Politique / Droit

Le retour des quotas de nationalité dans le foot européen est-il possible ?

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Ververidis Vasilis / Shutterstock.com

Alors que la réintroduction de quotas de nationalité au sein des effectifs des clubs professionnels est un débat qui agite le football européen depuis plusieurs années ; toutes les tentatives initiées par la FIFA ou l’UEFA se sont heurtées dernièrement au droit européen. Léo Bazin, auteur de l’essai « Nationalité et équité dans le football » décrypte les jeux d’influence qui se dissimulent derrière cette question.

En mai dernier, le président de l’UEFA Aleksander Čeferin émettait le souhait de renforcer la régulation du marché des transferts. Pour ce faire, il demande expressément à l’Union Européenne de revoir la réglementation sur la libre circulation des travailleurs afin de limiter les transferts de joueurs à l’étranger. L’objectif affiché est le suivant : préserver « l’ouverture et l’imprévisibilité des compétitions ».

Toutefois, les institutions européennes – la Commission en tête – ne l’entendent pas de cette oreille, et refusent catégoriquement toute modification des traités. Alors que le traité de Lisbonne fait part de la « spécificité » des affaires sportives, ces dernières n’hésitent pourtant pas à s’ingérer dans leur gestion.

La gestion des affaires du football européen : objet de concurrence entre institutions européennes et lobbys footballistiques

L’article 165 TFUE, ajouté lors de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre 2009, ne garantit à l’UE qu’une compétence générale de « promotion des enjeux européens du sport, tout en tenant compte de ses spécificités (…) ».

Ainsi, les institutions européennes ont la possibilité de n’adresser que des recommandations, des propositions ou tout autre procédé non législativement contraignant aux institutions de gouvernance sportive. L’ancien chef-adjoint de l’unité sport de la Commission Européenne, Pedro Velazquez, précise d’ailleurs que l’UE n’aurait qu’une compétence d’appui et de coordination globale en la matière.

Les institutions européennes ne sont donc absolument pas érigées en régulateurs du football européen, et ne peuvent alors aucunement imposer une harmonisation de la réglementation aux Etats membres.

Pourtant, l’institution juridictionnelle de l’UE, la Cour de Justice des Communautés Européennes, est à l’origine d’un des bouleversements les plus importants dans le football moderne. Il s’agit bien entendu de l’arrêt Bosman de 1995, supprimant toute discrimination fondée sur la nationalité dans les clubs des Etats membres envers les joueurs communautaires. Ce bouleversement est intervenu unilatéralement, sans consultation de la FIFA ni de l’UEFA.

Depuis, cet état de fait ne s’est pas estompé et les institutions européennes s’immiscent dans les affaires footballistiques, pourtant pourvues d’instances de gouvernance spécifiques que sont la FIFA pour le football international, et l’UEFA pour le football européen.

De véritables rapports de force se créent avec les lobbys footballistiques et les instances de gouvernance du football européen. Ces derniers ont pour objectif d’influencer la politique européenne dans le sens de leurs intérêts. Ce paysage se compose principalement de trois structures. Tout d’abord, l’UEFA qui est l’autorité de gouvernance du football européen. Elle compte 55 fédérations membres et peut être considérée comme l’association continentale la plus importante, regroupant les fédérations les plus riches et influentes. Ensuite, il y a la FIFPRO, le syndicat des joueurs professionnels, regroupant pas moins de 50 000 joueurs et comptant 42 nations membres permanents. Il est la « voix exclusive, internationale et collective du monde des footballeurs professionnels ». Enfin, il y a l’Association Européenne des Clubs, qui compte 220 membres et dont l’objectif est de représenter les intérêts des clubs auprès de l’UE.

Le rôle de ces lobbys est loin d’être négligeable dans l’élaboration et la conduite de la politique européenne du football. Se forme une gouvernance dite multi-niveaux, au sein de laquelle cohabitent les lobbys, les Etats membres et les institutions européennes.

Cette cohabitation se concrétise-t-elle en une coopération harmonieuse et équitable ? Rien n’est moins sûr.

La concrétisation des rapports de force entre l’UE et les autorités de gouvernance du football européen : l’exemple de la remise en place avortée de quotas de nationalité

Le meilleur moyen d’avoir une idée concrète de cette tension entre l’UE et les instances de gouvernance du football européen est d’être attentif aux politiques de réintroduction de quotas de nationalité qui ont été tentées.

En effet, la FIFA et l’UEFA se sont clairement positionnées en faveur d’une réglementation qui puisse réinjecter de l’équité dans le football, par la mise en place de quotas liés à la condition de nationalité des joueurs. Le 30 mai 2008, la FIFA adopte une résolution sur la règle dite du « 6+5 ». Elle prévoyait, à partir de la saison 2011-2012, l’obligation pour un club d’aligner au moins six joueurs éligibles pour jouer dans l’équipe nationale du pays de son club. Cette forme de protectionnisme avait pour objectif de maintenir un équilibre sportif dans le football.

Supportée par la FIFPRO et l’UEFA, cette réglementation faisait l’unanimité des instances de régulation et des lobbys du football. Seulement voilà, elle avait pour défaut de contrevenir à la liberté de circulation des travailleurs dans l’UE, ainsi qu’à la jurisprudence Bosman.

Les institutions européennes se sont alors mis vent debout pour empêcher l’application de la règle du « 6+5 ». Le Parlement Européen puis la Commission rejettent la proposition de la FIFA. Cette dernière invoque le rempart de la non-discrimination et de la libre circulation des travailleurs dans l’espace communautaire. De plus, elle lance un avertissement aux Etats membres qui se risqueraient à appliquer cette règle, en mentionnant la possibilité de lancer des procédures d’infraction.

L’abandon de la résolution illustre le pouvoir d’ingérence des institutions européennes dans la gestion du football européen. Alors que tous les lobbys footballistiques s’étaient exprimé en sa faveur, ils n’ont pu qu’abdiquer face à l’UE. Concernant les souhaits récemment exprimés par M. Čeferin, il y a fort à parier que l’UE brandisse encore une fois le principe de libre circulation des travailleurs pour qu’ils ne restent que des vœux pieux. Affaire à suivre…

Par Léo Bazin, auteur de l’essai Nationalité et équité dans le football

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