Interview

« Les taxes sur le sport doivent financer le sport, et non pas le déficit public ! »

interview michel savin financement football amateur
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Les récentes mesures adoptées par le gouvernement Philippe – suppression des emplois aidés, baisse des dotations des collectivités locales, baisse programmée du budget du Ministère des Sports… – suscitent de nombreuses inquiétudes au sein du football amateur français. Alors que certains dirigeants poussent des cris d’alarme ; certains spécialistes ou autres dirigeants politiques y voient une opportunité de réformer le financement du football amateur en réduisant sa dépendance aux fonds publics. Afin de faire le point sur le futur modèle de financement du football amateur français, Ecofoot.fr est parti interroger Michel Savin, Sénateur Les Républicains de l’Isère et Président du groupe Pratiques sportives et grands évènements sportifs au Sénat.

Certains dirigeants du football amateur ont exprimé leurs inquiétudes suite à certaines décisions prises par le gouvernement Philippe. Quel regard portez-vous sur la politique sportive actuellement menée par l’exécutif ?

La politique sportive menée actuellement par le gouvernement n’a pas de ligne directrice, je le regrette profondément. La France organisera dans 6 ans les Jeux Olympiques et Paralympiques, c’est une formidable opportunité pour rendre notre société plus sportive, pour transmettre des valeurs fortes aux nouvelles générations. Le gouvernement a annoncé dans le même temps une volonté de réorganisation du sport français avec une nouvelle gouvernance ayant pour objectif 3 millions de nouveaux pratiquants et 80 médailles olympiques en 2024. Il s’agit là d’une véritable ambition … qui devrait être réalisée avec un budget en baisse de 50 millions d’euros en 2 ans ? Ce n’est pas sérieux.

Et c’est sans compter sur les baisses de dotations aux collectivités qui se retrouvent contraintes de baisser les subventions aux clubs et associations sportives, la suppression de la réserve parlementaire, la suppression des contrats aidés… Tout cela impacte fortement le monde sportif qui est aujourd’hui dans la détresse et ne sait pas où il va.

Le gouvernement fait les choses à l’envers. Définissons avant toutes choses des objectifs clairs pour le sport français puis réfléchissons aux moyens que nous lui donnons.

Aujourd’hui, le modèle économique des clubs de football amateur est encore très dépendant des subventions accordées par les collectivités locales. N’est-ce pas une bonne chose de tenter de réduire cette dépendance des clubs amateurs à l’argent public ? Quel est pour vous le bon modèle de financement d’un club amateur ?

Les clubs ne doivent en effet pas être totalement dépendants à l’argent public, d’autant plus dans cette période de réduction des dépenses publiques. Mais on ne peut pas imaginer un retrait total des aides publiques. Je tiens à rappeler que la suppression de la réserve parlementaire, qui bénéficiait largement aux associations sportives a laissé des traces, tout comme la suppression des contrats aidés.

Les collectivités locales ont une mission d’intérêt général. Elles l’exercent via ce soutien aux clubs sportifs sur leurs territoires – soutien financier nécessaire – mais également avec la mise à disposition des équipements qui permettent la pratique sportive, via un soutien humain mais également un soutien moral qu’il ne faut pas négliger.

Cependant, il nous faut réfléchir et mettre en place de nouveaux dispositifs permettant aux entreprises et au secteur privé de pouvoir plus facilement soutenir le sport amateur. Je ferai d’ailleurs des propositions à ce sujet prochainement.

A l’heure où le football professionnel français semble être entré dans une bonne dynamique – hausse future des droits TV domestiques, captation d’investissements étrangers… – ne faut-il pas demander à notre football d’élite de contribuer davantage à l’effort de solidarité en augmentant les contributions versées au monde amateur ?

Il est nécessaire que le sport professionnel soutienne le sport amateur. C’est là l’une des bases du modèle du sport français, qui permet à nos enfants de devenir les champions de demain, et nous devons l’encourager. Vous parlez d’une bonne dynamique, elle est réelle, mais il faut cependant être vigilant car tous les clubs français ne bénéficient pas de la même santé économique. Beaucoup de clubs équilibrent leurs comptes avec la vente de joueurs, dont la formation française est reconnue à l’international, ce qui nous fait perdre nos meilleurs joueurs.

L’effort de solidarité du football professionnel vers le sport amateur existe et dispose d’un dispositif fort : la taxe Buffet. Cette taxe est issue des droits de télévisuels et est affectée au développement du sport amateur via le CNDS. Mais alors que pour la saison 2017-2018, elle a rapporté 41,5 millions d’euros via le football – 46,4 millions d’euros via l’ensemble du sport professionnel – le gouvernement a plafonné la part revenant au CNDS à 25 millions d’euros. Les 21 millions d’euros restant allant alors directement dans les comptes de l’Etat ! Ce n’est pas acceptable. Les taxes sur le sport doivent financer le sport, et non pas le déficit public. Le football d’élite est prêt à soutenir et à financer le football amateur et à soutenir le sport amateur, mais on voit bien ici que les dispositifs efficients sont détournés de leur sens initial par l’Etat.

Il pourrait être également intéressant de réfléchir à l’utilisation et au fléchage de la solidarité interne au football, à l’utilisation de l’argent que verse la ligue professionnelle au monde amateur. Cet argent devrait nécessairement financer des projets déterminants, tels que la formation des dirigeants et des entraineurs du football amateur. Aujourd’hui, cette solidarité n’est pas clairement fléchée, ce qui la rend moins lisible.

Aussi, la solidarité entre sport professionnel et sport amateur, notamment au niveau du football, existe. Elle permet aujourd’hui de financer le sport, mais nous devons demain l’assurer et la renforcer pour assurer au sport français sa grandeur… si l’Etat n’abandonne pas tout !

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