier, on aurait tort de considérer les supporters comme de simple clients. Accorder une communion de plus de dix minutes avec leurs Champions du monde aurait été un minimum ! Matt Busby, célèbre coach de Manchester United de 1945 à 1969, n’affirmait-il pas : « Football is nothing without fans ».

[1] P. Dolan, G. Kavetsos, C. Krekel, D. Mavridis, R. Metcalfe, C. Senik, S. Szymanski et N. R. Ziebarth, « The Host with the Most? The Effects of the Olympic Games on Happiness », 2016.

[2] Dans cette perspective, le président Macron pourrait bénéficier d’une hausse de popularité liée à ces deux sentiments. Une note du Cepremap montre en effet que le vote en faveur du candidat Macron en 2017 s’expliquait en partie par le niveau de « bien-être » d’une part, et « d’optimisme par rapport au futur » d’autre part, des individus (Bien-être et Vote, CEPREMAP Observatoire du bien-être, 2018).

[3] M. Ehrmann et D. Jansen, “The Pitch Rather Than the Pit: Investor Inattention, Trading Activity, and FIFA World Cup Matches”, Journal of money credit and banking 49(4):807-821, June 2017 

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