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Le business analytics, nouveau relais de croissance des clubs ?

business analytics football
katatonia82 / Shutterstock.com

Si dans le football professionnel l’analytics est d’abord apparu sur le terrain, son développement s’est également depuis quelques années accéléré en coulisses. Faisant face à une compétition de plus en plus féroce, tant sur le plan sportif qu’économique, les clubs ont en effet déployé depuis le début des années 2000 de nombreuses stratégies afin d’accroître leurs revenus et de les dissocier de l’aléa sportif. Or, qu’il s’agisse d’amélioration du taux de remplissage, de l’optimisation des campagnes de sponsoring, de stratégies de cross-selling… un grand nombre des processus utilisés reposent en tout ou partie sur l’analyse de données. Décryptage par Charles Salvanet.

Contrairement au football analytics qui se concentre sur les data issues des joueurs, le volet business analyse, lui, les données dont dispose un club sur sa communauté de supporters. Entendue au sens large, cette dernière désigne l’intégralité des individus qui, à un moment donné de leur existence, ont eu une interaction avec le club (achat de maillot ou ticket, jeu concours, visite du stade …). Or, au cours des quinze dernières années, le développement constant des nouvelles technologies et l’essor considérable des réseaux sociaux ont largement élargi à la fois la diversité et le volume des données entrant dans ce champ (plus d’un million de personnes gravitent ainsi aujourd’hui dans l’écosystème data de l’OL à titre d’exemple). A l’ère du digital, les données constituent un élément clé pour les clubs afin d’augmenter leurs revenus, en particulier ceux issus de deux sources distinctes.

Tout d’abord les revenus qu’ils tirent directement de leurs fans les jours de matchs. Grâce aux technologies de collecte et d’analyse sans précédent dont ils jouissent, les clubs disposent à l’heure actuelle de possibilités inédites pour accroître ce poste de revenus qui représente en moyenne près d’un cinquième de leur chiffre d’affaires total (17% selon les données exposées dans le dernier rapport Football Money Legue du cabinet Deloitte). Exit le seul enregistrement passif de l’historique client, les clubs sont aujourd’hui capables d’agir de manière proactive afin de gérer, étendre et monétiser leur communauté de fans. Plusieurs axes concrets sont à leur disposition pour profiter du levier économique que constitue la data.

En premier lieu, un outil CRM efficace et intégré peut permettre à un club d’améliorer le remplissage de son enceinte. En récoltant des données sur leurs fans (âge, profil, e-mail, habitudes d’achats passés …), les clubs acquièrent une connaissance client précieuse afin de segmenter leur fan base, et ainsi créer des catégories de produits distinctes plus à même de satisfaire la diversité qui caractérise leur audience. Tandis qu’en rugby le Racing Métro a poussé la segmentation jusqu’à proposer directement des tribunes dédiées à chacune des catégories de fans identifiées (supporters, familles, étudiants, aisés), de nombreuses équipes de football ont mis en place ce type de stratégie au cours des dix dernières années. L’AZ Alkmaar – très proactif en matière d’exploitation des données – a par exemple mis en place un modèle pyramidal répartissant ses fans entre trois couches (abonnés, réguliers et occasionnels), qui lui permet de déterminer quel segment nécessite davantage d’attention selon les caractéristiques du match considéré́. En Ligue 1, alors que de nombreuses solutions dédiées commencent à être adoptées par les clubs – Arenamétrix notamment – c’est l’OL qui fait office de parangon. S’étant intéressé aux problématiques de data client dès la saison 2009/2010, le club rhodanien en a fait un élément central du succès de son déménagement au Groupama Stadium. Via la constitution d’une équipe data de quatre personnes et la mise en place d’un logiciel dédié (Salesforce), l’OL a acquis une véritable expertise dans la connaissance à 360° de ses fans, ce qui lui a entre autres permis de diviser par deux le taux de churn de ses abonnés B2B cette saison.

Outre la hausse des revenus via un effet volume (amélioration de l’affluence), la data permet également aux clubs d’accroître leur chiffre d’affaires via un effet prix, par l’intermédiaire notamment de la hausse du panier moyen dépensé par chaque supporter les jours de match. Particulièrement important pour les clubs avec des taux de remplissage avoisinant les 100% (Bayern, Manchester United, PSG …), cet objectif repose lui aussi en grande partie sur la connaissance client, et donc sur une utilisation vertueuse de la data. Plusieurs procédés peuvent être envisagés à partir du moment où un club est en capacité de tracker l’activité de ses supporters tout au long de leurs parcours dans le stade. Un club qui constate qu’un fan effectue plusieurs achats à la buvette pendant les matchs, peut par exemple lui envoyer des notifications contenant des promotions personnalisées en direct, lui conseiller une place plus proche de la buvette pour le prochain match, voire lui proposer un pack comprenant des places et des promotions sur les produits de restauration. Les clubs peuvent en outre proposer d’offrir un accès privilégié aux vestiaires au spectateur qui dépense le plus dans le stade au cours de la saison. A la condition de disposer d’un système permettant de tracer et enregistrer les transactions effectuées par chaque fan dans le stade, ce procédé très simple est susceptible d’occasionner une hausse des dépenses globales non négligeable sur une saison. C’est par exemple pour pouvoir mettre en place ce type de stratégies de cross-selling que le Corinthians s’est récemment associé à IBM, via un accord prévoyant notamment l’implémentation de Watson (la solution d’intelligence artificielle en cloud d’IBM) au sein de l’Arena Corinthians.

Outre les revenus fans, l’analytics constitue également un levier important des clubs afin d’accroître le chiffre d’affaires issu de leurs partenariats commerciaux. Alors que la part de ces derniers ne cesse de progresser dans le « revenue mix » des clubs de football – 40% en 2017-2018 contre 38% en 2016-2017 selon le dernier rapport Deloitte – la data s’avère particulièrement importante dans la poursuite de leur croissance, notamment à travers deux processus.

D’abord en permettant la conclusion de partenariats avec davantage de sens, et donc plus lucratifs. A nouveau, c’est la connaissance clients que permet l’analytics qui constitue un actif susceptible d’être valorisé par les clubs dans les partenariats qu’ils signent. Comme le confessait dernièrement à Forbes Phil Lynch, CEO Media de Manchester United, « plus vous connaissez vos fans (…), plus vous obtenez d’informations, plus vous êtes en mesure d’augmenter votre business ». Une stratégie parfaitement intégrée par Manchester United, qui a lancé sa propre application ainsi qu’un nouveau site web l’année dernière, et possède sa propre chaîne de télévision, car lorsqu’un supporter consomme du contenu à partir d’une plateforme officielle du club plutôt que d’un canal tiers (radio, presse…), le club glane plus d’informations sur ce fan. Or cette connaissance sans cesse plus étendue et plus fine du profil de leurs fans est doublement précieuse pour les clubs. En plus d’être à même d’identifier à priori les partenaires qui y correspondent le mieux, l’analytics permet également d’enregistrer a posteriori des retours sur certaines opérations afin de les faire évoluer en cours de route. En particulier, l’avènement des réseaux sociaux a permis aux clubs d’accéder à une nouvelle masse considérable de données extrêmement utile dans l’optique d’adapter leurs actions commerciales. Facebook propose par exemple depuis quelques années à ses 2 milliards d’utilisateurs de choisir parmi cinq émotions (adoration, rire, tristesse, stupéfaction, énervement) celle qui correspond le plus au sentiment que suscite chez eux la vue d’un contenu. Or, ces réactions constituent autant d’informations précieuses pour les clubs dans l’optique d’analyser l’impact de leurs posts et opérations commerciales afin in fine d’adapter leur stratégie de communication sur les réseaux.

Enfin, l’analytics permet aux clubs d’évaluer de manière beaucoup plus fiable et précise la portée réelle de leurs accords de sponsoring physiques ou digitaux, et par conséquent de mieux négocier ces derniers pour en tirer un revenu supplémentaire. Les données permettent en effet d’offrir de la connaissance client aux annonceurs, en mesurant précisément le nombre et le profil des personnes touchées, le taux de conversion… Signe de l’importance de ce phénomène, de nombreuses entreprises se sont d’ores et déjà spécialisées sur ce segment du « sponsorship analytics ». C’est par exemple le cas de Nielsen Sports (anciennement Repucom) qui évalue via son outil Sport 24 la valeur d’un partenariat à partir de l’agrégation automatique de l’ensemble des données relatives aux diffusions TV (nombre de diffusions, durée des diffusions, exposition moyenne lors de chaque passage à l’écran, taille et position visibles…), ou de Business Six Analytics qui opère de la même manière mais sur les réseaux sociaux. A titre illustratif, c’est ce type de pratiques qui a permis à Chelsea de se targuer d’avoir été « lors de la saison 2014-2015 l’équipe de Premier League la plus regardée du monde à la télévision, totalisant plus de 31 000 heures de diffusion » et ainsi de signer la saison suivante un accord de sponsoring maillot avec Yokahama Rubber pour un montant record de 300 millions de dollars sur cinq saisons. Un chiffre qui permet entre autres de comprendre pourquoi, en parallèle de son utilisation à des fins sportives, l’analytics séduit de plus en plus de clubs en dehors du seul rectangle vert.

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