Interview

« En Ligue 1, à quelques exceptions près, un club de football n’est pas une marque »

Ecofoot.fr a eu la chance cette semaine de s’entretenir avec Geoffroy Garétier, journaliste Canal +, au sujet des faibles investissements réalisés par les grandes entreprises françaises dans le football professionnel hexagonal. Au cours de cet entretien, le plus célèbre des « footballogues » nous livre les raisons de ce manque d’investissements tout en préconisant des solutions alternatives de développement pour les clubs professionnels français. Décryptage…

A-t-on raison de dire que les grandes entreprises françaises sont peu présentes au sein du football professionnel français ?

Oui, on a raison. Il y a très peu d’entreprises du CAC 40 présentes dans le football professionnel français. Il existe quelques exceptions comme Orange qui a noué des relations avec le football hexagonal depuis une quinzaine d’années. Le groupe a notamment été diffuseur de la Ligue 1 et a dernièrement signé un accord de naming avec le Stade Vélodrome.

Mais Orange est aujourd’hui une exception qui confirme la règle. Les grandes entreprises françaises auraient même plutôt tendance à se désengager actuellement, à l’image de Peugeot qui a cédé son club historique du FC Sochaux-Montbéliard au moment où le groupe réintégrait le CAC40…

Pourquoi nos grands groupes n’investissent-ils pas – au niveau capitalistique ou en termes de sponsoring – au sein de nos clubs hexagonaux ?

C’est une thématique qui n’est pas nouvelle. En 2014, j’avais déjà réalisé une série de conférences sur ce sujet pour Sporsora. Nous avions déjà réalisé ce constat et depuis, la situation ne s’est évidemment pas améliorée.

Globalement, le contexte n’est pas favorable à un développement des investissements des entreprises françaises dans notre football et dans le secteur sportif en général. Nous connaissons une situation économique qui n’est pas florissante. Nous avons des grandes entreprises qui ne reflètent pas un dynamisme collectif. Et notre football ne va pas très bien ! Il se cherche encore une identité.

Selon moi, il y a trois raisons essentielles qui bloquent les investissements des entreprises françaises dans notre football. Il y a premièrement un problème d’image. L’image du football français de haut niveau n’est pas bonne. Des scandales en tout genre ont éclaté au cours des dernières années (mœurs, comportement général, polémiques…). Et, lorsqu’une entreprise cherche à investir en sponsoring, elle souhaite en premier lieu en tirer un bénéfice d’image ! C’est la base du sponsoring. Vous allez chercher une entité qui correspond à votre image. Et les décideurs du CAC 40 considèrent que le football français ne va pas valoriser l’image de leur entreprise.

D’ailleurs, il y a quatre ans, quand Noël Le Graët est devenu Président de la Fédération Française de Football, il a souhaité en priorité travailler sur l’image du football français afin de le redorer auprès du grand public. Beaucoup d’actions ont été mises en place avec notamment une charte de bonne conduite. Néanmoins, ils ont beaucoup misé sur Karim Benzema pour atteindre leurs objectifs et l’éclatement de l’affaire avec Mathieu Valbuena a alors été un gros couac dans la stratégie mise en place par le Président de la FFF. Les listes établies par Didier Deschamps pour la Coupe du Monde 2014 et l’EURO 2016 ont également été construites sur des critères d’image.

Quels sont les deux autres facteurs impactant négativement les investissements français en Ligue 1 ?

Après, le football français possède également un problème de prestige. Malheureusement, nos clubs ne sont pas prestigieux. Nous sommes très loin en termes de palmarès derrière le TOP 4 européen (Espagne, Allemagne, Angleterre, Italie). Mais nous sommes également loin de certains pays plus modestes comme les Pays-Bas ou le Portugal. C’est terrible à dire mais c’est la vérité ! La France a gagné une seule C1 sur 61 éditions ! Et seulement deux trophées européens sur plus de 150. C’est évidemment un palmarès très faible. Le football français est actuellement 5ème à l’indice UEFA et s’il n’y avait pas le PSG, il n’y aurait plus aujourd’hui un seul club français dans le top 30 européen en termes de puissance marketing et financière !

Et quand vous êtes une grande entreprise, leader dans votre secteur,  vous souhaitez vous associer avec une entité qui gagne des titres, qui va vous ressembler. C’est une question d’égo. Concernant un accord de sponsoring maillot, il y a alors très peu de clubs qui peuvent réunir le niveau d’exigence manifestée par une très grande entreprise française.

Enfin le dernier problème est économique. Les clubs de Ligue 1 sont structurellement déficitaires. Et quand vous souhaitez rentrer dans le capital social d’un club, vous avez très peu de chances d’obtenir un retour sur investissements intéressant. A moins d’agir sur d’autres ressorts.

Après, en dehors des trois problèmes cités, il y a un autre élément important qui est le facteur humain. Les dirigeants des grandes entreprises, qui ont généralement réalisé de très hautes études dans les écoles les plus prestigieuses, cherchent à sponsoriser des choses qui leur ressemblent. Ils sont alors plus attirés vers des sports comme le tennis, le rugby voire la voile plutôt que le football. Et on en revient alors au problème d’image dont souffre le football français au sein de l’Hexagone.

La fiscalité française n’est-elle pas également un gros frein aux investissements des entreprises en Ligue 1 ?

A une époque, il y a eu des incitations. Mais cette période est révolue et depuis, nous avons plutôt évolué à contre-sens avec la suppression du DIC ou encore la mise en place de la taxe exceptionnelle à 75% durant les années fiscales 2013 et 2014. Enfin, le montant des cotisations sociales et patronales est bien plus important en France que chez nos voisins européens où il existe chez certains d’entre eux un plafonnement des cotisations pour les hauts salaires comme en Allemagne. Et cette lourde fiscalité peut évidemment dissuader des investisseurs à entrer dans le capital social des clubs français.

A l’inverse, les grands clubs de Bundesliga parviennent aisément à attirer les grands groupes allemands en tant que sponsors ou partenaires financiers. Comment font-ils ? Comment ont-ils donné naissance à ce patriotisme économico-sportif ?

En effet, un grand nombre d’entreprises allemandes est impliqué dans le développement du football professionnel du pays, soit en tant que sponsor de club, soit en tant que sponsor de la DFL, soit dans le naming des stades. Environ un tiers des entreprises cotées au DAX participent à la vie économique du football allemand.

[clickToTweet tweet= »‘Un tiers des entreprises cotées au DAX participent à la vie économique du foot allemand’ @ggaretier » quote= »Un tiers des entreprises cotées au DAX participent à la vie économique du football allemand »]

Il y a une logique derrière une telle implication. Le football, en Allemagne, c’est le sport de la nation. L’Allemagne compte environ 5 000 000 de licenciés au football, c’est-à-dire que plus de 6% de la population allemande pratiquent régulièrement le football en club ! Un ratio qui est plus de deux fois supérieur à celui de la France. Du coup, forcément, vous avez un lien très fort entre l’économie et le football.

Quand une entreprise majeure comme Mercedes par exemple, investit dans le football, elle réinvestit non seulement ses bénéfices mais elle anticipe également sur ses futurs revenus puisqu’à travers les supporters, elle prospecte de potentiels futurs clients. Investir dans le football, c’est être en prise avec le pays et préparer l’avenir. Et on notera, de façon concomitante, la bonne santé de l’économie allemande et celle de son football.

Les clubs de Ligue 1 en font-ils assez pour séduire les grandes entreprises françaises ? Existe-t-il un problème de « réseaux » entre les patrons de L1 et les dirigeants des grands groupes français ?

C’est vrai, les liens entre les grandes entreprises françaises et le football hexagonal sont peu nombreux. Il y a la famille Pinault, propriétaire du groupe Kering et actionnaire majoritaire du Stade Rennais. Mais on ne peut pas dire qu’elle sponsorise le club ou qu’elle investisse massivement pour le développer hormis quelques achats réalisés au début des années 2000. Si on élargit au top 500 des fortunes françaises du classement réalisé chaque année par Challenges, on y retrouve que quelques présidents de L1 comme Louis Nicollin ou encore Olivier Sadran.

Par le passé, quand un grand groupe a cherché à structurer un club professionnel français, cela ne s’est pas toujours très bien passé. Par exemple, il est intéressant d’étudier le cas de Franck Riboud, Patron de Danone, avec l’ETG FC. Il a voulu créer un nouveau modèle entrepreneurial, avec un écosystème différent, plus participatif et durable. Mais il s’est heurté à l’hostilité de certains actionnaires du club. Et, au final, il a été contraint de sortir du capital social.

Cet exemple aurait ainsi tendance à dissuader les grands investisseurs du pays à rentrer dans le capital social d’un club professionnel français !

Pourtant, il y a tout de même des investisseurs français qui ont réussi à mêler investissements sportifs et affaires professionnelles !

C’est vrai, il y a Jean-Michel Aulas. Le président de l’OL s’est servi du club pour densifier son réseau d’affaires pour son entreprise, la CEGID. Les liens sont étroitement imbriqués. L’OL a constitué une plateforme de développement économique pour ses activités professionnelles. Jean-Michel Aulas est d’ailleurs aujourd’hui incontournable dans l’écosystème lyonnais. Mais c’est un cas exceptionnel !

Le football professionnel français peut-il se passer durablement du manque d’investissements des grandes entreprises hexagonales ?

Selon moi, aujourd’hui, la recherche à tout prix d’investissements français en Ligue 1 est un sujet dépassé. Il faut sortir de cette association France/Foot français/CAC40. Le football est un secteur très avancé dans la mondialisation. Et comme dans tout secteur mondialisé, on attire des partenaires qui sont eux-mêmes mondialisés. Et la question qu’il faut se poser est la suivante : pourquoi un club comme Manchester United parvient-il à attirer des entreprises provenant du monde entier ?

La réponse est assez simple : le club de Manchester United est devenu aujourd’hui une marque mondialement reconnue ! Manchester United a développé une notoriété semblable à celle de Coca-Cola à travers le monde. Dans ce cas, on peut même évoquer une abolition des frontières tant la notoriété de Manchester United est importante aux quatre coins du monde. D’ailleurs, le club signe très peu de sponsors britanniques. Il a conclu un accord de sponsoring maillot record avec Chevrolet, constructeur américain, et il possède un contrat équipementier de premier ordre avec Adidas, firme allemande.

[clickToTweet tweet= »‘@ManUtd a développé une notoriété semblable à celle de @cocacolafr à travers le monde’ @ggaretier  » quote= »Manchester United a développé une notoriété semblable à celle de Coca-Cola à travers le monde »]

D’ailleurs, les grands clubs français ne s’y trompent pas et ont déjà commencé à se tourner vers des partenaires étrangers. Le PSG, l’AS Monaco et l’OL affichent des marques internationales en tant que sponsors maillots (Emirates, Fedcom, Hyundai…). Nous avions également jusqu’à l’an dernier l’exemple de Bordeaux avec Kia.

Mais, pour capter des recettes en provenance d’entreprises internationales, il est indispensable de développer l’image de « marque » de son club. Et, en Ligue 1, à quelques exceptions près comme le PSG, l’AS Monaco ou encore l’OL, un club de football n’est pas une marque.

Il doit y avoir absolument une réflexion commune à ce sujet. Didier Quillot, nouveau Directeur Général de la Ligue et ancien Patron d’Orange, est très sensible à cette problématique. Il est très important de « marketer » notre football pour séduire les annonceurs, français comme internationaux.

A vous entendre, la Ligue 1 ne peut pas compter sur un patriotisme économico-sportif pour accélérer son développement contrairement à la Bundesliga.

Il n’y a pas de patriotisme économique français. Beaucoup d’hommes politiques ont cherché ou cherchent toujours à sceller un tel concept comme Arnaud Montebourg. Malheureusement, on n’y arrive pas.

En plus, la position des grandes entreprises du CAC 40 en France est établie. Elles n’ont pas besoin du sponsoring footballistique pour se faire connaître. Et les grandes entreprises n’ont pas vocation à mener des actions philanthropiques au sein du secteur footballistique. Si les clubs français avaient une base populaire plus stable et plus forte, peut-être que par effet d’attraction, les grandes entreprises françaises se tourneraient plus vers nos clubs. Mais ce n’est pas le cas actuellement.

Du coup, les clubs français ont plutôt intérêt à chercher à capter les investissements des entreprises internationales, cherchant à acquérir des parts de marché en France. Car, malgré les défauts évoqués précédemment, le football français a tout de même de beaux atouts à présenter à une entreprise en quête de notoriété. Le football reste tout de même le sport numéro 1 en France avec plus de 2 millions de licenciés. Et lors de gros événements, il enregistre toujours des scores d’audiences incroyables.

Quel conseil prodigueriez-vous à nos clubs de L1 pour capter davantage d’investissements provenant de France ou de l’étranger ?

Il faut qu’on gagne la Ligue des Champions. Cela peut paraître simpliste mais c’est vrai. L’économie est liée à l’histoire. Avec la mondialisation, nous sommes dans une logique du gagnant qui prend tout. Une logique qui conduit à l’accaparation des richesses par un pôle de puissants. L’argent va à ceux qui sont connus, ceux qui sont puissants. C’est la faiblesse éternelle du foot français.

Si vous avez aimé cet article, n’hésitez plus à suivre notre page Facebook

 


Source photo à la Une : © Capture vidéo Infosport+

To Top
Send this to a friend