Interview

P. Auclair : « La Premier League, c’est du football, mais également du spectacle, de l’entertainment »

Ecofoot.fr a eu la chance cette semaine de s’entretenir avec Philippe Auclair, correspondant Foot Anglais chez France Football, RMC ainsi que SFR Sport. L’occasion d’évoquer des sujets tels que les nouveaux droits TV perçus par la Premier League, les performances des clubs anglais sur la scène européenne ou encore la concurrence exercée par les clubs de Chinese Super League sur le marché des transferts. Découvrez aujourd’hui la première partie de l’entretien livré par Philippe Auclair. Propos recueillis par Emmanuel Mériaux.

Cette saison marque l’entrée en vigueur des nouveaux contrats de droits TV en Premier League. Les clubs anglais font-ils bon usage de cette manne selon vous ?

Jusqu’à présent, je pense que l’usage qui en est fait est plutôt raisonné. D’ailleurs tout le football professionnel anglais est concerné puisqu’il faut ajouter à ces contrats TV ceux qui ont été négociés récemment pour la FA Cup.

Si l’on regarde les chiffres FIFA TMS sur le dernier marché de janvier, l’Angleterre a dépensé un tout petit plus que ce qu’elle a perçu, ce qui montre que les clubs n’ont pas cédé à la panique. Ils ne se sont pas dit « maintenant que nous savons que nous aurons plus de 100 M£ à la fin de la saison quels que soient nos résultats, nous pouvons recruter comme bon nous semble ».

J’ai pu discuter avec quelques agents de joueurs, et il n’y a pas eu non plus, semble-t-il, d’explosion salariale, que ce soit au niveau des renouvellements de contrats mais également concernant la pression mise par les agents pour revaloriser les contrats existants. Jusqu’à présent, on ne peut pas dire qu’il y ait eu une « fièvre de l’or » qui soit identifiable dans le football anglais.

Les comportements sont semblables à ce qu’on pouvait observer par le passé : ce sont parfois les clubs moins bien classés qui dépensent le plus et le moins bien. C’était déjà le cas de QPR par le passé, ou de Portsmouth ainsi que d’un tas de clubs mal gérés. Des progrès ont été faits dans la gestion des clubs de Premier League et ils sont tout à fait remarquables. La plupart des « fous furieux » présents au début des années 90 – je pense notamment au Leeds de Peter Ridsdale – ne sont plus en place. Donc la réponse est oui : les clubs se sont comportés de manière raisonnée et raisonnable.

Enfin, l’une des choses que la Premier League doit faire pour utiliser au mieux cette manne financière, c’est soutenir le reste de la pyramide du football professionnel anglais. Richard Scudamore, le Président Executif de la Premier League, n’est pas décideur – il ne fait que suivre le vote des clubs – mais il souhaiterait que cet argent bénéficie beaucoup plus largement aux autres divisions. J’espère qu’il sera entendu. Du bon boulot a déjà été fait avec l’investissement dans les infrastructures du football amateur et la protection financière des équipes reléguées, ce qui est déjà une certaine preuve de solidarité.

Néanmoins, l’un des défis de la Premier League sera de contrer les velléités de certains clubs – notamment ceux contrôlés par des investisseurs étrangers ayant moins de respect pour les traditions – qui souhaitent remettre en question la négociation collective concernant la vente des droits TV. Certains clubs, de manière complètement court-termiste et aberrante, souhaiteraient pouvoir négocier au moins en partie leurs droits TV individuellement. Ce serait une catastrophe et j’espère que les clubs anglais vont montrer suffisamment de maturité et d’intelligence pour empêcher ce type de scission.

Les dernières désillusions des clubs anglais sur la scène européenne sont souvent expliquées par la priorité accordée au championnat. Un désintérêt pour les coupes européennes outre-Manche est-il vraiment à craindre ?

Je ne suis pas du tout d’accord avec cette thèse. Désintérêt pour la League Europa de la part de certains clubs, sans le moindre doute, mais c’est un phénomène que l’on retrouve quasiment dans tous les pays d’Europe, sauf peut-être chez certaines nations qui ont une très grosse culture de la C3 – Espagne et Portugal. En Angleterre, il n’y a pas tout à fait cette culture. Ce n’est pas une compétition très « sexy » vu d’ici, c’est le moins que l’on puisse dire. Cela changera peut-être cette année, puisque Mourinho la prend très au sérieux, hélas pour Saint-Etienne (rires).

Pour la Ligue des Champions, je ne crois pas une seconde à cette théorie. Il y a malgré tout un intérêt financier à la jouer. Il y a également un intérêt au niveau du prestige, au niveau de la promotion de la marque sur les marchés étrangers, même si la Premier League demeure un rouleau compresseur sur le plan économique. Je n’ai pas souvenir d’un club anglais mettant une équipe bis en Ligue des Champions, même dans les matchs de poule. Ou quand ils l’ont fait, ils s’en sont mordus les doigts, comme cela est arrivé à Arsenal à deux ou trois reprises. Wenger ne le refera plus. Les contre-performances s’expliquent autrement : la Premier League vit certes un peu en vase clos, mais l’extraordinaire intensité physique du championnat et le calendrier dément – avec une absence totale de trêve hivernale et l’existence de la Coupe de la Ligue – sont à mon sens les premiers éléments d’explication.

Il n’y a donc pas de désintérêt pour la Ligue des Champions, je peux le garantir. J’ai parlé avec beaucoup d’entraineurs de clubs anglais engagés dans cette compétition, et je n’en ai pas rencontré un seul qui n’en fasse pas une priorité absolue. De plus, les performances des équipes anglaises ne sont pas si minables. Tout le monde a déjà oublié qu’une équipe de Manchester City qui n’était pas flamboyante est arrivée en demi-finale l’année dernière. Cette année, le problème est que la meilleure équipe anglaise – Chelsea – n’est pas en Ligue des Champions. Mais je verrais tout à fait Manchester City faire quelque chose dans la compétition cette année et Arsenal donnera beaucoup de fil à retordre au Bayern Munich (ndlr : interview réalisée avant le huitième de finale aller). En revanche, je m’inquiète pour Leicester. Mais ce n’est pas un problème de priorité comme le montrent les performances du club.

A la lecture des budgets, on pourrait s’attendre à ce que les clubs de Premier League s’imposent très nettement en Europe. Pourtant, ce n’est pas le cas pour le moment.

Ce n’est effectivement pas le cas pour le moment, mais tout dépend des chiffres pris en considération. La chute de la Livre Sterling n’est pas suffisamment prise en compte quand on évoque l’économie du football anglais !

De plus, la redistribution des fameux nouveaux contrats de droits TV s’effectuera seulement en fin de saison. Mais il est vrai que certains clubs hypothèquent les résultats à venir, ce qui se fait depuis longtemps dans de nombreux pays. Vous pouvez ainsi emprunter facilement à un établissement financier sachant qu’un pactole de 120 M€, distribué en fin de saison, servira de garantie.

L’an prochain, les 20 clubs de Premier League intègreront le top 30 du classement Deloitte Money League. En attendant, des clubs comme le Real Madrid, le FC Barcelone, le Bayern Munich ou encore la Juventus se situent dans le top 10 voire le top 5 de la hiérarchie. Et ils trustent également les derniers tours de la Champions League. Donc l’argument « puissance financière = succès sur le terrain » se vérifie totalement. Et pour le moment, les capacités financières d’Arsenal, de Liverpool, de Chelsea ou de Tottenham ne sont pas encore à la hauteur de celles du Real Madrid ou du FC Barcelone.

Manchester United est une exception et Manchester City est un cas à part, à cause de son modèle économique unique. Manchester United est une entreprise de marketing autant qu’un club de football. Les autres clubs sont, sur le plan financier, en-deçà des plus grosses cylindrées européennes. Mais ce ne sera pas forcément le cas à l’avenir.

D’importants investissements en provenance de Chine ont été réalisés au cours des derniers mois. La Premier League est-elle inquiète suite au dernier mercato (départ d’Oscar, salaires mirobolants proposés) ou cette tendance est plutôt perçue comme une opportunité ?

Il y aurait beaucoup d’hypocrisie à voir cela comme une menace, dans la mesure où les clubs chinois appliquent la même politique d’investissements que celle réalisée par certains clubs anglais. Des clubs de Premier League ont également surpayé certains transferts pour acquérir des joueurs. Je pense en particulier au Chelsea du début de l’ère Abramovitch et à Manchester City.

Si on étudie les joueurs qui ont rejoint le championnat chinois, on s’aperçoit que ce sont des joueurs en fin de carrière, ou qui n’ont pas vraiment leur place de titulaire assurée pour le cas d’Oscar. Lorsque John Obi Mikel part en Chine, il est également en fin de carrière.

Pour l’instant, la Chinese Super League est pour moi une sorte de « MLS-turbo » : comme la MLS, ce championnat a un nombre limité de joueurs étrangers autorisés par équipe – 3 en l’occurrence. Les clubs chinois n’ont également pas le droit de recruter de gardiens étrangers. De plus, le gouvernement chinois ne voit pas ce surinvestissement d’un très bon œil.

Enfin, si nous mettons de côté les arrivées de Lavezzi – qui est d’ailleurs une catastrophe -, de Tévez ou d’Oscar, la plupart des joueurs étrangers dans les clubs chinois ne sont pas des joueurs de top niveau. Et il faudra beaucoup de temps avant que le championnat chinois acquiert quelque légitimité que ce soit, car le niveau actuel est consternant.

Il n’y a donc pas de danger mais plutôt une opportunité, puisque ces investissements permettent aux clubs anglais d’équilibrer leur balance des transferts. Le vrai danger pour la Premier League serait de proposer un spectacle qui ne soit plus le préféré des téléspectateurs du monde entier. La Premier League, c’est du football, mais également du spectacle, de l’entertainment. Le championnat est pensé pour présenter le show le plus agréable et le plus passionnant possible à une audience globale. A ce niveau-là, la concurrence ne vient certainement pas de Chine, mais plutôt d’autres championnats européens. La mauvaise gestion financière ou la perte d’identité du championnat anglais peuvent être des dangers, mais la concurrence du championnat chinois n’en est pas un.

Rendez-vous lundi matin pour la publication de la deuxième partie de l’interview de Philippe Auclair accordée à Emmanuel Mériaux.

Source photo à la Une : Flickr.com – CC BY 2.0

To Top
Send this to a friend