Le CIO prend-il un risque en maintenant l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo alors que l’épidémie de Covid-19 est loin d’être résorbée ? Lors d’un entretien accordé à Ecofoot.fr, Alain Loret, Professeur des Universités honoraire et Fondateur de l’agence de prospective SWI, livre ses analyses sur la position défendue par le CIO depuis mars 2020 et la grande complexité d’organiser un tel événement en période de crise sanitaire. Interview.
Depuis le 24 mars 2020, date du report officiel des Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo, le Comité International Olympique (CIO) maintient sa décision de les organiser en juillet-août 2021 malgré l’explosion mondiale de l’épidémie de Covid-19. Or, depuis 15 mois, vous expliquez qu’il s’agit d’une très mauvaise initiative. Comment pouvez-vous le justifier ?
SWI est une agence spécialisée dans la prospective du sport. Nous construisons des scénarios qui explorent son futur. Le but est de permettre d’anticiper des situations ou des événements favorables ou perturbateurs de façon à préparer certaines décisions stratégiques. L’objectif consiste à les optimiser. Pour cela, nous exploitons des modèles d’analyse que nous construisons de manière spécifique. Nous les alimentons à partir de données nationales et internationales repérées via des dispositifs de curation du web. Nous concevons ainsi des structures de raisonnements originales qui facilitent le travail des décideurs confrontés à des environnements sportifs en transformation. Cette expertise a été utilisée pour les Jeux olympiques de Tokyo.
Lorsqu’au mois de janvier 2020, des médias anglo-saxons évoquèrent un coronavirus chinois et ses potentielles conséquences pandémiques nous avons immédiatement fait le lien géographique avec le Japon. Les deux pays sont proches. L’hypothèse d’une propagation transfrontalière du virus capable d’affecter les Jeux olympiques de Tokyo fut élaborée pour la première fois par nos soins. Elle s’est immédiatement révélée robuste. Nous l’avons donc documentée. Des données émanant, d’une part, des Jeux mondiaux militaires organisés en octobre 2019 en Chine à Wuhan (berceau de la pandémie de covid, NDLR) et, d’autre part, des Jeux olympiques de la Jeunesse organisés à Lausanne en janvier 2020 en présence d’une forte délégation chinoise furent exploitées. Sur cette base, le scénario d’une déprogrammation des JO de Tokyo a été établie de manière pertinente. Nous avons alors alerté les autorités sportives via Twitter du danger représenté par ce virus en créant le hashtag #CoronavirusOlympique à cet effet. Cinq semaines avant la décision officielle de report des Jeux olympiques, nous étions en mesure de l’annoncer. Nous l’avons fait le 23 février 2020. L’annonce officielle est intervenue le 24 mars.
Ce premier succès en termes de prévision des « effets olympiques du covid » nous a conduit à étendre l’analyse à l’impossibilité d’organiser les JO. L’hypothèse reposait cette fois sur des données de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) retravaillée à l’aune de cette nouvelle problématique. Nous avons élaboré un scénario baptisé « Effet domino ». Il établissait une chaîne de contamination pays par pays dont le calendrier dépassait la date du report établie par le CIO au mois de juillet 2021. Sur cette base, nous fumes en mesure d’affirmer que la simple décision de reporter les Jeux présentait un vice caché : un calendrier mal calculé. Après une semaine de recherche sur les effets collatéraux du covid (à l’époque inconnus, NDLR), nous présentions un nouveau protocole de décision basé sur le fait que la seule option du décalage de calendrier serait insuffisante. L’annulation des Jeux de Tokyo s’imposait alors. Le CIO avait en effet annoncé qu’il était impossible de les programmer au-delà de l’été 2021. Dans une tribune publiée le 15 mars 2020, nous établissions un « Critère zéro » d’organisation des JO reposant sur une vaccination étendue à l’ensemble de la planète. Ce critère s’avérant inatteignable en 2021-2022, les Jeux devenaient irréalisables.
Mais alors, si tous ces éléments étaient annoncés, comment expliquez-vous que le CIO ait maintenu sa décision de report en juillet 2021 ? Pourquoi n’a-t-il pas annulé directement les Jeux ?
Pour vous dire la vérité, c’est inexplicable. Deux éléments contradictoires doivent en effet être considérés. Le premier est l’état épidémique du Japon en mars 2020 au moment où fut prise la décision de reporter les Jeux. Le nombre de cas covid cumulés dans le pays était alors de 1 500 pour 32 morts (chiffres officiels). Le deuxième est son état épidémique au moment de l’ouverture des JO qui interviendra dans quelques jours. Le nombre total de cas est actuellement de 830 000 pour 15 000 décès (chiffres arrondis). Rapprocher ces données montre l’incohérence étonnante dont fait preuve le CIO. Car de deux choses l’une : s’il avait raison en 2020, il a tort en 2021 et… inversement.
Sa décision de maintien est donc fortement sujette à caution. En réalité, elle n’est pas du tout étayée. Elle ne repose sur aucune argumentation solide. Ses affirmations réitérées portant sur l’assurance d’être capable d’organiser des Jeux « sûrs et sécurisés » est démentie par les scientifiques.
Certains avancent des éléments financiers pour expliquer le maintien de Jeux. Qu’en pensez-vous ?