Géopolitique

Coupe du monde 2018 : quels enjeux géopolitiques pour la Russie ?

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En organisant le Mondial 2018, la Russie va braquer les projecteurs du monde entier sur son territoire durant un mois. Plus que la réussite de l’événement sportif, la Russie compte se servir de cette compétition pour montrer au monde sa capacité à s’insérer dans les échanges mondiaux. Un défi de taille pour l’administration Poutine. Par Jean-Baptiste Guégan, co-auteur de Football Investigation les dessous du football en Russie.

Les enjeux géopolitiques liés à l’organisation de cette Coupe du monde 2018 sont nombreux et c’est notamment pour cela que la Russie de Vladimir Poutine a autant œuvré pour l’obtenir. Investir autant pour du football n’a de sens que si les ambitions et les retombées attendues dépasse le cadre du sport.

Les attentes du pouvoir russe se situent donc à plusieurs échelles.

A l’échelle internationale, la Russie poursuit sa politique de puissance sportive (sport power) initiée dès le second mandat de Vladimir Poutine. Cette approche géopolitique du sport répond à quatre axes : participer, gagner, organiser et importer dans les instances de gouvernance du sport mondial. Un plan que Moscou applique avec zèle au risque parfois de sorties de route comme on a pu le constater avec le rapport McLaren attestant d’un système de dopage institutionnalisé.

Il était donc logique que la Russie concourt à l’organisation de grandes manifestations sportives internationales comme la Coupe du monde 2018. Du Grand Prix de F1 de Sotchi en passant par les Jeux Olympiques d’hiver de 2014 en revenant par les championnats du monde de natation de Kazan en 2015, le fait d’accueillir la plus grande compétition de sport mondial avec les JO d’été s’inscrit dans une continuité stratégique.

Cette ambition complexe passe également par le développement du sport russe à l’échelle internationale, la célébration des victoires des sportifs et équipes russes mais aussi par une forte présence russe dans les instances du sport. Dans “Football Investigation les dessous du football en Russie” (Bréal) avec Quentin Migliarini et Ruben Slagter, des spécialistes du monde russe que nous avons rencontrés jusqu’à l’ambassadeur de la Russie en France qui nous a reçus, tous se rejoignent sur un point : l’ambition première de la Russie est de montrer qu’elle est une puissance sportive, mais pas seulement.

Ce qui est recherché, c’est de prouver qu’elle est capable d’accueillir le monde, de montrer ses atouts, tout en existant sur la scène internationale pour peser sur sa gouvernance. En accueillant l’une des deux premières manifestations sportives globales, l’Etat russe se situe sur la carte du monde comme un acteur de premier plan. La Russie y travaille son image, y démontre sa capacité d’influence et y affirme sa puissance, son rayonnement et sa faculté à peser dans les arcanes des institutions mondiales.

Au cœur du concert des grandes nations, l’organisation de la Coupe du monde 2018 vise de fait à prouver pour le peuple russe, les observateurs et les autres acteurs mondiaux que la Russie est incontournable, du moins importante, dans le système international que Vladimir Poutine appelle de ses vœux, celui d’un monde multilatéral où les décisions sont complexes et ne sont plus le fait des seules puissances dominantes comme les Etats-Unis, la Chine ou les Européens réunis au sein du G7.

L’enjeu tient donc à une volonté de réaffirmation internationale, dans une véritable logique géopolitique de puissance.

A l’échelle continentale, elle s’étalonne vis-à-vis de l’Europe et de son voisin chinois qui se prépare à candidater pour accueillir la Coupe du monde en 2030, tout en espérant la gagner d’ici 2050.

les dessous du football russe

A l’échelle régionale, la Russie peut déjà se targuer d’avoir battu l’Angleterre lors du vote très controversé de décembre 2010 qui a vu la FIFA lui attribuer l’organisation de la compétition. D’autre part en choisissant notamment l’enclave de Kaliningrad comme lieu de quelques matchs, elle rappelle aux Européens, sa présence et continue de s’affirmer. C’est d’autant plus vrai à l’heure où les relations se sont singulièrement refroidies depuis l’intervention russe en Crimée, au point de devenir presque glaciales avec la révélation de l’affaire Skripal, cet ancien espion russe visé par une tentative d’assassinat à l’aide d’un agent neurotoxique à Salisbury au sud de l’Angleterre. Les sanctions qui visent Roman Abramovitch ne sont par exemple pas étrangères à cette tension manifeste, tout comme le boycott par les plus hautes autorités politiques de la Pologne, de l’Islande et de l’Angleterre de la Cérémonie d’ouverture et du tournoi.

A l’échelle nationale, cette Coupe du monde concourt à renforcer l’image de leadership de Vladimir Poutine, à démontrer sa capacité à valoriser la Russie et à renforcer la fierté et l’unité nationales, bien au-delà des performances de la sélection russe, la Sbornaya, dont l’échec a déjà été anticipé. L’ambassadeur russe que nous avons rencontré à Paris pour “Football Investigation, les dessous du football en Russie nous l’a confirmé et Vladimir a abondé dans ce sens encore dernièrement.

« Concernant notre sélection, je dois reconnaître un fait : malheureusement, elle n’a pas eu de grands résultats dernièrement. Mais nous espérons (…) que la sélection jouera dignement, montrera un beau football, intéressant et moderne, et se battra jusqu’au bout » Vladimir Poutine, CCTV repris par l’AFP, 7 juin 2018

Cette Coupe du monde concerne évidemment la politique intérieure russe et les enjeux de pouvoir à l’échelle du pays et de ses régions. Mais après une réélection triomphale en mars dernier (76% des voix), l’enjeu n’est pas de prouver une quelconque mainmise sur le pays. Vladimir Poutine et son gouvernement visent à s’en servir pour d’autres buts. En dehors des aménagements des territoires liés à l’évènement et de la politique de grands travaux qui valorisera des villes oubliées pendant de nombreuses années comme Iekaterinbourg ou Saransk, Russia 2018 veut être la vitrine du pays et de son savoir-faire. Paradoxalement et sans angélisme aucun, le football va contribuer à ouvrir la Russie au monde et à ses touristes, tout en valorisant un patrimoine délaissé ou méconnu. L’enjeu est donc profondément économique et de long terme.

En effet, malgré la remontée des cours du pétrole et du gaz et la fin de la récession, le pays souffre encore des sanctions internationales. Or, cette Coupe du monde va permettre une mise en valeur non négligeable des atouts russes dans un pays qui accueille autant de touristes que l’Autriche avec plus de 24 millions de touristes en 2016.

Là se jouera l’enjeu majeur de cette compétition. L’Afrique du Sud et le Brésil en ont profité à moyen et long terme, comme Londres après les Jeux Olympiques d’été de 2012. En accueillant la Coupe du monde, la Russie joue assurément une carte majeure : montrer au monde, aux touristes, aux investisseurs et aux firmes transnationales qu’elle est un pays accueillant, sûr et capable de s’insérer dans les flux et les normes globales de la mondialisation. Pour cela, il faut espérer que la Coupe du monde se passe au mieux (sécurité, risque terroriste, qualité de l’accueil, surveillance policière, gestion des hooligans, racisme…). Les problèmes sont nombreux et il ne faut pas les minimiser mais on imagine que la Russie au regard des enjeux, fera le maximum pour ne pas ruiner ses investissements et la mise en application de sa propre stratégie.

Resteront néanmoins certaines limites que cette Coupe du monde ne pourra pas dissimuler comme l’absence de liberté de la presse, le déficit de pluralité réelle de l’offre politique, l’absence de débat démocratique contradictoire, la juste application des droits des minorités sexuelles et des opposants au régime, sans évoquer l’interventionnisme russe à l’étranger.

Par Jean-Baptiste Guégan

Jean-Baptiste Guégan est co-auteur, avec Quentin Migliarini et Ruben Slagter, du livre Football Investigation : les dessous du football en Russie

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