Interview

« L’argent n’est pas le but recherché mais la conséquence d’un travail bien réalisé »

Ecofoot.fr a eu la chance cette semaine de s’entretenir avec Christophe Hutteau, agent de joueurs et Président de l’agence CH Conseil & Management. Au cours de l’entretien, nous sommes revenus sur l’exercice de la profession d’agent de joueurs tout en abordant quelques questions d’actualité. Plongez dans les coulisses d’une profession exercée par l’un des agents les plus influents du marché français.

M. Hutteau, pouvez-vous vous présenter aux lecteurs d’Ecofoot.fr ?

Je suis Président de la société CH Conseil & Management. L’objet social est la gestion de sportifs de haut niveau. Je suis titulaire d’une licence d’agent de la Fédération Française de Football depuis 2005. J’emploie 5 salariés au sein de ma structure.

En plus de mes employés, je fais régulièrement appel à des intervenants extérieurs, notamment dans le domaine juridique. Depuis plusieurs années, je collabore avec un gros cabinet d’avocats bordelais. La législation française ne cesse d’évoluer et vous n’avez pas le droit à l’erreur. Notre profession est très contrôlée. Dès qu’un contrat contenant des spécificités doit être rédigé, je le fais valider par le cabinet d’avocats avec lequel j’ai l’habitude de collaborer.

Comment recrutez-vous les joueurs qui font partie de votre portefeuille clients ?

Après avoir accumulé plus de 10 ans d’expérience dans ce milieu, j’ai désormais la chance de ne plus avoir besoin de démarcher les joueurs. C’est une chance et bien évidemment, au départ, il en était tout autrement. Quand j’ai démarré, je me devais d’être sur le terrain et de m’improviser « commercial ».

Après, j’ai la chance d’avoir réalisé toute la première partie de ma carrière dans le milieu du journalisme. J’ai travaillé pour L’Equipe, RTL et France Football pendant plus de 15 ans. Mon carnet d’adresses a toujours été fourni. Cela a facilité mon intégration dans le métier.

Refusez-vous des collaborations avec certains joueurs ?

Cela m’arrive régulièrement. A contrario de certains agents, je ne suis pas obligé de conclure une transaction pour vivre. Selon ma conception du métier, l’argent n’est pas le but recherché mais la conséquence d’un travail bien réalisé. L’aboutissement de mon investissement personnel dans les dossiers.

Comment opérez-vous votre sélection ?

Il y a tout d’abord le cas du joueur confirmé qui me contacte car il est en rupture avec son précédent agent. Mon rayonnement médiatique grâce à mes précédentes expériences professionnelles et mon image propre et transparente me permettent d’attirer de tels joueurs.

Dans ce cas, je m’assure en premier lieu que le joueur ne possède réellement plus d’engagement contractuel avec un autre intermédiaire. L’entourage du joueur ne doit également pas prendre le dessus sur sa personnalité.

Si toutes les conditions sont réunies, je décide alors de le rencontrer pour discuter. Je vais procéder à une analyse de la situation tout en écoutant ses aspirations. Il faut tout d’abord comprendre pourquoi il a quitté son ancien agent. Puis je vais accorder une importance capitale à ses qualités morales.

Aujourd’hui, avoir un don ne suffit plus pour faire carrière au niveau professionnel. Il faut être irréprochable dans son hygiène de vie et assidu au travail pour réussir sa carrière. Le respect des valeurs et de l’éducation sont des éléments auxquels j’accorde beaucoup d’importance. Et je ne suis pas le seul à faire attention à ces paramètres. Les clubs accordent également de plus en plus d’importance aux qualités morales des joueurs.

Et comment sélectionnez-vous les jeunes espoirs avec lesquels vous collaborez ?

Je suis très souvent sollicité par des jeunes joueurs ou leur entourage. Cela est dû aux belles expériences professionnelles que j’ai eues la chance de vivre. De nombreux joueurs avec lesquels j’ai collaboré et qui évoluaient au départ dans les divisions inférieures, ont réussi par la suite une carrière exceptionnelle. On associe souvent mon nom à la découverte de Mathieu Valbuena. J’ai géré sa carrière pendant près de neuf ans.

Mais j’ai également beaucoup d’autres exemples à vous citer. J’ai eu notamment la chance de découvrir Charles Kaboré au Burkina Faso, au sein d’une sélection junior. J’ai réussi dans un premier temps à le faire venir en France, à Libourne. Puis je parviens à le transférer à l’OM. J’ai travaillé avec le joueur pendant près de 6 ans.

J’ai repéré Damien Da Silva quand il évoluait encore en CFA. Aujourd’hui, il est un élément important du SM Caen. Loïs Diony se trouvait dans une situation similaire. Il évoluait à Mont de Marsan avant notre collaboration. Je suis parvenu à le transférer à Dijon avec le succès qu’on connait. Aujourd’hui, il est sollicité par plusieurs clubs européens.

Enfin, il y a le cas de Gaëtan Laborde, qui fait également partie de ma structure. Il commence actuellement à exploser avec Bordeaux alors qu’il existait au départ quelques réticences à son sujet, y compris au sein de son club formateur.

Tous ces exemples m’ont permis au fil du temps d’obtenir une étiquette de dénicheur de talents au sein du milieu footballistique. En conséquence, cette étiquette engendre de nombreuses sollicitations de la part de jeunes joueurs qui souhaitent travailler avec moi.

Prenez-vous des renseignements sur les joueurs avant de démarrer une collaboration avec eux ?

Bien sûr. Avant la conclusion d’un contrat, je prends des renseignements auprès des éducateurs et des entraîneurs des clubs au sein desquels le joueur a évolué. Je me renseigne également auprès de ses partenaires et anciens partenaires. Certains journalistes peuvent également donner de précieuses informations.

Quel conseil donneriez-vous aux nouveaux agents pour réussir dans la profession ?

Je n’ai pas de conseil particulier à donner. Je n’ai pas cette prétention. Néanmoins, je discute régulièrement avec des entraîneurs, des directeurs sportifs, des présidents… et ils reçoivent tous les jours des centaines de coups de téléphone d’agents ou pseudos intermédiaires auxquels ils ne répondent pas.

Si, aujourd’hui, vous vous lancez dans une carrière d’agent de joueurs sans avoir à minima construit des relations avec les décideurs, c’est quasiment mission impossible de réussir dans la profession.

Comment se passe une journée type en période de mercato ? Les dossiers sont-ils travaillés en amont ?

Si vous attendez le mercato pour travailler et éventuellement conclure des dossiers, c’est qu’il y a un problème ! La période de mercato doit valider le travail que vous avez effectué tout au long de l’année. Il n’est plus concevable pour un club de recruter un joueur qu’il ne connait pas ou mal.

Néanmoins, je ne vous cache pas que la période de mercato est plus intense pour l’agent. Car le joueur que vous représentez peut être demandé par plusieurs clubs. Il faut savoir évaluer l’intérêt du joueur par rapport aux propositions. Et quand je parle d’intérêt, j’évoque surtout l’intérêt sportif ! L’aspect financier est secondaire. D’ailleurs, je reproche à beaucoup de personnes d’avoir une vision trop court termiste, privilégiant les aspects financiers au sportif. Une carrière, ça se construit !

Que vous inspirent les révélations de Football Leaks ?

C’est un sujet très complexe. Chaque dossier a sa propre particularité. Pour me faire une opinion, je possède uniquement les informations divulguées par la presse. Et je pense que les dossiers sont beaucoup plus complexes qu’on ne le prétend.

Je ne peux pas imaginer qu’un agent qui gère la carrière de joueurs aussi prestigieux que Cristiano Ronaldo puisse optimiser la fiscalité de leurs clients sans traiter avec des cabinets d’avocats spécialisés. J’ai du mal à croire que les agents aient pu monter de tels dispositifs sans aide extérieure.

Quand on s’appelle Jorge Mendes ou Mino Raiola, on génère plusieurs millions d’euros d’activités par an. Ils n’ont donc aucun mal à débourser plusieurs dizaines de milliers d’euros d’honoraires juridiques pour se payer les meilleurs experts en fiscalité.

De manière générale, il faut être très prudent sur ces dossiers. Il n’y a pas qu’une seule vérité. Et, surtout, il ne faut pas confondre optimisation fiscale et fraude fiscale ! Et je ne voudrai pas qu’on se serve du football pour dénoncer des pratiques qui sont utilisées à une échelle bien plus importante par les grandes sociétés internationales et qui ne suscitent pas un tel traitement médiatique.

Pour en revenir à mon cas personnel, je n’ai jamais été confronté à ce type d’opérations pour l’un de mes joueurs. Et pourtant j’ai géré la carrière de joueurs internationaux français. Et, malgré le montant très important de certains contrats, nous n’avons jamais été invités par des partenaires ou autres conseillers à utiliser les pratiques mentionnées par les Football Leaks.

La Chinese Super League repart sur les mêmes bases que l’an dernier concernant son mercato hivernal (plus de 350 M$ dépensés en janvier 2016). L’émergence de ce championnat change-t-elle votre façon de travailler ?

Cela fait déjà un bout de temps que je m’intéresse à la Chine. Aujourd’hui, tout le monde s’étonne des importants investissements réalisés par les clubs de Chinese Super League. Mais nous oublions trop souvent que la Chine représente un marché de 1,5 milliard d’habitants, avec une puissance gigantesque et faramineuse.

Il y a quelques années, j’avais été alerté par le fait que Jorge Mendes ait vendu une partie de sa société à un gros investisseur chinois. Je me suis immédiatement demandé quel était l’intérêt d’une telle opération. Mais je l’ai vite compris : aujourd’hui, Jorge Mendes rayonne sur le marché chinois. Il a compris avant les autres l’éveil de la Chine pour le football.




Actuellement, il y a un cap qui a été défini par le Président chinois. Des moyens colossaux sont déployés pour développer rapidement la pratique du football dans le pays. Aucun obstacle n’empêchera la Chine de progresser dans la discipline. Je note d’ailleurs que la FFF et la LFP vont ouvrir prochainement un bureau commun à Pékin pour faire la promotion du football français.

Me concernant, je me suis rapproché de deux cabinets d’avocats chinois qui se spécialisent au fil des mois dans le milieu du football. Ils étaient initialement présents dans le milieu des affaires chinois. Le développement des activités va prendre un peu de temps. Mais j’ai bon espoir que cette collaboration sera fructueuse.

Il est indispensable d’établir des relais en Chine car le pays possède un fonctionnement particulier. Son droit est différent du nôtre. La mentalité dans le milieu des affaires est également différente. Nous avons tout à apprendre du fonctionnement de la Chine.

L’OM sous actionnariat McCourt entame son premier marché des transferts. Quelles sont vos prédictions concernant le mercato phocéen ?

Je ne souhaite que du bien à l’OM. La ville de Marseille et le football français ont besoin d’un OM au plus haut niveau, avec une capacité importante d’investissements pour briller à nouveau. Maintenant, et j’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer à ce sujet, le mercato d’hiver est la pire fenêtre pour recruter. Un joueur, de top niveau mondial qui est titulaire dans son club, n’a aucun intérêt à venir en France, à l’OM. Mais cela ne veut pas dire que le club ne recrutera pas lors de ce marché.

Après, concernant l’enveloppe d’investissements de l’OM, on ne la connait pas. Et c’est tant mieux pour le club. Ils ont raison de ne pas la dévoiler. Mais je constate qu’en peu de temps, ils sont déjà parvenus à attirer l’un des meilleurs entraîneurs français et un directeur sportif dont les compétences ne sont plus à démontrer. On peut imaginer que l’avenir de l’OM s’annonce sous de bons auspices. Il faudra cependant attendre un peu pour réaliser une analyse de l’évolution du club sous l’actionnariat McCourt.

Le LOSC entame son marché des transferts sans avoir conclu son processus de vente (ndlr : question posée avant l’annonce du départ de Michel Seydoux). Le club peut-il tout de même réussir son marché hivernal ? Qui sont vos interlocuteurs au sein du club ?

Depuis plusieurs années, j’échange avec Jean-Michel Vandamme au LOSC (ndlr : Conseiller du Président Michel Seydoux).  Néanmoins, il y a quelques semaines, Jean-Michel a invité l’ensemble des agents à prendre contact avec Luis Campos. C’est évidemment ce que j’ai fait car j’ai la chance de connaître Luis depuis quelques années.

Luis Campos est un grand professionnel. Il a prouvé avec Monaco qu’il était capable de réaliser un recrutement très pertinent. Il a détecté des joueurs à très fort potentiel. Aujourd’hui, au LOSC, Luis Campos est devenu notre interlocuteur. Mais aucun mouvement ne pourra être concrétisé tant que le club ne sera pas vendu.

N’est-ce pas surprenant de prendre contact avec le futur directeur sportif alors que la transaction n’est toujours pas finalisée (ndlr : question posée avant l’annonce du départ de Michel Seydoux) ?

Si c’était quelqu’un d’autre que Luis Campos, je ne décrocherais pas mon téléphone avant la finalisation de la vente. Mais j’ai la chance de connaître très bien Luis Campos. C’est quelqu’un de très intelligent. Il a refusé d’aller à l’OM parce qu’il a décidé de suivre le projet de Gérard Lopez à Lille. Luis Campos ne travaillerait pas tous les jours pour le LOSC comme il le fait actuellement sans avoir obtenu des garanties de la part de Gérard Lopez quant à la finalisation de la vente.

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Source photos : Christophe Hutteau

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