Interview

P. Messerlin (Olbia Conseil) : « Tous les stades de l’Euro 2016 ont montré que faire plus grand et plus beau ne suffisait pas à remplir une jauge »

interview olbia conseil exploitation stade
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La loi Braillard votée au mois de mars dernier modifiera-t-elle en profondeur les relations entre collectivités locales et clubs résidents au sujet de l’exploitation des enceintes sportives ? Pour mieux répondre à cette question, nous avons sollicité l’avis d’expert de Pierre Messerlin, Directeur Associé chez Olbia Conseil, cabinet accompagnant les acteurs privés et publics dans la conception et la mise en œuvre de leurs projets sportifs.

La loi Braillard, votée sous la précédente législature, intègre des dispositifs visant à faciliter le transfert de la propriété des enceintes sportives aux acteurs privés (et notamment aux clubs résidents). Les dispositifs mis en place sont-ils suffisants pour favoriser un tel mouvement ?

La loi sur le sport du 1er mars 2017 autorise les collectivités territoriales à garantir l’emprunt bancaire d’un club professionnel en vue de construire, rénover ou acquérir son stade ou sa salle.

L’idée est d’inciter les clubs à investir eux-mêmes dans leur enceinte et leur permettre en retour d’augmenter leurs revenus grâce à une meilleure maîtrise de l’exploitation et à la modernisation de l’équipement.

Ce n’est pas inédit en France. L’Olympique Lyonnais a bénéficié d’une garantie du Département du Rhône pour financer son stade mais c’était dans le cadre très spécifique de l’Euro 2016. Désormais tous les clubs pro peuvent solliciter leurs collectivités.

Combien le feront dans les prochaines années ? Cela reste à voir. Quelques projets sont en cours, la SIG Strasbourg et son Arena basket par exemple.

Personnellement, j’y crois beaucoup. Les Länder allemands utilisent depuis longtemps les garanties publiques pour contribuer au financement des stades. C’est un formidable outil pour les clubs et les collectivités qui souhaitent inventer de nouveaux modèles de financement des enceintes sportives.

Par contre, cela exige aussi de travailler à deux. Fini la collectivité qui paye tout et décide seule. Des deux côtés, il faut échanger, expliquer, convaincre, articuler projet de club et projet de territoire, définir une vision partagée. C’est le prix de l’ambition commune !

Percevez-vous d’une manière positive le désengagement des collectivités locales des projets de stades ? Un nouveau stade s’inscrivant dans un projet d’aménagement du territoire, la disparition progressive des acteurs publics dans les projets de construction/gestion des stades ne pose-t-il pas problème ?

Je ne sais pas si on peut parler de désengagement. La plupart des enceintes de sport professionnel sont encore construites avec de l’argent public. Les stades de l’Euro 2016 en sont la meilleure illustration. Un seul a eu un financement majoritairement privé, celui de Lyon, et la Cour des comptes a rappelé que même pour lui, près du tiers de son financement avait été public quand on inclut les aménagements extérieurs.

On l’a noté, il y a aussi des évolutions qui, je l’espère, gagneront en ampleur ces prochaines années. Les clubs et les territoires vont expérimenter dans les modes de financement. Mais même dans ce cas, le territoire restera souvent un acteur clef pour faciliter l’accès au foncier, modifier le Plan local d’urbanisme, soutenir indirectement le projet (garantie d’emprunt par exemple), financer l’accessibilité…

En résumé, les acteurs publics ne vont pas disparaître. Ils ne se désintéresseront pas des grands équipements sur leur territoire.

La grande transformation attendue tiendra surtout à la manière dont ils vont repenser leur relation au sport professionnel. Comment favoriser un financement plus diversifié des enceintes, y compris avec une participation du club résident ? Comment en faire des lieux de vie pour les habitants du territoire et de promotion pour les entreprises ? Comment intégrer l’enceinte et le club dans la stratégie de développement du territoire et les utiliser comme vecteurs de son dynamisme en France et à l’international ?

Que pensez-vous du projet de nouveau stade financé à 100% par des fonds privés présenté par le FC Nantes ? A quelles conditions un tel projet sera-t-il viable selon vous ?

C’est moins le mode de financement qui suscite mon intérêt que le projet économique porté par le club : créer une enceinte moderne et créatrice de nouveaux revenus.

La politique de la métropole nantaise est aussi innovante : elle incite le football à chercher des investissements privés tandis qu’elle soutient fortement les sports économiquement moins « mûrs », notamment le handball et le basket. La stratégie de la collectivité s’adapte aux spécificités de chaque club pro. C’est malin !

Sur la capacité du stade, je suis un peu moins enthousiaste : 40 000 places, ça me paraît beaucoup compte tenu des affluences actuelles du FC Nantes (autour de 25 000 spectateurs). Tous les stades de l’Euro 2016 ont montré que faire plus grand et plus beau ne suffisait pas à remplir une jauge.

Le futur stade nantais peut-il être viable ? Le prix, 200 M€, ne paraît pas très cher et le promoteur qui cofinance le stade avec le club devrait trouver son compte dans le projet immobilier qui accompagne le stade : bureaux, logements, commerces…

Pour le club lui-même, c’est difficile à dire. On ne sait pas encore combien il investira. Mais quel que soit le montant, le programme fonctionnel de l’enceinte sera déterminant. Il conditionnera la capacité du club à créer de nouveaux revenus (billetterie, recettes match annexes, hospitalités, partenariats, commerces à proximité…) et donc à rembourser le stade puis à se développer. Il peut y avoir des coups de pouce extérieurs (une augmentation des droits TV ?) mais c’est bien là où se jouera son avenir économique.

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