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« Si nous ne faisons rien, c’est tout le football qui risque d’imploser »

interview observatoire sport et société
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Sujet généralement oublié des débats, la fondation Jean Jaurès a décidé de remédier à ce désintérêt de la classe politique pour le sport en lançant dernièrement l’Observatoire Sport et Société. A cette occasion, Ecofoot.fr s’est entretenu avec Pierre Rondeau et Richard Bouigue, Co-directeurs de ce nouvel observatoire, afin d’évoquer les objectifs de cette nouvelle structure tout en abordant différentes thématiques liées à la régulation du football professionnel.

Sur quels sujets porteront les travaux réalisés au sein de ce nouvel observatoire ? Quelle vision de l’économie du sport – et plus précisément du football – sera défendue au sein de cette nouvelle entité ?

La création de l’Observatoire Sport et Société suit la publication du livre Le foot va-t-il exploser ? Notre volonté est d’instiller le débat de la régulation dans le domaine du sport. C’est un dessein politique, pour la réflexion et le débat. A l’approche des élections européennes de 2019 et avec les hausses exponentielles de l’argent dans le sport, et particulièrement le football, nous voulions aborder différemment les problématiques de régulation, de réforme et de gouvernance.

Notre vision est de gauche, c’est indéniable, et les médias l’ont bien souligné, mais c’est une gauche moderne, positive, européenne. Nous refusons la caricature que certains ont pu nous donner, celle de la planification et de l’opposition continue au marché. Nous supportons une philosophie humaniste et progressiste, celle qui vit conjointement avec les réalités macroéconomiques, avec le marché et la concurrence. Il faut néanmoins construire une politique pérenne et pragmatique.

Oui il y a de l’argent dans le football, oui les clubs s’enrichissent de plus en plus, oui la croissance se maintient à des taux exceptionnels, oui le taux d’endettement faiblit et les décisions se rationnalisent, s’ordonnent. Mais quid des inégalités, des défaillances et des externalités négatives ? Que dire des niveaux de précarité et d’incertitude très élevés chez les sportives et les sportifs ? Il faut prendre ce débat à bras-le-corps et poser les bases d’un programme réaliste et censé.

A l’heure actuelle, nos projets sont nombreux. Nous allons entamer un tour de France des stades dès la rentrée prochaine, rencontrer des présidents de districts et des dirigeants de clubs, professionnels et amateurs, afin d’écouter leurs doléances et les intégrer à notre réflexion. A cela se rajoutera la publication continue et régulière de notes et de tribunes afin de faire rentrer le débat du sport dans le discours politique et médiatique.

Lors de vos premières interventions – notamment à l’occasion d’une tribune publiée dans Alternatives Economiques – vous défendez l’idée que l’Europe doit montrer l’exemple en termes de régulation de l’activité économique générée par le football. N’est-ce pas déjà le cas avec l’instauration du Fair-Play Financier, qui a permis de réduire drastiquement le niveau d’endettement global des clubs européens et favoriser la mise en place de modèles économiques pérennes au sein du football européen ?

Le fair-play financier est la première étape et nous nous félicitons de cette action globale. Seulement, nous estimons qu’il faut aller plus loin, tendre vers une meilleure protection des joueurs et soutenir l’intensité compétitive et l’équité sportive.

Il n’est pas normal, par exemple, que la hiérarchie sportive ait été bloquée depuis le fair-play financier et qu’on retrouve quasiment toujours les mêmes clubs dès les quarts de finale de Ligue des Champions. Il faut renforcer le suspense et le spectacle. De même, malgré les chiffres plus que positifs depuis l’introduction du fair-play financier, comment expliquer que les inégalités aient explosé et que la précarité se soit maintenue dans le domaine ? Le taux de chômage sportif reste très élevé et les situations individuelles inquiétantes restent nombreuses.

Enfin, où se situent les supporters, les fans de sport ? Ont-ils une part dans la prise de décision, dans la politique des clubs et des sélections ? Ils sont exclus du débat et subissent de plein fouet la hausse de la tarification dans les stades et sur les chaînes de télévision. Alors qu’ils sont des acteurs essentiels dans l’économie du sport, ils sont relégués au statut de simples spectateurs, de simples figurants. Il faut rétablir le dialogue et les intégrer dans les instances.

Le changement peut passer par l’action des institutions fédérales ou par le politique. Dans les deux cas, nous nous satisferons d’une évolution positive. Le but de l’Observatoire est d’impulser le débat et la réflexion, que cela passe par le Parlement Européen ou par l’UEFA. Notre seul souhait est de protéger le sport, c’est aussi simple que cela.

Dans votre projet de régulation, vous évoquez notamment la mise en place de nouveaux dispositifs pour favoriser la solidarité et le transfert de richesses entre l’élite du football professionnel européen et le monde amateur. N’avez-vous pas peur que de telles règles, imposées exclusivement au football européen, ne fassent perdre à terme à l’Europe son leadership dans cette « industrie » ?

L’Europe n’est pas la seule à comprendre le danger d’un trop grand laisser-faire. Des championnats étrangers ont déjà intégré des outils de régulation, comme la MLS outre-Atlantique, avec un salary-cap souple et un contrôle dans les dépenses, ou la ligue chinoise, qui a voté une taxe de 100% sur l’ensemble des transferts de joueurs étrangers de plus de 5 millions d’euros. Encore très récemment, la fédération saoudienne de football a décidé de prélever une part sur les salaires des joueurs afin de financer un fonds de développement pour le sport.

Il faut bien comprendre que le péril n’est pas la concurrence internationale, le péril reste le système lui-même. Si nous ne faisons rien, c’est tout le football, tel que nous le connaissons aujourd’hui, qui risque d’imploser. La régulation n’est pas à opposer à la liberté, la régulation est un moyen de renforcer et de pérenniser le modèle, de lui permettre de continuer à grandir sans heurt ni problème.

Il ne sert à rien d’opposer la droite à la gauche, de nous cataloguer de gauche et de limiter le débat au champ lexical politicien. Vous pouvez être de droite et partager nos idéaux, être libéral et admettre qu’il est nécessaire de réguler afin de consolider le marché. Nous ne voulons pas contraindre ou contrôler, nous voulons seulement protéger et pérenniser, garantir une croissance inclusive et durable.

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