Interview

« Le scout, c’est celui qui ramène les principaux actifs au club ! »

interview romain poirot scout
Alexander Ishchenko / Shutterstock.com

Métier souvent méconnu du grand public, parfois confondu avec celui d’agent, le scout s’avère pourtant très précieux pour appliquer la politique sportive d’un club de football. Ayant dernièrement lancé une formation pour faire découvrir ce métier, après avoir œuvré pour City Football Group ou encore Watford FC, Romain Poirot nous livre sa conception d’une profession dont il maîtrise tous les codes. Propos recueillis par Pierre Nicouleaud.

Vous avez dernièrement lancé une formation dans l’univers du scouting PFSE (Pro Football Scouting Experience). Pourquoi vous lancez-vous dans cette nouvelle aventure ? Quel est le concept de cette formation ?

J’ai lancé cette formation par volonté d’échanger, de partager mes connaissances. Parmi mes sources d’inspiration, j’écoute attentivement quelqu’un comme Idriss Aberkane qui compte 3 doctorats en sciences de gestion, biologie et relations internationales. Il prône le fait de partager ses connaissances avec les autres pour progresser individuellement. Je cherche donc à appliquer ses préceptes. J’ai eu la chance de travailler durant 7 ans auprès de City Football Group. Cela serait dommage de ne pas partager une telle expérience !

Outre le scouting, le but de cette formation est également de sensibiliser le grand public aux métiers du football. En France, on néglige trop souvent les aspects économiques quand on parle de sport. Même si ça commence à évoluer, nous nous sommes pendant longtemps cantonnés à la vision du sport de Pierre de Coubertin. Il faut bien se rendre compte qu’en Europe, nous sommes les seuls à avoir un problème avec l’argent dans le sport ! Il n’y aura pas de marche arrière dans l’évolution de l’industrie sportive. Il faut donc accepter cette évolution et prendre le train en marche.

Quelle est la clientèle visée via cette formation ?

Tous les passionnés de football, toutes les personnes qui veulent apprendre des choses. Le prix de la formation est très abordable par rapport au contenu. Je ne fais pas cela pour l’argent. Je m’inscris vraiment dans une démarche d’échange.

Il n’est pas impératif de vouloir faire carrière dans le scouting pour s’inscrire à la formation. Il faut être passionné et vouloir échanger sur différents thèmes comme l’analyse de joueurs ou plus globalement l’économie du sport.

Quelles sont les qualités requises pour devenir un bon scout ?

En premier lieu, il est indispensable d’aimer son métier. Et aimer le métier de recruteur, c’est différent d’aimer le football. Physiquement, il faut être en capacité d’assumer beaucoup de kilomètres pour assister à de nombreux matchs. Être objectif et pondéré font partie des qualités requises. Enfin, il est indispensable d’assumer ses décisions, de savoir se faire confiance.

Rien ne remplace l’expérience pour pouvoir anticiper la progression d’un jeune joueur. Il est donc indispensable d’aller voir de nombreuses rencontres des U14, U15 pour se construire une opinion, forger sa capacité de réflexion. En parallèle, il faut également travailler son réseau tout en acquérant une bonne connaissance du marché. Au final, c’est un travail fastidieux quand on le fait bien !

De l’autre côté, les clubs doivent respecter et mieux comprendre notre métier. Le scout, c’est celui qui ramène les principaux actifs au club ! Il faut donc lui donner les moyens de bien travailler en conséquence. La gestion managériale doit être en cohérence avec les objectifs fixés, à l’image d’une entreprise classique.

Souvent, le grand public, mais aussi parfois les clubs, confondent les scouts et les agents. Mais nous ne faisons pas le même métier ! Les agents sont des courtiers qui cherchent des contrats. Les recruteurs travaillent pour leur(s) club(s) et sont animés par la passion au service de leur employeur. C’est un travail de long terme !

Comment un club détermine-t-il les profils de joueurs à observer ?

Il y a deux éléments majeurs à considérer : l’aspect économique et les considérations liées à l’ADN du club. Par exemple, des clubs comme le FC Barcelone ou l’Ajax Amsterdam vont recruter des éléments aux caractéristiques similaires. C’est-à-dire des joueurs à l’aise avec le ballon, dotés d’une intelligence de jeu supérieure à la moyenne. Ils recherchent des joueurs pouvant s’adapter à l’institution, au style mais également aux valeurs du club. En France, l’Olympique Lyonnais essaie d’emprunter la même stratégie dans son recrutement. En suivant une ligne directrice.

Après, l’aspect économique a évidemment son importance. Les clubs adaptent leur politique en fonction des moyens déployés.

Encore aujourd’hui, existe-t-il de réelles différences dans les profils recherchés en fonction des championnats européens ?

Il existe des sensibilités différentes en termes de jeu, de culture. On peut facilement opposer l’Islande et l’Espagne. Les clubs s’adaptent aux caractéristiques locales en fonction du vécu et de leur culture.

Le scouting dépend du style de jeu dans le pays dans lequel vous évoluez. Prenons un cas concret : le Toulousain Issa Diop vient de s’engager avec West Ham. C’est un défenseur costaud, fort dans les duels et de grande taille. Il possède le profil typiquement recherché par les clubs de Premier League au poste de défenseur central.

Aux Pays-Bas, les profils recherchés pour le même poste sont très différents. La taille a moins d’importance en Eredivisie et la qualité de relance est privilégiée. Même chose en Espagne, championnat dans lequel des défenseurs comme Raphaël Varane et Samuel Umtiti s’épanouissent.

Quelles sont les contraintes légales à respecter pour le recrutement d’un jeune joueur ?

Faire venir un joueur étranger avant 16 ans est interdit par l’UEFA. Et la limite d’âge est de 18 ans pour les joueurs considérés comme extracommunautaires. Cependant, certains accords permettent de contourner cette limitation.

L’arrêt Malaja, remontant à 2003, facilite le recrutement de jeunes joueurs provenant des pays d’Europe de l’est (hors UE) et de certains états d’Asie Centrale. Une sélection en équipe U17 et U19 suffit pour faire venir les jeunes joueurs. Il en est de même avec certains pays d’Afrique via la signature des accords de Cotonou. Il existe également des accords bilatéraux de ce type : c’est le cas notamment entre le Portugal et le Brésil. Des accords qui procurent de véritables avantages concurrentiels.

L’article 19 du règlement sur le statut et le transfert des joueurs de la FIFA – qui permet notamment le transfert des joueurs à partir de 16 ans au sein de l’Union et de l’Espace Economique Européen – impose néanmoins certaines conditions à ce type de mouvement. Le club accueillant le nouveau joueur doit fournir un dispositif éducationnel et logistique à sa nouvelle recrue. Il doit ainsi lui prodiguer une formation professionnelle, lui fournir un cadre de vie stable et des billets d’avion pour lui permettre de retourner voir sa famille régulièrement.

Par le passé, certains clubs ont été épinglés car ils ont tenté de contourner cette règle. La FIFA stipule bien que la famille doit changer de pays seulement pour des raisons non liées au football. Cela a couté une suspension de marché des transferts d’un an au FC Barcelone.

Selon vous, l’inflation sur le marché des transferts va-t-elle se poursuivre à moyen terme ?

Oui car les ressources des clubs augmentent. Néanmoins, le Fair-Play Financier tente de réguler cette inflation, avec plus ou moins de succès. Mais, en réalité, si on prend de la hauteur, on remarque que cette inflation concerne surtout le marché des superstars. Et, à terme, je vois bien un joueur comme Kylian Mbappé battre le record de Neymar Jr.

Pour répondre à votre question, il faut prendre en compte l’évolution des recettes TV. Et, à mon avis, nous ne sommes plus très loin d’atteindre la valorisation maximale des droits TV dans les principaux championnats européens. Pour que les droits TV poursuivent leur croissance, il faudrait désormais créer une Ligue Européenne en y intégrant les top clubs et proposer un contenu ultra qualitatif. C’est-à-dire faire un travail de segmentation, ni plus ni moins. En France, le résultat du dernier appel d’offres va mécaniquement entraîner une augmentation des salaires des joueurs moyens et un afflux plus important de jeunes talents étrangers. Car, de fait, les budgets des clubs vont augmenter.

Concernant les indemnités de transfert, on observe des réajustements en fonction des postes. Aujourd’hui, les meilleurs joueurs offensifs se vendent aux alentours de 200 M€. Et cela a également entraîné un réajustement des prix au niveau du marché des défenseurs. On l’a vu l’hiver dernier avec le départ de Virgil van Dijk à Liverpool FC pour 85 M€. Le montant misé par West Ham United pour recruter Issa Diop – environ 25 M€ – n’est pas incohérent. Le prix moyen d’un très bon défenseur central du Big Five est désormais compris entre 30 et 50 M€. Et un top défenseur central se négociera autour de 90 M€.

Le marché mondial est déterminé par les moyens déployés par les équipes du Big Five européen. Des moyens qui sont liés aux recettes TV et au marketing mondialisé mis en place par les principales formations de ces championnats.

Propos recueillis par Pierre Nicouleaud

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