Interview

« Michel Platini est loin d’être le seul dirigeant à avoir bénéficié d’un contrat verbal de la part de la FIFA »

Ecofoot.fr a eu la chance cette semaine de s’entretenir avec Me. Amélia S. Fouques, avocate spécialisée en droit du sport, PDG de LexSportiva et membre du conseil d’administration de la fédération canadienne de football. Au cours de cet entretien, nous sommes revenus sur la sanction infligée à Michel Platini par la commission d’éthique de la FIFA et sur la perception de cette affaire au sein de l’opinion publique nord-américaine…

Bonjour Amélia. Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs d’Ecofoot.fr ?

Je suis canadienne et j’exerce une activité d’avocate depuis maintenant 25 ans. Mes spécialités sont le droit commercial international et le droit du sport. J’ai notamment travaillé pour la société Bombardier en Chine et en Turquie et également pour Bell Canada International sur les marchés indien et chilien.

Aujourd’hui, je suis PDG de LexSportiva, société proposant un accompagnement juridique aux organisations sportives et commerciales. Je suis également présidente de l’Association du droit du sport du Canada et membre du conseil d’administration de la Canadian Soccer Association (ndlr : fédération canadienne de football). Enfin, j’enseigne également le droit du sport à l’université de Montréal et je suis correspondante canadienne pour l’organisation UNIDROIT.

Je maîtrise 5 langues et j’exerce l’ensemble de mes activités en anglais, français, allemand et espagnol.

Pouvez-vous nous éclairer sur la décision prise par la chambre de jugement de la commission d’éthique de la FIFA à l’encontre de Michel Platini ? Pourquoi l’accusation de corruption, impliquant une suspension à vie, n’a-t-elle pas été retenue ?

Il est difficile de répondre à cette question car les détails du jugement n’ont pas été communiqués publiquement. De toute manière, cela ressemble plus à une décision de relation publique qu’à une réelle sanction juridique et disciplinaire.

Michel Platini a-t-il une chance de casser le jugement de la commission d’éthique de la FIFA en faisant appel devant le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) ?

Il est difficile de répondre à cette question. Techniquement, oui c’est possible. A sa place, ma stratégie serait plutôt d’attaquer la compétence du TAS ou du moins son indépendance. Car cette juridiction est encore très liée aux organisations sportives. Michel Platini aurait alors plus de chance devant un tribunal de droit commun.

Par ailleurs, Michel Platini est (très) loin d’être le seul dirigeant à avoir bénéficié d’un contrat verbal de la part de la FIFA ou d’autres organisations du football. C’est malheureusement très courant dans le domaine. Donc il devrait plaider la discrimination. Si la suspension était effective, il faudrait prendre la même décision avec tous les autres dirigeants actuels du monde du football.

interview amélia fouques

Selon Me. Amélia Fouques, Michel Platini n’est pas le seul dirigeant à avoir bénéficié d’un contrat verbal de la part de la FIFA

Par exemple, au Canada, le très bon ami de Sepp Blatter, Walter Sieber – personnalité siégeant au conseil du Comité Olympique Canadien et dans différents comités du CIO – a reçu des paiements de la Canadian Soccer Association via un contrat « verbal ». De la même manière, il a sans doute reçu des paiements de la part de la FIFA.

« Michel Platini a raison de parler de mascarade »

En ce sens, Michel Platini a alors raison de parler de mascarade. Son cas pourrait être l’occasion de ramener le débat à une échelle plus globale. Le système disciplinaire/juridique en matière de sport est complètement biaisé. Les petits ajustements du TAS au cours des dernières années sont des plaisanteries. De la poudre aux yeux ! Ce même constat s’applique aux commissions internes des fédérations sportives dont notamment les comités d’éthique.

Le dossier de Michel Platini a-t-il une chance d’être traité avant la date limite des dépôts des candidatures concernant l’élection présidentielle de la FIFA ? En cas de décision favorable prononcée par le TAS dans les temps, Michel Platini pourra-t-il concourir à l’élection présidentielle de la FIFA ?

Cela relève de la loterie. (ndlr : La FIFA bloquerait actuellement le recours directement réalisé par Michel Platini auprès du TAS car il ne respecterait pas la procédure définie par l’institution internationale)

En France, les médias et le secteur footballistique jugent la sanction prononcée à l’encontre de Michel Platini comme inacceptable. Ils ne doutent pas de l’honnêteté de Michel Platini. Quel sentiment prédomine à son égard de l’autre côté de l’Atlantique ? 

En Amérique du Nord, le football occupe mois les esprits en ce moment. Cela n’est pas en Une des journaux comme en Europe. Au Canada, par exemple, c’est la saison du hockey. Mais les sujets concernant la FIFA sont tout de même traités par certains médias comme le quotidien canadien Globe and Mail ou le célèbre New York Times.

Pour les journalistes nord-américains, la FIFA est considérée comme une blague, incluant Platini. Les personnes retiennent  le fait que Michel Platini faisait partie du système depuis des années et qu’il a bénéficié de ses largesses.  La FIFA renvoie l’image d’une institution totalement corrompue avec un manque de transparence dans sa gouvernance. Ce point de vue est partagé par l’ensemble de l’opinion publique.

En revanche, les fédérations provinciales de football du Canada y compris la Canadian Soccer Association – dont je suis membre du conseil d’administration – ne se remettent pas en question ni ne doutent de la FIFA. Je suis l’unique membre du conseil de l’ASC qui critique très ouvertement la FIFA. Je demande des comptes sur les relations entre la FIFA et l’ASC, dont notamment des précisions concernant des flux monétaires opaques. Sur ce point je suis en contentieux avec l’ASC car je dénonce publiquement ces turpitudes liées notamment à l’organisation du Mondial Féminin 2015 au Canada. Je possède néanmoins le soutien de la plupart des médias canadiens et américains.

Peut-on douter de l’intégrité de la commission d’éthique de la FIFA ?

Oui, absolument. Les personnes qui siègent à la commission d’éthique font partie de la même famille et utilisent les mêmes procédés. Elles sont d’ailleurs rémunérées par la FIFA. Le système occulte de la FIFA n’a pas changé et ne changera pas d’après moi. La seule façon de faire bouger les choses, c’est de créer une nouvelle instance internationale du football.

J’ai rencontré plusieurs dirigeants de la FIFA  en aout 2015 à Vancouver lors de la finale de la Coupe du Monde Féminine. Alors que le Fifagate battait son plein, rien n’avait changé dans les habitudes des dirigeants. Ils logeaient dans les mêmes palaces et ne regardaient pas à la dépense. J’ai échangé avec le remplaçant de  Sepp Blatter (ndlr : Issa Hayatou) qui résumait le FIFAgate en une chasse aux sorcières organisée par les Américains pour récupérer le Mondial 2022. Il prétendait également qu’il n’y avait pas de corruption au sein de la FIFA tout en soutenant que Sepp Blatter est un grand homme.

Selon vous, qui est désormais le candidat favori de la prochaine élection présidentielle de la FIFA qui se tiendra le 26 février 2016 ?

Je ne sais pas, car cela relève plus de tractations occultes que d’un véritable système de votes transparent et sincère. Il y aurait déjà beaucoup à dire sur l’identité de certains votants ! Tant que le système de votes n’évolue pas, notamment au niveau de la transparence du scrutin et du procédé électoral, les magouilles pourront se poursuivre concernant la désignation du prochain président de la FIFA…

Si vous souhaitez prolonger la discussion avec Me. Amélia Fouques, n’hésitez pas à suivre son compte Twitter
 

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Source photo à la Une : © TheGuardian.com

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