Interview

Me. Sambagué : « La plainte contre son employeur reste encore un tabou dans le football »

Pourquoi est-il si important pour un footballeur professionnel – ou un joueur aspirant à le devenir – de s’entourer d’un avocat spécialisé en droit du sport ? Me. Badou Sambagué, Fondateur du cabinet BS Law Paris et ex-avocat d’Ousmane Dembélé, aborde pour Ecofoot.fr le rôle joué par un avocat spécialisé en droit du sport dans la carrière d’un footballeur tout en revenant sur certains points précis comme la légalité des clauses libératoires.

Comment un agent repère-t-il les joueurs avec lesquels il souhaite travailler ? Comment se noue une collaboration type ?

Assez souvent les agents sportifs répondent à une demande émanant des familles qui se retrouvent très rapidement dépassées par le sport, et plus particulièrement le football et ses enjeux financiers colossaux.

La relation peut dans ce cas être basée sur des liens familiaux avec l’agent ou sur la réputation de l’agent dans la discipline visée (Football, Rugby, Basket…).

Aujourd’hui, avec les nombreux éléments juridiques et réglementaires intégrés aux contrats, est-il toujours possible d’être agent de joueurs sans être avocat spécialisé en droit du sport ?

La nécessité d’être conseillé juridiquement par un avocat spécialisé en droit du sport dès la signature du premier contrat avec un club n’est pas nouvelle. En notre qualité d’avocat, il nous arrive régulièrement d’interroger des familles sur la qualité des rédacteurs des contrats qu’elles sont amenées à signer lors de l’intégration par leur fils d’un centre de formation.

Pensez-vous que ces contrats soient rédigés par des entraineurs ou des recruteurs ? Non évidemment. Ces contrats sont rédigés par des avocats ou des juristes spécialisés et diplômés des meilleures formations en droit du sport.

Prenons l’exemple d’un jeune footballeur de 13 ans qui signe un contrat ANS (accord de non sollicitation) avec un club professionnel français. La famille et le sportif ont-ils conscience que ce contrat d’une durée de deux ans les engage en réalité pour 5 années minimum, voire 10 années (sauf s’ils décident de s’engager pour un club étranger) ? Il coûtera plus cher à un club français d’engager ce sportif qu’à un club étranger. C’est ce que l’on appelle une discrimination à rebours. Les départs à l’étranger se font parfois par dépit…

L’intervention d’un avocat spécialisé en droit du sport permet purement et simplement de rééquilibrer les débats. Le droit d’être conseillé ne doit pas appartenir qu’aux plus forts.

En Espagne, les clubs professionnels ont pour obligation d’intégrer une clause libératoire au sein des contrats noués avec leurs joueurs. Certains clubs, à l’image du Real Madrid, décident alors de fixer des montants très élevés pour se prémunir d’offensives menées par d’autres cadors européens sur d’éventuels joueurs clés. La fixation de clauses aussi élevées est-elle en conformité avec le droit européen ?

Il existe un principe essentiel en droit des contrats. Il s’agit du principe de la liberté contractuelle. Naturellement ce principe vient s’estomper lorsque l’on est en présence d’une partie faible et une partie forte, ce qui est précisément le cas dans la relation contractuelle entre un club et un footballeur.

Ces clauses libératoires d’un montant élevé contribuent par leur nature et leur objet à limiter considérablement la liberté de circulation des footballeurs. En effet, il serait délicat pour un joueur professionnel évoluant pour le club du Real Madrid par exemple de demander à être transféré vers le club français de Troyes (pour des questions salariales bien sûr mais surtout en raison du montant du transfert).

Cette limitation quant à la liberté de circulation du sportif ne doit toutefois pas nécessairement être regardée comme une violation du droit communautaire. D’une part, cette clause a été acceptée par le sportif et ne lui a pas été imposée. D’autre part, encore faudrait-il que le joueur signataire d’un contrat contenant une telle clause puisse porter l’affaire devant les juridictions communautaires. La plainte contre son employeur (même fautif) reste encore un tabou dans le domaine du football.

En France, les clauses libératoires sont proscrites par la LFP. Certains clubs décident de contourner cette règle en signant des accords sous seing privé. Pouvez-vous nous décrire cette procédure ? Et a-t-elle une valeur légale ?

Sans revenir sur le principe de liberté contractuelle exposé précédemment, il convient de rappeler que les parties peuvent prévoir un certain nombre de dispositions contractuelles à condition de respecter l’ordre public.

Doit-on considérer que l’insertion d’une clause de libération dans le contrat de travail d’un joueur de football professionnel viole l’ordre public ? A mon avis non.

La seule qualité que l’on peut reconnaître aux clauses libératoires c’est qu’elles sont « non-homologables ». Cela ne signifie pas qu’elles sont illégales.

Si la LFP ne les reconnaît pas, rien n’interdit aux clubs et aux sportifs de prévoir dans un acte séparé une clause permettant de rompre le contrat d’un commun d’accord en cas de proposition financière émanant d’un club tiers à la satisfaction des parties.

S’il s’agit d’un transfert franco-français, la principale difficulté résidera dans l’impossibilité de demander à la LFP de faire respecter les engagements pris par le club si celui-ci refuse de libérer le joueur puisque la Ligue est censée ignorer l’existence de cette clause. Il conviendra alors de saisir les juridictions étatiques.

S’il s’agit d’un transfert international, la FIFA sera compétente pour trancher le litige éventuel et pourra dès lors se fonder sur le montant indiqué dans la clause libératoire pour déterminer le montant du transfert. La FIFA reconnaissant ces clauses, il apparaîtra difficile de sanctionner le joueur qui décidera de quitter son club tout en prouvant l’existence d’une clause libératoire et d’une offre d’un club tiers correspondant au montant indiqué dans cette clause.

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