Politique / Droit

La Coupe du Monde 2030 promise à la Chine ?

Chine organisation Coupe du Monde 2030

Nous publions aujourd’hui la dernière partie de notre entretien avec Jean-Baptiste Guégan, Spécialiste des questions géopolitiques et Auteur de La Géopolitique du sport, une autre explication du monde, concernant l’attribution des prochaines éditions de la Coupe du Monde. La volonté de la Chine d’organiser prochainement une Coupe du Monde et le changement du mode de scrutin concernant la désignation du pays hôte sont au programme de cette dernière partie de l’interview.

La Chine n’a pas présenté de candidature pour le Mondial 2026. Le pays a-t-il déjà pour objectif de se positionner pour 2030 ? La Chine parviendra-t-elle à surmonter la concurrence d’une candidature sud-américaine ?

La Chine ne joue pas le même jeu que l’Amérique du sud. Son agenda est aussi différent que les moyens qu’elle sera prête à mobiliser pour gagner.

Le duo Argentine-Uruguay ne peut pas faire face seul. A tous niveaux. Sauf à profiter de soutiens extérieurs comme les Etats-Unis.

Le géant chinois vise à remettre en cause le leadership américain sur tous les plans. Le sport est un des domaines dans lesquels il veut rayonner et s’imposer pour concurrencer la puissance globale américaine.

Il ne reculera donc devant aucun investissement, ni aucun obstacle. Cela promet dès lors une belle bataille et une superbe lutte d’influence au sein et autour de la FIFA.  On peut en effet imaginer que les Etats-Unis favoriseront à dessein une candidature sud-américaine ou coréenne, sauf changement géopolitique majeur d’ici là.

Pour les deux premières puissances mondiales actuelles, le football revêt une dimension stratégique. Bien au-delà du jeu, le football, premier sport mondial en termes de pratiquants et d’audience, est un enjeu national et international sans égal.

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Si les Jeux Olympiques de Beijing ont marqué l’émergence globale chinoise et son retour sur le devant de la scène en 2008, la Coupe du monde 2030 consacrerait sa puissance établie.

Car l’heure est aujourd’hui à l’affirmation de la superpuissance chinoise à l’échelle mondiale : l’accueil de la Coupe du monde et la volonté d’y faire bonne figure sont donc devenus des objectifs sportifs prioritaires pour le Parti Communiste Chinois.

En quête de soft power pour améliorer son rayonnement mondial, Xi Jinping, le principal dirigeant chinois, n’ambitionne donc qu’une chose : construire et nourrir le “rêve chinois”. Pour y parvenir, la Coupe du monde s’impose comme un objectif majeur.

Pourquoi 2030 et pas 2026 ou 2034 ?

Plusieurs éléments attestent de la volonté chinoise de concourir très sérieusement pour accueillir la Coupe du monde dès 2030.

Quel que soit l’adversité susceptible de lui faire face. Que ce soit la Corée du Sud, un tandem Argentine-Uruguay ou qui que ce soit d’autre en Europe comme l’Angleterre, la Chine est en ordre de marche pour 2030.

Tout d’abord, le programme volontariste de développement du football chinois est un premier facteur. Relayé par AliBaba et Wanda, les bras armés du régime, l’essor du ballon rond chinois et de ses clubs est un premier élément.

Les stratégies de partenariat, de sponsoring ou de rachat des mêmes groupes dans le football européen sont un autre élément en sa faveur. Entre leurs prises de position et leurs investissements, notamment à l’Atletico et ailleurs, la Chine fait de l’entrisme à tous les niveaux. Les intérêts chinois se manifestent ainsi de manière incontournable dans les clubs, dans les fédérations et au sein de la FIFA.

En outre, tout en assurant le Qatar par exemple de son soutien pour la Coupe du monde 2022, la Chine se veut opportuniste et de plus en plus présente dans la gouvernance et les instances du football mondial. Elle développe ainsi clairement une stratégie diplomatique réaliste fondée principalement sur le football international pour atteindre des objectifs loin d’être sportifs.

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L’absence de candidature chinoise pour accueillir la Coupe du monde 2026 le prouve. Si elle n’a pas postulé à son organisation, c’est parce qu’elle savait la défaite inéluctable au regard du rapport de force en cours entre la FIFA et les Etats-Unis. Chaque chose en son temps.

Vis-à-vis de l’organisation des prochaines Coupes du monde, l’enjeu pour la Chine comme pour les Etats-Unis est différent : il est géopolitique et dépasse le simple cadre du sport et du football.

Dès lors, la candidature chinoise et son storytelling risquent d’être passionnants à suivre en vue de l’édition 2030 car ils feront tout pour l’obtenir. Leur première génération de footballeurs de haut niveau sera prête à porter haut les couleurs nationales et leur football sera plus mature. L’idéal pour unir le peuple autour du drapeau et en tirer politiquement profit en Chine et en dehors.

Tout semble donc réuni pour un engagement chinois massif dès 2030. Après, comme la temporalité du régime chinois n’est pas la même que celle des démocraties occidentales, quand bien même 2030 lui échapperait de manière surprenante, on voit mal la FIFA l’oublier pour 2034.

Les intérêts de la FIFA là encore sont clairement en jeu et le développement d’un marché d’un milliard trois cents millions de personnes n’a pas de commune mesure avec un marché sud-américain déjà mature.

Quand le(s) pays hôte(s) de la Coupe du Monde 2026 sera-t-il désigné ? Qui prendra part à cette élection ? La FIFA a-t-elle changé son système de désignation suite aux scandales ayant entaché l’attribution des éditions 2018 et 2022 de la Coupe du Monde ?

Alors que la désignation de l’hôte de la Coupe du monde 2026 aurait dû avoir lieu en 2017 à Kuala Lumpur, le FIFAgate et la chute de Sepp Blatter ont décalé et modifié le calendrier fixé. La décision sera prise en mai 2020 lors d’un congrès général de la FIFA.

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Autre conséquence du FIFAgate, le mode de désignation a changé. Finie la décision prise de manière opaque par le seul comité exécutif de l’institution.

Maintenant, toutes les fédérations de la FIFA prendront part aux votes. Les rapports de force vont donc changer et il sera plus compliqué avec 211 fédérations votantes d’orienter aisément les votes, comme cela a pu être le cas par le passé. Fini les arrangements entre hiérarques et entre amis.

Le football va se confronter aux mêmes difficultés que le CIO dans son processus de désignation des pays hôtes. Tout en promettant une transparence et une équité plus grande.

Les promesses n’engageant que ceux qui y croient, la FIFA devra pourtant convaincre que sa gouvernance et ses pratiques ont réellement changé…

Par ailleurs, ces profondes modifications vont modifier les rapports de force entre confédérations et entre Etats. Ainsi, la France sera-t-elle à égalité par exemple avec le Luxembourg, le Botswana, la Thaïlande ou l’Arménie. En dépit de son nombre de licenciés ou de son poids économique.

Tout acte de candidature nécessitera dès lors une maîtrise plus fine des équilibres internationaux et un intense travail de lobbying et d’influence pays par pays.

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Ce profond bouleversement est censé éviter toute corruption massive et tout vote orienté. Du moins les rendra-t-il plus complexe à mettre en oeuvre.

La reconfiguration du jeu qui s’annonce, profitera assurément aux Etats habitués à déployer une diplomatie globale et disposant des services ad hoc pour être efficace. Et ils sont peu nombreux. On ne prête qu’aux riches et aux puissants.

Ceci dit, on peut également espérer – très naïvement – que ce type de désignation plus représentative de la diversité du football mondial, redonne un sens au mot “incertitude”.

Ou pas.

Pour approfondir l’étude des enjeux liés à la géopolitique du sport, n’hésitez pas à consulter le dernier ouvrage de Jean-Baptiste Guégan, La Géopolitique du sport, une autre explication du monde, publié aux éditions BREAL

Source photo à la Une : Pixabay – CC0 1.0

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