Interview

« L’avenir du joueur doit être au cœur des discussions lors d’un premier contrat professionnel »

interview loïc Alvarez

Ecofoot.fr s’est entretenu cette semaine avec Loïc Alvarez, avocat au barreau de Paris, mandataire sportif et Président de la Commission Régionale d’Appel de la Ligue Méditerranée de Football. Au cours de l’interview, nous sommes revenus sur les spécificités contractuelles en vigueur au sein du football professionnel tout en évoquant certaines problématiques liées aux contrats signés par les jeunes joueurs intégrant les centres de formation des clubs français.

Selon le droit du travail français, un Contrat à Durée Déterminée (CDD) ne peut être renouvelé plus de deux fois par l’employeur (18 mois). Cependant, la législation française prévoit une exception pour les sportifs professionnels. Cette exception peut-elle être contestée juridiquement ?

Il est tout d’abord important de rappeler les changements apportés par la loi Braillard, adoptée en 2015. Avant l’adoption de cette loi, le CDD dit d’usage était le contrat utilisé au sein du football professionnel français. Et le recours systématique à de tels contrats pouvait susciter des contestations.

L’un des principaux enjeux de la loi Braillard a été justement de sécuriser le recours aux CDD au sein du sport professionnel sans risque de remise en cause de ce procédé par les juridictions françaises. Depuis l’adoption de cette loi, les clubs professionnels ne font plus signer à leurs joueurs des CDD d’usage mais un CDD spécifique au sport professionnel.

Ainsi, sur le plan national, il n’y a plus de risque de remise en cause selon moi. Le recours aux CDD dans le sport professionnel est désormais inscrit dans la loi.

Mais la loi Braillard est-elle conforme au droit européen ?

En effet, les débats aujourd’hui se situent plutôt au niveau de la conformité de cette nouvelle loi par rapport au droit européen. D’ailleurs, il existe déjà des recours. Par exemple, le SNAAF a dernièrement déposé une plainte auprès de la Commission Européenne. Le SNAAF remet en cause certains éléments de la loi Braillard dont notamment le recours systématique aux CDD.

Un débat a commencé à s’instaurer dernièrement au sujet de la conformité de la loi Braillard au regard de la directive européenne de 1999 concernant le CDD et de la jurisprudence rendue en 2006 suite à l’arrêt Adeneler.

Dans sa directive de 1999, la Commission Européenne a rappelé que le recours au CDD doit être exceptionnel. La directive laisse le soin aux Etats membres de prévoir les cas au sein desquels le CDD peut être utilisé,  à condition de respecter certains critères et obligations. La durée maximale de tels contrats et le nombre de renouvellements autorisé doivent être précisément spécifiés. De plus, des raisons objectives doivent être énoncées dans la loi autorisant le recours au CDD.

Tous ces éléments sont également rappelés par la jurisprudence Adeneler de 2006. Cette jurisprudence rappelle que la simple prévision par la loi de l’application de CDD à un secteur d’activité spécifique ne constitue pas en soi une justification objective et suffisante au regard du droit européen.

Dans la loi Braillard, je considère personnellement que les raisons objectives permettant d’avoir recours aux CDD dans le secteur sportif ne sont pas précisément mentionnées. L’article L 222-1 du Code du Sport prévoit le recours aux CDD pour le secteur sportif sans réellement mentionner de justifications. Sur ce point précis, il y a, à mon sens, un potentiel risque de remise en cause devant le droit européen.

Une juridiction européenne prendra-t-elle le risque de remettre en cause la loi Braillard ?

Pour étudier de tels sujets, il est nécessaire de sortir du simple cadre juridique. Il faut prendre en compte toutes les spécificités du sport professionnel. Etant donné le fonctionnement du football professionnel aujourd’hui, la mise en place d’un autre type de contrat ne serait pas adaptée. Il faudrait, à mon sens, repenser l’ensemble du modèle juridique et économique pour cela.

Les transferts constituent un élément essentiel du modèle économique de nombreux clubs de football. Par exemple, en France, les recettes liées aux transferts représentent une des principales sources de revenus d’un grand nombre de clubs professionnels.

Or, ces indemnités existent car les joueurs sont liés à leur club via un contrat à durée déterminée. Le paiement d’une indemnité correspond à un dédommagement versé par le club acquéreur au club vendeur pour une rupture anticipée de contrat. Si le joueur était lié à son club en CDI, il pourrait alors démissionner à tout moment. Ce qui provoquerait la disparition de l’indemnité de transfert ! Le système économique du football professionnel serait alors totalement bouleversé.

Pourquoi la législation française empêche-t-elle les sportifs professionnels de signer des contrats supérieurs à 5 ans ? (article L222-2-4 du Code du sport)

Dans le cadre d’un CDD, il est impératif de fixer un cadre et de convenir d’une durée maximale. La durée de 5 ans est issue de la pratique constatée et des discussions entre les différentes parties prenantes. Mais il est vrai que certains pays adoptent une durée maximale plus longue à l’image de l’Espagne (ndlr : Saúl Ñíguez aurait dernièrement prolongé de… 9 ans son contrat avec l’Atletico de Madrid).

Cette question de la durée maximale du contrat CDD spécifique au sport professionnel avait été soulevée par les parlementaires et les partenaires sociaux. Les débats avaient débouché sur une fourchette entre 4 et 6 ans de mémoire. Finalement, la poire a été coupée en deux pour fixer la durée maximale à 5 ans.

Dans la pratique, cette règle ne pose pas vraiment de problème au sein du football professionnel français. Rares sont les clubs hexagonaux qui accordent des contrats de 5 ans à leurs joueurs. En général, les clubs font plutôt signer des contrats allant de 2 à 4 ans. Il faut bien avoir en tête également que plus un joueur aura un contrat longue durée avec son club, plus l’indemnité de transfert sera conséquente. La limite de contrat à 5 ans constitue un bon compromis pour les différentes parties.

La législation exceptionnelle en matière de renouvellement des CDD s’applique-t-elle exclusivement aux sportifs professionnels ? Le staff technique au sens large peut-il également être concerné par cette mesure ? Pourquoi alors le contrat de M. Jean-Claude HAGENBACH signé avec le FC Sochaux a-t-il été requalifié en CDI par la Cour d’Appel de Besançon ?

Le début de l’affaire Hagenbach remonte à 2005. Nous nous situons donc dans le cadre de CDD d’usage car la loi Braillard n’était pas encore entrée en vigueur.

Dans le cas de M. Hagenbach, la Cour d’Appel de Besançon a considéré que les conditions permettant d’avoir recours aux CDD d’usage n’étaient pas réunies. Par conséquent, la relation de travail entre l’employeur et son employé a été requalifiée un CDI.

Plus globalement, l’article L 222-2 du Code du Sport permet à la loi Braillard d’avoir un champ d’application assez large. Selon cet article, la définition du sportif professionnel recouvre tout joueur tirant des revenus de ses activités sportives et présentant un lien de subordination avec son club. En théorie, un joueur de CFA (National 2) peut être considéré comme un sportif professionnel !

Selon l’article cité précédemment, le CDD spécifique au sport professionnel peut également s’appliquer à l’entraineur professionnel salarié. C’est-à-dire à toute personne ayant pour activité principale rémunérée de préparer et d’encadrer l’activité de plusieurs sportifs professionnels.

Au regard de cette définition, il est donc possible d’appliquer le nouveau CDD sportif aux membres du staff d’un club professionnel. Ils rentrent pleinement dans la définition de l’entraîneur professionnel. Ils doivent cependant être titulaires d’un diplôme ou d’une certification de qualification prévu par le Code du Sport.

Toutefois, le périmètre d’application des nouveaux CDD sportifs est sujet à de nombreux débats entre avocats. Des questions sont posées concernant certains postes comme par exemple celui du kiné, du préparateur physique, du médecin… Il n’existe pas d’avis tranchés concernant certaines professions. Personnellement, au regard des définitions larges présentées au sein du Code du Sport, je considère que les CDD sportifs peuvent s’appliquer à l’ensemble des membres d’un staff technique d’un club professionnel.

Venons-en désormais aux problématiques contractuelles liées à la formation des jeunes joueurs en France. Les clubs professionnels français ont tendance à signer de plus en plus d’ANS avec de jeunes talents prometteurs. Pouvez-vous nous éclairer sur cette pratique ?

Un ANS est un accord de non-sollicitation. Cela permet à un club professionnel de contracter un accord avec un joueur dès l’âge de 13 ans. A l’issue de cet accord, le club s’engage à accueillir le joueur sous contrat au sein de son centre de formation.

A partir du moment où un joueur a signé un tel accord, il ne peut pas en signer un deuxième avec un autre club. C’est une mesure qui permet de sécuriser la signature d’un joueur avant qu’il ait l’âge de pouvoir intégrer un centre de formation.

Cet accord possède une valeur juridique. Tous les accords doivent être transmis à la LFP pour homologation. Et chaque club peut signer au maximum entre 6 et 8 ANS par an (en fonction de la catégorie du club).

La législation française protège-t-elle correctement les clubs contre les recrutements opérés par les clubs étrangers au sein des centres de formation hexagonaux ? Le schéma classique contrat aspirant, contrat stagiaire, contrat élite puis contrat professionnel est-il encore pertinent ?

Aujourd’hui, le schéma classique contrat aspirant, contrat stagiaire ou élite, puis contrat professionnel pourrait être revu afin qu’il soit plus protecteur pour les clubs formateurs. Cependant, ce n’est pas en mettant en place des mesures sans cesse plus répressives qu’on règlera tous les problèmes.

Actuellement, il existe déjà certains mécanismes permettant de dédommager les clubs formateurs. Par exemple, la Charte du football professionnel impose à tout club recrutant un jeune joueur en formation ou fin de formation de payer une indemnité si le joueur a refusé une offre de contrat de formation ou professionnel formulée par son club formateur avant le 30 avril de la saison en cours. Et certaines indemnités peuvent dépasser la barre du million d’euros selon si le joueur joue en sélection nationale.

Personnellement, je pense qu’il est surtout indispensable aujourd’hui de mener des campagnes de sensibilisation auprès des tous les acteurs du football professionnel afin de mettre fin à certaines dérives. Avant même de signer un ANS, certains joueurs sont approchés par des « intermédiaires » qui sont prêts à proposer des sommes astronomiques au joueur et aux parents du joueur afin de le faire signer dans un club étranger et cela malgré l’interdiction des transferts de mineur et l’interdiction pour un agent/intermédiaire d’être rémunéré sur le transfert d’un mineur

Il faut songer à protéger ces jeunes joueurs, « victimes » des nombreuses sollicitations. Certains choix, guidés uniquement par des considérations financières, peuvent détruire la carrière d’un jeune élément prometteur !

Afin de verrouiller contractuellement leurs pépites, certains clubs sont tentés de proposer de plus en plus tôt des contrats professionnels à leurs joueurs en centre de formation. Est-ce une bonne solution ?

C’est une solution intermédiaire. Cela permet aux jeunes joueurs d’atteindre plus rapidement leur but. Après, il faut analyser l’objectif final du club formateur. Certes, un garçon de 16 ans qui signe un contrat professionnel franchit un premier palier. Mais trop souvent, on ne se pose pas la question de son inclusion et de son accompagnement dans le projet du club à moyen terme. Si le garçon est mis de côté à 18 ans, ce n’est pas acceptable.

Lors de la signature d’un premier contrat professionnel, l’avenir du joueur doit être au cœur des discussions. Les clubs ne doivent pas « verrouiller » contractuellement leurs jeunes joueurs uniquement pour des considérations financières.

La FIFA ou l’UEFA cherchera-t-elle à l’avenir à mettre en place des règles plus contraignantes concernant le transfert des joueurs mineurs ?

Je n’ai pas connaissance de projet de ce type. La FIFA a sanctionné plusieurs clubs, notamment en Liga, pour non-respect des règles en matière de recrutements de joueurs mineurs. Mais ces sanctions répondaient plus à une question d’image qu’à une réelle préoccupation concernant la situation des joueurs mineurs. D’ailleurs, les règlements n’ont pas évolué à ce sujet. Cela n’a pas l’air d’être un sujet prioritaire pour les grandes confédérations internationales.

Source photo à la Une : Loïc Alvarez

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