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Stratégie

Liga MX / MLS : un flirt de raison plutôt qu’un mariage

SUSA / Icon Sport

Depuis novembre 2019, la Major League Soccer (MLS) prépare une nouvelle version de son « MLS All-Star Game », où les meilleurs joueurs de la ligue affrontent généralement un adversaire européen dans un match d’exhibition qui donne l’occasion de faire diverses annonces et opérations marketing. Mais le 09 juin dernier, la direction de la MLS a indiqué que le prochain adversaire de la Team MLS ne serait pas européen mais une équipe composée des meilleurs joueurs de la… Liga MX, le championnat du voisin (et rival) mexicain. Une annonce qui n’est pas tellement une surprise pour ceux qui suivent l’évolution du soccer nord-américain. Après des années de jalousie et de dédain respectif, les deux ligues semblent dorénavant collaborer efficacement, si bien que l’idée d’une fusion fait son chemin dans les médias nord-américains. Un projet qui aiderait les deux ligues dans leur développement mais qui engendrerait son lot de problématiques. Par Antoine Latran.

Vers une Liga MX américanisée

Lors du lancement de la MLS en 1996, la Liga MX est loin d’envisager que ce championnat puisse être un futur rival à l’échelle continentale. Le Mexique a plutôt, comme dans d’autres domaines, le regard rivé vers l’Amérique Latine et ses voisins du sud. Jusqu’en 2016, ses clubs participaient à la Copa Libertadores face aux géants argentins et brésiliens, laissant la CONCACAF et ses oppositions américaines, honduriennes ou costariciennes de côté.

Cependant, la ligne de conduite de la Liga MX a profondément évolué ces derniers temps. En décembre 2020, la Liga MX change de président avec l’arrivée de Mikel Arriola, un économiste qui ne vient pas du monde du ballon rond. Ancien élève à la LSE, économiste passé dernièrement à l’Institut de la Sécurité Sociale du Mexique où il était Directeur Général, Mikel Arriola vient avec un objectif clair : augmenter les revenus pour la Liga MX et ses clubs. Ces derniers sont aux abois après la crise liée à la pandémie de Covid-19 et un rapprochement avec la MLS, grandement aidée par son système de ligue fermée, représente alors une opportunité difficile à refuser. Lors de l’annonce du MLS All-Star, Arriola présente dans un point presse la nouvelle l’ambition de la Liga MX.

« L’international sera un facteur clef pour notre expansion […] Nous voulons une croissance à deux chiffres comme la MLS. Nous avons l’opportunité de faire grossir notre marché nord-américain » a-t-il expliqué, un œil rivé sur les Etats-Unis. « Le marché est immense face à nous, et c’est unique […] Nous voulons accroître notre fanbase aux Etats-Unis avec celle de la MLS, grandir avec eux et étendre nos liens avec la ligue ».

La Liga MX reste bien au-dessus de la MLS sur de nombreux critères. Son affluence moyenne n’a rien à envier aux championnats européens (23 000 spectateurs/match), elle est dans le top 10 des ligues en valeur de joueurs selon Transfermarkt et enregistre également des audiences télévisées qui sont nettement supérieures à la MLS, y compris aux Etats-Unis, où la Liga MX est le championnat le plus regardé du pays devant la Premier League. Elle reste cependant, de l’avis de son Président, un géant endormi qui pourrait se rêver plus grand : « Il y a la possibilité d’une croissance à deux chiffres chaque année. Notre croissance n’est que de 5% par an sur les 12 dernières saisons ». La clef de cette croissance ne se trouve donc plus au sud, mais au nord selon le dirigeant mexicain.

Une collaboration renforcée

L’homologue de Mikel Arriola en MLS est le Commissaire Don Garber, qui chapeaute la ligue avec l’accord des propriétaires de franchises depuis 1999. De son point de vue, la nomination d’un économiste à la tête de la Liga MX est une bonne nouvelle, puisqu’Arriola véhicule un espoir de stabilisation et d’amélioration des recettes dans une division mexicaine qui est morcelée. Son prédécesseur, Enrique Bonilla, avait déjà amorcé un tournant vers une « américanisation » de la Liga MX en suspendant toute promotion et relégation pendant 5 ans en avril 2020, dans ce qui était perçu comme un pas vers la MLS. Don Garber ne peut que s’en féliciter et cette annonce pour un All-Star conjoint ne constitue qu’une étape supplémentaire.

En plus du match All-Star entre les deux divisions, qui devrait devenir une habitude dans les années à venir, la MLS a en effet resserré les liens avec son voisin ces dernières années. Tout d’abord avec la Campeones Cup, sorte de « supercoupe » entre les gagnants de la MLS Cup et ceux du tournoi Campeón de Campeones, annoncée en 2018 et organisée à deux reprises, en 2018 et 2019. Cette coupe, pour le moment exclusivement organisée chez le gagnant étasunien ou canadien, possède au-delà du prestige une capacité à engranger des revenus et à renforcer la collaboration entre les deux ligues.  Les audiences télévisées y sont plutôt bonnes, les spectateurs semblent être attirés par le spectacle sur le terrain (l’édition 2019 à Atlanta avait attiré 40 000 fans) et les équipes sont motivées, notamment côté MLS grâce à une importante dotation en cas de victoire.

En 2019, un deuxième tournoi de coopération a été créé, sobrement intitulé « Leagues Cup ». Quatre équipes de chaque ligue – les meilleures au classement, exceptées celles participant déjà à la CONCACAF Champions League  – s’affrontent dans un tournoi au format réduit. La première édition ne fut pas un franc succès pour la MLS (la finale fut entièrement mexicaine) mais elle s’avéra rentable avec une finale jouée à Las Vegas. Si le concept de la Leagues Cup n’est pas une première, puisque la Superliga se joua de la même manière entre 2007 et 2011, cette réitération semble prometteuse, avec une participation plus sérieuse des clubs américains, canadiens et mexicains, qui sont là encore motivés par des incitations financières. Après l’édition 2021, le format de la Leagues Cup devrait d’ailleurs être élargi à huit équipes par championnat et en 2023-24, le gagnant remportera une place en CONCACAF Champions League.

Une fusion bénéfique aux deux ligues

La Major League Soccer voit donc d’un excellent œil ces rapprochements progressifs, qui remplissent les stades et les caisses de la ligue. Ce n’est une surprise pour personne : cela fait plusieurs saisons que les chiffres de la Liga MX sont vertigineux aux Etats-Unis. Le tournoi de Clausura 2021, diffusé par la chaîne hispanophone Univision – qui a diffusé 130 matchs au total – a attiré une moyenne de 474 000 téléspectateurs par match, dont 3,7 millions pour la finale. En comparaison, la MLS Cup a été visionnée par 1,07 million de personnes. Les matchs entre les deux ligues sont donc une opportunité en or pour que les fans des clubs mexicains regardent des franchises MLS jouer, tout en leur montrant que le produit sur le terrain n’est pas si éloigné qualitativement de celui de la Liga MX. 

Les objectifs des deux ligues sont-ils donc uniquement financiers ? En grande partie. Selon le journaliste de The Athletic Paul Tenorio, le rapprochement progressif des deux ligues sera bénéfique pour les deux ligues. A court terme, la MLS va bénéficier d’importantes retombées financières grâce à une audience accrue tandis que la Liga MX renforcera son implantation sur le territoire nord-américain. A long terme, une possible fusion des deux championnats pourraient ainsi être bénéfiques pour les clubs issus des deux ligues.

Le projet d’un rassemblement permettrait à ce championnat nord-américain unifié de bénéficier d’une plus grande aura sur le continent. Le niveau de la Liga MX et de la MLS est difficile à comparer avec celui de leurs homologues du sud, tels que les championnats du Brésil ou de l’Argentine, mais les propriétaires nord-américains ont les poches profondes. Avec un rapprochement, certaines règles salariales finiraient par sauter et les clubs de MLS, qui pillent déjà les championnats sud-américains – ils étaient 42 Argentins à évoluer en MLS en 2020 ! – auraient moins de difficultés pour s’attacher les services des meilleurs joueurs du continent. Pour la MLS comme la Liga MX, le but sur le long-terme est de concurrencer l’Europe, plutôt que d’y vendre leurs meilleurs joueurs. En attirant les talents des Amériques – sans parler d’éventuelles recrues européennes – cette « superligue » pourrait concurrencer le vieux continent sur le marché des transferts. Certaines franchises y parviennent déjà à l’image d’Atlanta United. Si des deux côtés du Rio Bravo, il est probable que les fans de MLS et de Liga MX ne soient pas enthousiasmés par l’idée d’une superligue réunissant les clubs des deux championnats, les incitations financières pourraient convaincre les plus réticents.

Les divergences restent profondes

Plusieurs obstacles pourraient néanmoins se dresser en travers d’une fusion MLS – Liga MX. Même si Gianni Infantino s’est dit, dans le passé, en faveur d’un rassemblement de la MLS et de la Liga MX pour produire « la meilleure ligue du monde », ajoutant que « le potentiel dans les deux pays est énorme », le président de la FIFA pourrait revoir ses paroles suite à la vague de critiques qui a submergé le projet de superligue européenne. De plus, en soutenant la CONCACAF, la FIFA a par le passé contribué à la disparition de la franchise du Fury d’Ottawa, qui n’a pas obtenu les autorisations nécessaires pour continuer à évoluer en USL (D2 américaine). Les problématiques territoriales pourraient ainsi poser problème.

Les deux ligues cultivent également d’importantes spécificités. En décembre 2020, Don Garber avait ainsi émis des doutes sur une possible fusion, en pointant du doigt les différentes règles qui étaient en vigueur en Major League Soccer, en particulier au sujet du syndicalisme des joueurs. Selon le même modèle qu’en NBA, la MLS Players’ Association négocie tous les cinq ans les règles salariales avec la ligue. Des négociations qui concernent autant les rémunérations – à l’image du salaire minimum instauré en MLS – que les conditions de travail – nombre d’heures d’entraînement par semaine par exemple. Un pouvoir des joueurs qui a d’ailleurs surpris à plusieurs reprises certains techniciens étrangers officiant en MLS à l’image de Tata Martino ou encore Gabi Heinze. Les règles de la MLS portant sur les caps salariaux ou les échanges de joueurs contre des fonds d’allocation sont également des questions épineuses à régler, qui engendrent déjà des débats compliqués lors de compétition telles que la CONCACAF Champions League, en ne mettant pas les franchises MLS sur un même pied d’égalité que leurs homologues mexicains. Difficile de voir une ligue conjointe où certains clubs auraient moins de possibilités financières que d’autres.

Une fusion des deux compétitions pose également d’importants problèmes logistiques. Difficile pour une équipe de Los Angeles de se déplacer à Vancouver puis au Mexique dans la même semaine, avant de revenir en Californie et de partir sur la côte est, même si les calendriers peuvent être aménagés. Ces derniers seraient d’ailleurs compliqués à concevoir étant donné le nombre de franchises.

Enfin, il est possible que la Concacaf s’oppose à une telle fusion. Ces dernières années, la fédération américaine a cherché à satisfaire les désidératas de la MLS et de la Liga MX en proposant des formules plus avantageuses pour les deux ligues, aux dépens des championnats d’Amérique Centrale ou des Caraïbes. Une fusion des deux ligues pourrait porter atteinte à sa propre version de la Champions League, qui est déjà considérée comme une compétition secondaire par les clubs mexicains, seulement intéressés par le ticket pour la Coupe du Monde des clubs FIFA offert au gagnant.

Le format de cette fusion est également difficile à imaginer. Plusieurs options sont possibles, comme le montre l’histoire des championnats sportifs nord-américains. La Major League Baseball, fut un temps, possédait deux ligues séparées. Une idée que la MLS et la Liga MX pourraient reprendre, dans une formule similaire à la Leagues Cup. Une autre piste serait de mettre les meilleures équipes de MLS et de Liga MX ensemble, afin d’en tirer une autre version d’une « superligue » nord-américaine, avec des circuits de promotions/relégations. Cependant, cette question de la « pro/rel » est un tabou en MLS, où les propriétaires payent des centaines de millions pour intégrer la ligue. Pas question pour eux d’avoir déboursé autant d’argent pour se retrouver dans un circuit inférieur.

Une fusion Liga MX / MLS est un projet qui changerait la hiérarchie du football mondial. Cependant ce rassemblement ouvrirait, côté MLS, une véritable boîte de pandore de réformes sur des questions épineuses. Promotion/relégation possible, éclatement du cap salarial, adaptation des règles budgétaires voire implémentation d’un calendrier à l’européenne… Les changements nécessaires sont nombreux et ne ils ne seraient pas tous au goût des riches propriétaires américains à la tête des franchises de MLS. Un scénario visant à élargir le format de la Leagues Cup est davantage envisageable à court terme…

Liga MX / MLS : un flirt de raison plutôt qu’un mariage
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