Stratégie

Major League Soccer, un modèle gagnant ?

mls modèle développement
Migue Angel Lopez Rojas / Shutterstock.com

Mise en lumière depuis plusieurs années par les recrutements de stars du football européen (Thierry Henry, David Beckham, Andrea Pirlo, Steven Gerrard, et plus récemment Wayne Rooney et Zlatan Ibrahimovic), la Major League Soccer a réussi à conjuguer croissance de notoriété et développement économique. Même si le plus dur reste à faire. Décryptage par Antoine Blouin.

Une progression économique constante des franchises

D’un point de vue purement financier, le développement économique de la MLS est tout d’abord visible au niveau de la valorisation des différentes franchises. En novembre dernier, la revue américaine Forbes faisait ainsi le point sur leur valeur estimée des différentes équipes de MLS, qui se situe pour la plupart au-dessus des $200M, avec 4 franchises dépassant la barre des $300M. Ces valorisations sont en partie dues aux infrastructures ultra-modernes exploitées par les franchises – à l’image du Mercedes-Benz Stadium de l’Atlanta United – mais également aux grandes perspectives de développement de ces franchises, encore très jeunes par rapport aux clubs européens ou sud-américains. De seulement $37M en 2008, la valeur moyenne d’une franchise de MLS est passée à $240M en 2018.

Les clubs ont également réussi à développer progressivement leurs produits d’exploitation au cours des dernières années, au point d’afficher aujourd’hui un chiffre d’affaires se rapprochant sérieusement des équipes de L1 – hors top 3.

De 2007 à 2017, les revenus globaux générés par les franchises sont ainsi passés de $166M à $763M. Ces statistiques sont d’autant plus encourageantes que les franchises américaines sont très jeunes – la plupart ayant été créées au cours des 10 dernières années – et vont sans doute connaître une croissance de revenus exponentielle.

En 2017, la MLS était notamment le 11ème championnat en termes de chiffre d’affaires moyen par franchise à l’échelle mondiale avec 39 M€, juste derrière la Super Lig turque et la Premier League russe. Une belle progression pour le championnat américain, qui n’est cependant pas aussi soutenue que celle de la Super League chinoise, autre championnat récent et en plein développement, dont le revenu moyen par club est de 59 M€.

Enfin, le développement économique général du championnat a aussi été le résultat d’une stratégie d’expansion du nombre de franchises. De 16 il y a 10 ans, 24 franchises évoluent désormais en MLS. Et le championnat devrait en accueillir 27 d’ici 2021 avec la concrétisation des projets Inter Miami FC, Austin FC et Nashville SC.

Cette volonté de se rapprocher de la trentaine de franchises – à l’image de la NFL, de la NBA ou de la NHL – est adaptée à l’étendue du territoire américain, afin que chaque ville majeure ait une équipe de football. Ainsi, le championnat américain peut s’assurer de toucher plus de fans, et bâtir une compétition en capacité de rivaliser avec les autres gros championnats US.

Un gain de popularité sur le plan national

Sur un continent où le « soccer » est historiquement loin d’être le sport le plus populaire, la MLS arrive au fil des années à gagner en popularité auprès de la population américaine, qui lui voue désormais une passion grandissante.

En effet, d’après un sondage réalisé par l’institut Gallup, le soccer est désormais le 4ème sport le plus populaire du pays, avec 7% des suffrages. Il devance notamment le hockey sur glace, les sports mécaniques et le golf ; mais surtout, il n’est qu’à 2% du podium, où se trouvent le baseball (9%), le basketball (11%), et bien sûr l’indétrônable football américain (37%). Signe prometteur : auprès des Américains âgés de 18 à 34 ans, le soccer occupe la deuxième place, à égalité avec le basket-ball (11%).

A l’origine de ce gain de popularité : la construction de nouveaux stades modernes. Car si les franchises ont pour la plupart utilisé, lors du lancement de la MLS en 1996, les infrastructures alors mises à disposition pour la NFL (le championnat national de football américain) ; 18 franchises exploitent désormais des stades « soccer-specific ».

Les chiffres d’affluence dans les stades sont quant à eux à la fois flatteurs et prometteurs : de 2008 à 2018, l’affluence moyenne de MLS est passée d’environ 16 000 spectateurs, à près de 22 000 la saison dernière, avec une affluence record de 73 019 fans présents lors de la finale de la MLS Cup entre Atlanta United et Portland Timbers. Sur ce point, le championnat américain dépasse désormais la Ligue 1, et se place parmi les meilleures affluences au monde pour le football.

Un gouffre toujours important avec les championnats européens

Si les progrès sont significatifs et très encourageants, ils ne permettent toujours pas à la MLS d’aller titiller les grands championnats européens, que ce soit économiquement ou sportivement parlant.

Notons d’abord que le modèle économique de la plupart des clubs de MLS est toujours principalement axé autour des revenus matchday, témoignant de la faiblesse des recettes audiovisuelles perçues par le championnat nord-américain. Un modèle qui s’oppose à celui des grands clubs européens, dont la croissance est portée par la hausse des droits TV et les mirobolants contrats de sponsoring signés.

L’écart de recettes commerciales est notamment visible au niveau des contrats de sponsoring négociés. Les franchises de MLS sont encore à des années lumières des principaux clubs européens. Aujourd’hui, certains clubs européens parviennent à négocier des contrats équipementier flirtant avec la barre des 100 M€ alors qu’aucun contrat commercial n’atteint un tel montant au sein du football nord-américain.

Plus important encore, l’écart en termes de droits TV entre le championnat américain et ses homologues européens se creuse d’année en année. Si en l’espace de 2 cycles, la MLS est parvenue à passer de $27M / an à $90M / an, ce montant n’est toujours en rien comparable au milliard d’euros annuel (et plus) que perçoivent la Liga, la Bundesliga, la Serie A et bientôt la Ligue 1 ! Sans même évoquer le championnat de Premier League et ses 3 Mds€ de recettes TV par saison !

Un nombre de défis à relever pour passer au niveau supérieur

Si, comme le réitère le patron de la MLS Don Garber, l’objectif du championnat américain est de pouvoir un jour rivaliser avec les écuries européennes, un certain nombre de défis, et pas des moindres, doivent être relevés.

Le soccer doit tout d’abord devenir un sport majeur aux Etats-Unis, en collant de très près la popularité du football américain et du basketball. Cette affaire sera une question de temps et de génération mais aussi de marketing. La société américaine a un rapport très particulier au sport, en le percevant souvent comme un show. Les instances du soccer US doivent ainsi accentuer leurs efforts sur le côté entertainment recherché par le public. A titre d’exemple, le traditionnel draft doit devenir un événement et un show similaire à celui de la NFL, qui est incontournable pour le public et les chaînes de télévisions américaines.

En acquérant cette popularité, la MLS mettra ainsi le cap vers un autre défi, qui est de devenir une puissance économique comparable à ce que sont actuellement la NFL et la NBA sur le sol américain. Car outre le fait de rentrer dans le cœur de millions d’Américains supplémentaires, ce gain de popularité à l’échelle nationale permettra de faire monter les enchères concernant les contrats audiovisuels, les contrats de sponsoring, et autres partenariats commerciaux.

Rappelons qu’à l’heure actuelle, l’écart économique entre la MLS et ses homologues européens est le même qu’avec la NFL ou la NBA, fers de lance du show à l’américaine qui génèrent des sommes colossales, notamment grâce aux redevances TV. La MLS doit à tout prix viser une plus grosse part de ce gâteau.

Parallèlement à une montée de sa renommée aux Etats-Unis, la MLS doit désormais accroître sa popularité au-delà les frontières américaines, qu’il s’agisse de l’Europe, de l’Asie, de l’Afrique, ou encore de l’Amérique du Sud.

Si cela passera vraisemblablement par une croissance de l’attraction sportive des équipes, la ligue et les clubs doivent aussi faire des concessions sur leur modèle pour pouvoir rivaliser avec les écuries européennes. L’adoption du système de relégation, ainsi que la fin du salary cap sont entre autres 2 enjeux clés.

L’adoption d’un système de relégation d’abord, est un moyen naturel d’installer plus de compétitivité, plus d’enjeu … et donc de rendre le championnat plus attractif aux yeux du public européen. En juillet 2017, la MLS est ainsi passé à côté d’un contrat mirobolant proposé par l’agence londonienne MP & Silva, qui offrait 4 Mds$ sur la période 2023-2033 pour diffuser le championnat nord-américain. Problème : ce contrat aurait forcé la ligue américaine à instaurer un système de promotion et de relégation. Nul doute que Don Garber et les autres dirigeants devront reconsidérer cette question, qui peut clairement faire basculer la MLS dans une autre dimension économique …

Ensuite, le salary cap peut également poser un problème de compétitivité sportive à long terme pour les clubs. Actuellement fixé à un peu plus de $4M pour chaque franchise – mais avec néanmoins une exception pour 3 joueurs désignés avant chaque saison, tels que Zlatan Ibrahimovic aux LA Galaxy – cette règle imposée par la MLS dès sa création est pour l’instant ce qui l’empêche de développer de manière très rapide et très efficace sa compétitivité sportive. Si le modèle du championnat américain tend à transiter vers le recrutement de jeunes pépites sud-américaines pour hausser le niveau sportif général, la puissance économique démesurée des géants européens permet pour l’instant d’attirer les meilleurs éléments issus du continent sud-américain, ne laissant à la MLS que les joueurs jugés « pas assez talentueux pour venir en Europe ». Les dirigeants américains doivent penser à un moyen d’inverser cette tendance, via une réflexion quant à ce plafond salarial imposé – qui constitue, par ailleurs, un bon moyen de maîtriser les coûts opérationnels des franchises.

Enfin, les instances du soccer – la ligue comme les clubs – doivent tirer profit de la Coupe du Monde 2026, qui aura lieu sur le territoire nord-Américain (USA, Canada, Mexique). Si l’édition 1994 du mondial, qui avait aussi eu lieu aux Etats-Unis, avait servi de strapontin au lancement de la MLS deux années plus tard, le mondial 2026 sera l’opportunité pour le monde entier de voir le chemin parcouru par les Américains dans leur rapport au soccer : qualité des infrastructures, passion… Cela constituera alors une occasion en or pour le championnat américain et ses franchises d’attirer l’attention et une belle opportunité de négocier à la hausse les principaux accords commerciaux.

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