Interview

« Il n’est pas nécessaire d’être le frère d’un joueur de football pour devenir agent »

Ecofoot.fr a eu la chance cette semaine de s’entretenir avec Sidney Broutinovski, fondateur de l’Ecole des Agents de Joueurs de Football (EAJF) et Directeur Général du cabinet d’agents 11 de légende. Au cours de l’interview, nous avons abordé les évolutions concernant l’exercice de la profession d’agent de joueurs. Décryptage…

Comment avez-vous eu l’idée de créer une école d’agents de joueurs ?

L’Ecole des Agents de Joueurs de Football (EAJF) est une initiative privée qui a vu le jour en 2009. Au moment de la création de l’école, nous accueillions une dizaine d’étudiants. Désormais, nous comptons 230 élèves par promotion, répartis au sein de 5 établissements (Paris, Lille, Lyon, Marseille et Nantes).

La vocation de l’école est d’enseigner concrètement le métier d’agent de joueurs tout en préparant les élèves à l’obtention du fameux sésame, c’est-à-dire la licence d’agent qui est délivrée par la Fédération Française de Football. L’examen est organisé conjointement chaque année par la FFF et le CNOSF.

La première partie de l’examen est une épreuve commune à toutes les disciplines sportives. C’est essentiellement un examen de droit. Puis, il y a la spécialité dont l’épreuve a lieu en mars/avril pour le football. Il faut obtenir la note de 10/20 à la première partie de l’examen pour pouvoir passer l’épreuve de spécialité.

L’obtention du diplôme suffit-il à exercer la profession d’agent de joueurs ?

Il faut bien faire la différence entre l’examen et la profession. Si l’obtention du diplôme est indispensable pour pouvoir exercer le métier d’agent de joueurs en France, cela ne suffit pas pour pouvoir accomplir pleinement sa profession.

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Crédit photo : © EAJF

Tout au long de l’année, nous faisons comprendre à nos élèves que le développement du réseau a une place déterminante dans l’exercice de la profession d’agent. Et ce n’est pas aussi difficile qu’on le prétend ! Il n’est pas nécessaire d’être le frère d’un joueur de football pour devenir agent. D’ailleurs, les plus grands agents au monde ne sont pas issus d’une famille de footballeurs.

En général, les élèves qui se présentent à l’examen ont déjà bâti un premier petit réseau. Nous encourageons alors les élèves de nos promotions à échanger entre eux, afin de nouer rapidement des liens dans le secteur. Nous développons en interne de nouveaux outils pour favoriser ces échanges. Dernièrement, nous avons ainsi sorti une plateforme en ligne qui s’appelle MyEAJF et qui permet à nos étudiants situés dans les différents établissements d’échanger entre eux.

Ensuite, pour exercer avec efficacité son métier, il est indispensable de connaître de l’intérieur les clubs de football professionnel. En apparence, le fonctionnement d’un club parait simple mais il est nécessaire d’identifier les missions et les objectifs des différentes personnes de l’organigramme d’un club de football. Il faut étudier qui se charge du recrutement, qui valide les décisions, comment la cellule professionnelle interagit avec le centre de formation… il y a beaucoup de paramètres à connaître sur le fonctionnement d’un club professionnel. A ce titre, nous avons organisé cette année un séminaire au sein des installations de l’AJ Auxerre.

Est-ce facile de convaincre un club professionnel d’accueillir vos étudiants pour un séminaire ?

L’organisation d’un séminaire dans un club professionnel est un projet qui me tient à cœur depuis 2009, c’est-à-dire depuis la création de l’EAJF. En effet, au départ, aucun club n’avait accepté d’ouvrir ses portes à nos étudiants.

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Crédit photo : © EAJF

Cependant, avec le temps, les clubs ont compris l’importance de nouer des contacts avec les futurs agents. A l’EAJF, nous avons également entrepris un gros travail pour que la profession d’agent soit moins diabolisée par les clubs professionnels. Nous avons depuis acquis une bonne réputation dans le milieu, avec de plus en plus d’agents issus de nos promotions qui évoluent au sein du football professionnel.

Vous êtes également directeur général du cabinet d’agents de joueurs 11 de légende. Comment avez-vous créé ce cabinet ?

En 2013, on a décidé de créer une junior entreprise. L’idée première de ce cabinet était d’introduire sur le marché nos meilleurs étudiants qui ont obtenu la licence. Nous leur faisons ainsi bénéficier de nos locaux, de notre savoir-faire, de nos contacts…  Cependant, nous pratiquons une ferme sélection. Certaines années, nous ne prenons personne car nous ne trouvons aucun profil parmi nos étudiants en capacité de compléter nos équipes.

Désormais, 11 de légende n’est plus une junior entreprise mais un cabinet à part entière d’agents de joueurs. Les activités du cabinet se sont fortement développées. Dernièrement, nous avons fusionné nos activités avec celles de mon ami Alessandro Canovi, qui est devenu président de la structure. Alessandro Canovi est notamment l’agent historique de Thiago Motta dont nous gérons désormais les intérêts. Alessandro chapeaute l’intégralité des équipes et partage son expérience et son savoir-faire.

En intégrant le cabinet 11 de légende, les jeunes agents gèrent-ils directement un portefeuille de joueurs ?

En effet, on attribue à nos recrues un portefeuille de clients relativement important. Cela permet de les responsabiliser rapidement. Ils comprennent immédiatement ce qu’on attend d’eux. Nous accordons peu de temps au travail théorique de post-formation car nous estimons que c’est sur le terrain qu’on apprend le plus rapidement.

Evidemment, ils sont accompagnés au départ par les plus anciens de l’agence. Moi-même, je m’occupe des nouvelles recrues en tant que directeur général. Ils ne sont pas lâchés dans la nature. Nous les accompagnons dans l’accomplissement de leurs missions.

Cela ne fait pas peur à vos joueurs/clients de collaborer au sein d’un cabinet qui intègre des profils juniors ?

Aujourd’hui, nous sommes rentrés dans une phase où un joueur est obligé de collaborer avec un agent professionnel pour gérer au mieux sa carrière. Ils ne peuvent plus se contenter de travailler avec une personne sans bureau physique et qui gère ses intérêts de façon non-professionnelle.

Au sein de notre agence, chaque joueur possède un référent avec, en coulisse, une équipe qui œuvre pour gérer au mieux les dossiers. Nous avons une obligation de résultats. A tous nos clients, nous nous engageons à fournir la meilleure prestation possible. Que notre client soit un jeune potentiel ou un joueur professionnel, nous ne faisons pas de différence.

Sur un dossier, peuvent tour à tour intervenir un responsable de la communication, un community manager, un gestionnaire de patrimoine, un fiscaliste… Nous sommes en capacité de proposer différents services afin de répondre à toutes les problématiques liées à la gestion de carrière d’un joueur professionnel. Et nous faisons en sorte de répondre à toutes les demandes du joueur pour qu’il puisse se concentrer sur ses performances sportives.

Concrètement, comment un club professionnel interagit-il avec les agents pour réaliser son marché des transferts ?

Evidemment, un marché des transferts ça s’anticipe. Pour les clubs, il ne démarre pas le jour de l’ouverture du mercato. A chaque fin de mercato, les dirigeants et les agents anticipent la prochaine fenêtre des transferts. Par exemple, pour le mercato d’hiver, les clubs professionnels ont déjà identifié leurs premiers besoins dès les premiers matchs de la saison. Puis, il y a une phase de suivi des joueurs pouvant répondre aux profils identifiés. A minima, il faut six à sept mois pour concrétiser un transfert mûrement réfléchi.

L’agent sert de passerelle entre les clubs et les joueurs. Dans un premier temps, il fait de son mieux pour satisfaire les besoins de son joueur. Car il faut bien rappeler qu’un agent travaille pour son joueur et non pour un club. Toutefois, l’agent mène les négociations afin de trouver un accord satisfaisant pour toutes les parties prenantes. Tout le monde doit être content pour notamment pérenniser les liens. Aucun acteur ne doit se sentir léser.

En France, on lit régulièrement dans la presse la signature de clause libératoire sous seing privé entre joueurs et clubs. Pourtant, ce type d’accord est proscrit par la LFP. Que dit la législation française à ce sujet ? Ce type d’accord a-t-il une valeur légale ?

Je ne suis pas avocat spécialisé en droit du sport ni juriste. Cependant, il est vrai que ce type d’accord est interdit par la LFP. D’ailleurs, ce n’est pas le seul sujet sur lequel la LFP a une position tranchée. Par exemple, la tierce propriété a été interdite en France bien avant le nouveau règlement mis en place par la FIFA.

Personnellement, je pense que ce type d’interdictions n’est pas une mauvaise chose pour le football. Cependant, il y a d’autres sujets à faire évoluer rapidement pour aider le football français à retrouver une bonne compétitivité. Aujourd’hui, le football hexagonal évolue dans un environnement trop contraignant. Par exemple, la fiscalité française plombe totalement l’économie de notre football professionnel.




Or, quand on veut faire bouger les lignes, on y parvient ! Par exemple, la société EURO 2016 SAS a été exemptée d’impôts et de taxes durant la durée de la compétition.

Une proposition de loi visant à préserver l’éthique du sport, à renforcer la régulation et la transparence du sport professionnel et à améliorer la compétitivité des clubs est actuellement débattue au Parlement. L’article 4 de cette proposition prévoit notamment de mieux encadrer les activités des agents sportifs (via la création d’un nouvel organe chargé de collecter toutes les données financières au sujet des contrats noués entre les clubs et les agents). Que pensez-vous d’une telle mesure ?

L’activité d’agent de joueurs est une profession de services au sein de laquelle on gère la carrière professionnelle d’individus. On ne peut pas se permettre de confier à n’importe qui la carrière d’un jeune joueur.

Même si en France, le niveau de contrôle est déjà très élevé, je pense que cette proposition de loi va tout de même dans le bon sens. La mise en place d’un organe chargé de collecter les informations sur les contrats noués entre les agents et les clubs ne peut que servir la profession. Cela permettra également de tisser des liens plus forts entre tous les acteurs de l’écosystème : joueurs, agents, clubs, instances… Les commissions d’agents qui existent aujourd’hui n’ont entraîné aucune évolution de la profession. Aujourd’hui, on doit évoluer vers un suivi très poussé des agents, via notamment un organe indépendant qui surveille l’ensemble de l’activité.

Les dernières tendances observables au sein du football mondial (arrivée de nouveaux investisseurs asiatiques ou américains à la tête des clubs européens, émergence de la Chinese Super League) chamboulent-elles les réseaux construits par les agents de joueurs ? Comment les agents s’adaptent-ils à cette évolution ?

On ne peut pas parler de chamboulement. Les meilleurs agents ont anticipé les différentes évolutions du marché. Les agents les plus influents travaillent déjà auprès des « nouvelles » compétitions comme la Chinese Super League ou encore l’Indian Super League. En Inde, l’essentiel des joueurs étrangers ont été recrutés via un agent français, Bruno Satin. Il s’est chargé de la plupart des mouvements concernant l’arrivée des top players au sein de ce championnat.

L’arrivée de nouveaux actionnaires à la tête des clubs européens ou l’émergence de nouvelles compétitions ne change pas fondamentalement la donne. L’agent n’hésite pas à s’implanter là où le football se développe. D’ailleurs, ces nouveaux acteurs comptent s’appuyer sur des réseaux existants pour pouvoir se développer au plus vite. Ils collaborent donc facilement avec les agents déjà bien implantés dans le secteur. Il y a néanmoins une petite exception avec la MLS car le fonctionnement de la compétition réduit le nombre de transferts.

Pour en savoir plus sur l’EAJF : www.eajf.fr

Pour en savoir plus sur le cabinet 11 de légende : 11delegende.com


Source photos : © EAJF

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