Interview

Le football, véritable « instrument » de cohésion sociale ?

football instrument cohésion sociale
A.RICARDO / Shutterstock.com

Exagéré pour certains, trop peu mis en avant pour d’autres, le football peut indéniablement jouer un rôle – positif ou négatif – de cohésion sociale. Notamment à l’occasion des grandes compétitions internationales, suivies massivement par les foules. Pour évoquer la puissance de l’outil « football » comme instrument de cohésion, Ecofoot.fr a échangé avec Seghir Lazri, Doctorant en Sociologie et Chroniqueur pour Libération.

Certains sociologues, hommes politiques ou encore acteurs du monde sportif affirment que le football – et notamment les (bonnes) performances d’une sélection nationale lors d’un grand tournoi international – peut être bénéfique à la cohésion sociale d’un pays. N’a-t-on pas tendance à exagérer le rôle et la place du football dans la société ?

À vrai dire, pour ce qui du cas de la France, c’est assez particulier. Il semble que le football et beaucoup d’autres sports ont un véritable rôle social et politique que lorsqu’il est question de la sélection nationale. Il y a en France, une conception très nationale du football, la culture « club » est moins développée par rapport à d’autres nations, et cela notamment depuis la reconstruction d’après 1945, où la France a opté pour une organisation encore plus pyramidale et étatique du sport. La légitimé d’une pratique tient à sa capacité à se rattacher à une fédération. Les meilleurs sportifs de la nation sont sous la gouvernance de l’État, et leur consécration passe par la sélection nationale notamment dans les sports olympiques.

En ce sens, le football s’inscrit comme une chose publique, où tout le monde à un droit de regard. On entend souvent des critiques quant aux joueurs sélectionnés, on parle de « 60 millions de sélectionneurs » ou encore de « Footix », autrement dit, de personnes connaissant peu de choses sur le football, mais qui, le percevant sous le prisme d’une cause nationale, se sentent concernés.

C’est à mon sens, un phénomène qui a très bien été compris par les politiques, qui se servent de cet objet pour conquérir des voix ou redorer leur image. Le football, et notamment l’équipe nationale est un bel instrument de cohésion, mais malheureusement éphémère, qui ne peut fonctionner qu’avec l’aide des institutions (financement des infrastructures, des associations).

Existe-t-il des exemples dans l’histoire où le football a véritablement contribué à unir les différentes communautés d’un même pays ?

Je pense que France 98, en est un exemple, avec l’équipe de France, mais aussi avec l’Iran qui avait battu les États-Unis. Ce soir-là, les gens sont descendus dans la rue sans se soucier réellement du régime de gouvernance de leur pays.

Puis les travaux de l’historien Fabien Archambault montrent justement que le sport et le football en particulier contribuent à la cohésion sociale d’une nation, de par les victoires, mais aussi les défaites qui vont souder une nation, en générant chez chacun le même ressenti, au même moment, dans une géographie bien déterminée. Pour Fabien Archambault, le football est même l’un des meilleurs moyens pour créer une identité nationale.

L’Histoire est souvent considérée comme l’un des ciments unissant les citoyens d’une même nation. Finalement, le football ne va-t-il pas avoir dans le futur une place plus importante dans nos livres d’histoire ?

Il me semble que c’est déjà le cas. Dans certains manuels scolaires, la photo de l’équipe de France, le soir de la victoire 98 est présente depuis au moins 15 ans. Si le football ne s’inscrit pas dans l’histoire officielle, son implantation dans la mémoire collective est plus forte encore. Lors de la victoire de 2018, les gens se sont rendus sur les Champs-Élysées, parce que cela faisait bien plus référence à 98 qu’à la Libération de 1945.

C’est aussi pour cela que la sociologie s’intéresse à la mémoire collective, parce qu’elle renseigne clairement sur ce qu’étaient les représentations sociales d’une population à un moment particulier de l’histoire. Dès lors pour comprendre l’impact d’une victoire, il faut se pencher sur ces souvenirs sociaux.

Les exploits footballistiques ne constituent-ils pas désormais un ingrédient essentiel à la construction d’un récit national ?

Totalement, comme je vous le disais précédemment, les victoires participent pleinement à la construction d’un récit national et d’une identité. Par ailleurs, les défaites ou encore les drames sportifs sont aussi significatifs. L’affaire Knysna en est un bon exemple, puisqu’en fustigeant certains joueurs pour leur comportement, le gouvernement de l’époque a aussi condamné d’autres individus, ceux issus notamment de certaines populations socialement vulnérables. Dès lors ce sont les tensions existantes dans la société qui ont trouvé dans le football, une certaine visibilité. À vrai dire, le football, au-delà de produire un discours qui fortifie le lien social, permet aussi de révéler la véritable nature des liens déjà existants dans une société.

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