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Comment le marché lutte contre la discrimination ?

« Le sport a le pouvoir de changer le monde. Il a le pouvoir d’unir les gens d’une manière quasi unique. Le sport peut créer de l’espoir là où il n’y avait que du désespoir. […] Il est plus puissant que les gouvernements pour briser les barrières raciales. » Telle était la vision de Nelson Mandela, le célèbre président noir d’Afrique du Sud.

Au moment de soutenir son pays dans l’organisation de la coupe du Monde de football, au début des années 2000, Madiba pensait que le sport était le meilleur moyen de lutter contre le racisme et la discrimination. Les valeurs véhiculées dépassaient les messages de haine et de violence.

La théorie économique moderne soutient d’ailleurs ce point de vue. Dès 1973, l’économiste Américain Kenneth J. Arrow, lauréat du Prix de la Banque de Suède en l’honneur d’Alfred Nobel, considérait qu’un marché parfaitement efficient conduisait naturellement à un équilibre. Ceux qui préféraient le choix discriminant étaient voués à disparaitre.

D’après lui, il est totalement contre-productif de privilégier tel ou tel agent en fonction de sa couleur de peau (ou de son sexe) car cela provoquerait une inflation sur sa valeur d’échange.

Il faut ici supposer que le marché du travail est un lieu de rencontre entre une offre, émanant des travailleurs, et une demande, émanant des producteurs. Normalement, il y a autant de demandeurs que d’offreurs et un prix d’équilibre se fixe naturellement, le salaire de marché.

Seulement, à partir du moment où un producteur va préférer demander un type particulier d’agent (un blanc plutôt qu’un noir, un homme plutôt qu’une femme, etc.), la demande discriminante devient supérieure à l’offre discriminée et le prix augmente.

Dans ce cadre, l’entrepreneur raciste subit une augmentation de ses coûts sans profiter d’une amélioration de sa productivité (les personnes choisies ne le sont pas en fonction de leurs capacités mais seulement en fonction de leurs spécificités).

D’après Arrow, un producteur rationnel serait donc incité à opter précisément pour l’agent discriminé car, bien qu’il ne soit pas moins bon, sa valeur sur le marché a été dévaluée : à talent et compétence égale, il vaut moins cher qu’un autre individu.

A terme et par convergence naturelle, tous les producteurs font ce choix. Le racisme et la discrimination devraient disparaître. Seulement, la théorie a-t-elle été prouvée dans les faits ?

L’économiste Espagnol Ignacio Palacios-Huerta, spécialiste de l’économie du sport et consultant pour l’Athletic Bilbao, la sélection Néerlandaise et Chelsea, a tenté de justifier empiriquement la théorie de la discrimination d’Arrow.

Dans son livre « L’économie expliquée par le foot » (sortie le 28 août), il étudie la variation de la proportion de joueurs noirs en Premier League, depuis les années 1970 jusqu’en 2010. Il élabore ensuite un modèle économétrique calculant l’impact de cette proportion sur les réussites à la fois sportives et économiques des clubs.

L'économie expliquée par le foot

L’économie expliquée par le foot écrit par Ignacio Palacios-Huerta et traduit en français par Pierre Rondeau sortira le 28 août prochain

D’abord, il montre que la part de joueurs noirs dans les effectifs des clubs est passée de moins de 1% en 1978 à quasiment 30% lors de la saison 2009-2010. Ensuite, il constate que les clubs ayant très tôt fait le choix de ne pas discriminer, comme Tottenham ou Arsenal, dans les années 1990, ont connu des performances sportives et économiques supérieures à la moyenne.

L’idée est qu’un footballeur, quel que soit sa couleur de peau, a un niveau stable, moyen. Ce n’est pas parce qu’il est noir, blanc, asiatique, arabe, indien, blond, brun, roux, qu’il est meilleur. Or, les équipes consciemment ou inconsciemment racistes, qui ont toujours préféré prendre des blancs, ont provoqué mécaniquement une hausse de la valeur de ces joueurs.

Mais le niveau n’a pas automatiquement augmenté. Les discriminants se sont donc retrouvés à payer plus chers des joueurs pas forcément meilleurs. Quant aux autres, ils ont profité de la rareté de la demande pour acheter des footballeurs noirs peu chers et aussi bons que les autres.

Contrairement à ce que pourrait dire un tacticien comme Willy Sagnol, entraineur des Girondins de  Bordeaux, la couleur de peau ne constitue pas un facteur déterminant le niveau global. Elle n’est qu’un détail physique au-delà d’une caractéristique technique.

Tant économiquement que sportivement, ces clubs maximisent en ne discriminant pas. La théorie d’Arrow et de Mandela est validée : le racisme est contre-productif, c’est un comportement irrationnel et bête, il altère les performances des équipes et contraint la réussite.

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