Interview

« Avec la Coupe du Monde à 48 pays, Gianni Infantino a tout compris ! »

Jean-Baptiste Guégan, intervenant en géopolitique du sport à l’ESJ Paris et à l’ISTEC, revient sur la réforme de la Coupe du Monde à 48 pays. Pour lui, elle achève la mondialisation du football, tout en répondant à des logiques économiques et électoralistes évidentes. Propos recueillis par Emilien LEGRAS.

La FIFA vient de voter le passage de 32 à 48 équipes pour la Coupe du Monde 2026. Que nous apprend ce vote d’un point de vue géopolitique ?

Tout simplement que la FIFA vient d’achever la mondialisation du football ! Elle prend en compte le nouvel ordre mondial et élargit ses marchés potentiels et sa principale compétition, à toutes les fédérations qui ne pouvaient pas y prétendre jusqu’alors. Aujourd’hui, la FIFA a beau représenter 211 Fédérations, organisées autour de 6 Confédérations régionales, le football n’est pratiqué que par plus de 270 millions de licenciés dans le monde.

C’est à la fois énorme, mais cela ne représente pas grand chose comparé aux 7,4 milliards d’habitants sur Terre. L’enjeu est simple pour la FIFA : il s’agit de développer le football là où il n’est pas encore implanté, chez les femmes tout d’abord mais aussi ailleurs dans le monde. L’Asie par exemple s’impose comme un espace régional privilégié, un marché colossal à investir. La croissance et le développement actuel de l’Afrique en font aussi un continent à cibler. N’oublions pas non plus l’Amérique du Nord où le football s’est imposé chez les jeunes filles et gagnent les grandes villes américaines avec l’essor de la MLS.

Le premier à avoir compris cela était João Havelange, président brésilien de la FIFA entre 1974 et 1998. Après avoir travaillé chez Adidas, il est à l’origine du développement du football actuel. Un développement achevé ensuite par Sepp Blatter, président entre 1998 et 2015. À eux deux, ils ont initié la mondialisation du football, mais ils ne l’ont pas totalement achevée.

Donc quand Gianni Infantino dit pour justifier sa Coupe du monde à 48 que “le football ne se limite pas à l’Europe et à l’Amérique Latine”, il atteste d’un basculement du centre de gravité du football dans le monde ?

Tout à fait, l’axe Europe – Amérique du Sud du football mondial, c’est presque fini ! Aujourd’hui, l’internationalisation du football oblige les dirigeants à regarder ailleurs. Sepp Blatter et ses politiques douteuses voire corruptives ont ralenti et limité le développement du football en Afrique (projet Goal). Pourtant, le continent africain va, d’ici 2050, doubler sa population pour passer d’un milliard d’habitants aujourd’hui, à environ 2,4 milliards. Et le tout s’accompagne d’un développement d’une classe moyenne limitée en proportion mais nombreuse en quantité.

Or, dans chaque économie émergente où se développe une classe moyenne, on a besoin de loisirs, de spectacle, de divertissement. L’idéal pour un sport médiatique comme le football. La réflexion est la même pour l’Asie, et la Chine en particulier. Vous passez de 500 millions de personnes vivant dans une extrême pauvreté en 1945 à un pays d’1,3 milliards de personnes dont 300 millions font partie d’une classe moyenne avide de sport. Le futur pour l’économie du football est là-bas !

L’objectif de Gianni Infantino est donc simple, le foot doit être le sport médiatique numéro 1 en Asie et en Afrique, tout en se développant en Amérique du nord. Sa Coupe du monde à 48 s’inscrit dans ce sens, en offrant plus de places à ces trois continents et en assurant leurs leaders respectifs, d’une participation quasi-garantie à la plus prestigieuse des compétitions du football mondial. En effet, les grandes puissances africaines du football (Égypte, Maroc, Algérie, Nigéria, Cameroun…) trop souvent se trouvaient exclues de la Coupe du monde, faute d’accessit.

L’actuel Président de la FIFA achève ainsi le travail de ses prédécesseurs. Il acte l’élargissement de la zone d’influence du football et de la FIFA. Il l’oriente vers une globalisation définitive, en visant notamment les deux puissances globales actuelles, la Chine et les Etats-Unis. Et il y parvient sans léser l’Europe qui gagnera des participants.

Assurément, le rapport de force mondial dans le football change. C’est aussi cela l’idée d’une Coupe du monde à 48. C’est la fin de la prédominance de l’Europe et de l’Amérique du Sud sur le foot. C’est la fin d’”une certaine idée du football” pour paraphraser le Général de Gaulle, celui que l’on a connu au XXème siècle.

Néanmoins on se doute qu’en déplaçant ses centres d’intérêt dans ces nouvelles régions, d’un point de vue géopolitique, la FIFA s’assure une certaine tranquillité ?

Tout d’abord, en allant vers l’Asie, la FIFA se rapproche de la Chine. Si l’on considère l’investissement actuel du gouvernement de Xi Jinping et le développement à marche forcée de la Chinese Super League, on peut imaginer sans mal que la Chine candidate pour organiser la Coupe du Monde d’ici 2030. Il n’y aura dès lors plus aucun problème pour que la FIFA puisse développer le football, ses activités, et ses revenus dans l’Empire du Milieu, et ailleurs en Asie.




Ensuite, pour s’assurer une certaine tranquillité, notamment judiciaire, la FIFA accueillera sûrement positivement une candidature à l’organisation de la Coupe du Monde 2026 aux Etats-Unis… Même si une possible co-organisation est envisagée avec le Canada ou le Mexique. D’ailleurs, si cela venait à advenir, peut-être que toutes les procédures judiciaires initiées par les tribunaux américains, pendant le mandat de Sepp Blatter, s’éteindraient d’elles-mêmes. Le mauvais choix de désignation des Coupes du monde 2018 et 2022 serait alors effacé.

En effet, la FIFA, à travers l’attribution des Coupe du Monde, négocie autant son développement qu’elle sécurise son avenir. Elle aura développé le football en Amérique du Nord en 2026 et en Chine en 2030. De nouveaux marchés verront le jour pour le football. Tout le monde sera content.

Le passage à 48 pays en Coupe du Monde va être très profitable à la FIFA. Le but n’est-il pas seulement financier ?

La FIFA va proposer une compétition mondialisée comme jamais. Elle se comporte comme une firme transnationale, capable de saisir les nouveaux équilibres d’un monde en plein évolution. Elle part ainsi conquérir de nouveaux marchés, sans perdre les anciens bastions (Europe, Amérique du Sud). Certes, son but essentiel reste le développement du football et son adaptation au XXIème siècle et à la concurrence des autres sports mondialisés. Mais son ambition à court terme tient à la volonté d’accroître ses recettes, tout en considérant les intérêts géopolitiques des gouvernements chinois et américain qui considèrent le football comme un facteur de puissance douce et un levier d’influence globale.

On est typiquement ici avec la Coupe du monde à 48, dans une stratégie économique globalisée. En augmentant le nombre de participants de 16 pays, on augmente le nombre de marchés nationaux auxquels on va pouvoir vendre des droits et le nombre de sponsors avec lesquels on pourra négocier des contrats et autres partenariats. D’un point de vue économique, les recettes espérées seraient de l’ordre de 605 millions d’euros supplémentaires par édition : 351 millions d’euros pour le marketing et 479 millions d’euros pour les droits d’images. Malgré un surcoût estimé à 307 millions d’euros pour les pays organisateurs, pour la FIFA c’est tout bénefice ! Bilan des courses, d’un point de vue économique, c’est très rentable et très finement pensé. A défaut d’être subtil.

Gianni Infantino est finalement le grand gagnant, la Coupe du Monde à 48 d’un point de vue purement électoral, c’est la réélection assurée pour le président de la FIFA ?

D’un point de vue électoraliste, là encore, c’est très bien joué. Gianni Infantino est avant tout un brillant politique comme son parcours l’atteste, passant du secrétariat de l’UEFA à la tête de la FIFA.

Le vote à l’unanimité du Conseil de la FIFA est facilement compréhensible. Il répond à une stratégie politique simple. Si vous annoncez aux 211 Fédérations que lors des prochaines élections à la présidence de la FIFA, vous allez rajouter 16 places supplémentaires en Coupe du Monde, l’événement le plus regardé de la planète, vous allez forcément gagner les élections. Et être réélu…

Si vous obtenez les voix des petites fédérations, celles qui pensent pouvoir prétendre à une de ces 16 places  – et on peut être sûr qu’il y a plus de 16 Fédérations qui vont le penser – vous allez gagner ! Et c’est ce qui explique que les 33 membres du Comité Exécutif ont voté à l’unanimité pour cette réforme. Et je peux vous annoncer, que sauf scandale ou retour improbable de Michel Platini, Gianni Infantino sera probablement réélu en 2019.

Si vous souhaitez prolonger la discussion, n’hésitez pas à suivre les comptes Twitter de Jean-Baptiste Guégan   et Emilien Legras


Source photo à la Une : Capture vidéo Youtube

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